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Actualités - REPORTAGES

Le Volant d'Ingres de Maurice Sehnaoui(photo)

Monsieur Sehnaoui est un homme pressé, pressé d’agir et d’avancer. Le temps, précieux, semble avoir toujours été une motivation importante pour le faire «rouler» plus vite. Seules cette «patience» qu’il caresse du bout de ses doigts fins et sa fidèle cigarette qu’il brûle à moitié – pas le temps de la finir – semblent le dompter pour un moment. Et ce fauteuil, trop lourd de responsabilités, qui tente, en vain, de le retenir… Maurice Sehnaoui nous reçoit dans le civil, Pdg en costume – cravate à la tête d’une grande banque qu’il dirige avec passion. Les lieux portent tous l’empreinte de cet homme d’affaires réussi, amoureux de l’art et qui n’a d’ailleurs jamais cessé de l’encourager. Lorsqu’il démarre au quart de tour, «Je dis toujours non aux interviews!», on sent resurgir l’ ombre d’une panthère noire, tapie dans un coin de son âme. L’homme aux deux visages, le premier, rasé de près et caché derrière des lunettes rondes, et l’autre, hirsute, en combinaison bleue, la fougue dans les yeux, s’explique : «Je suis sans doute un personnage qui se dédouble ! Ces deux aspects de ma vie sont franchement complètement différents. Maintenant, ici, je suis incapable de vivre les rallyes. Je ne sens rien à l’intérieur. Durant la course, je suis quelqu’un d’autre». Pour concilier les deux, et surtout satisfaire les deux personnalités qui vivent en lui, Maurice Sehnaoui a dû jongler avec le temps, son métier et ses obligations, jusqu’à rentrer en clandestinité! «En 1987, je cherchais l’anonymat relatif. Après avoir pris de nouvelles fonctions, président-directeur général de la Société Générale Libano-Européenne de Banque, je pensais, peut-être à tort, que ces deux activités n’étaient pas très compatibles. Je me suis dit qu’il suffisait de changer de nom. Mes enfants, fascinés par le film Jungle Book, ont choisi le surnom de Bagheera. Dans les cercles concernés, beaucoup de gens ne font toujours pas le rapport entre les deux personnes». Un virage est amorcé. Mais avant de poursuivre la course, une petite marche-arrière s’impose. Flashback En 1967, Maurice Sehnaoui «démarre» sa carrière professionnelle en fondant une industrie alimentaire. Nul besoin, alors, de cacher sa passion - dangereuse - pour la vitesse. «J’ai commencé à avoir un goût passionnel pour la vitesse à 17 ans. Visiblement, j’avais la capacité, probablement le talent, du moins je l’espère, de savoir rester sur la route». De 1963 à 1975, il participera à de nombreux rallyes, gagnant «les plus prestigieux». L’arrêt «que je croyais définitif», se fera en 1975. «Cette même année, les conflits armés ont stoppé le fonctionnement de l’usine, qui se trouvait dans la Békaa. L’accès y était devenu impossible. J’ai décidé de fermer cette entreprise qui n’était plus du tout adaptée aux événements» C’est alors qu’il rejoint le groupe familial, dans ses nombreuses activités, avant de présider la banque en 1983. «J’ai repris la course en 1987, ne sachant pas que je pouvais le faire». Mais Bagheera peut le faire et le faire signifie gagner. Car sa grande motivation, celle qui lui donne des ailes, c’est la victoire. «Gagner est la plus grande des motivations. Savoir que j’ai réussi à aller jusqu’aux frontières de mes limites. La victoire est une chose très relative, mais je participe pour gagner. J’ai une attitude très agressive, sinon, je ne peux pas conduire vite et gagner». Il sera champion du Liban en 1992, vice-champion du Moyen-Orient cette même année et sera également classé plusieurs fois au Liban et à l’étranger. «A mes débuts, le sentiment de liberté éprouvé était très important. Aujourd’hui, je préfère pratiquer mes limites et me prouver que je suis encore capable d’y aller». Pour cela, il faut surtout avoir le temps et la disponibilité nécessaires. Monsieur Sehnaoui ne les a plus. Depuis quelques années, il se fait rare, préférant participer à une course par an. «La préparation à un rallye se fait deux mois avant le départ, elle impose un rythme de vie extrêmement strict et contraignant. Les quinze derniers jours sont consacrés à la concentration, car celle exigée est très importante. Il ne faut plus alors avoir aucun souci, mais une réflexion unique qui va dans une seule direction. Je n’arrive plus à le faire depuis 3 ans. Je suis rejoint dans les vallées…» Bagheera a déclaré forfait en juillet dernier, au dernier Rallye du Liban, la seule course qu’il avait choisie de mener cette année, suite à un accident survenu deux jours avant le départ et tous les contretemps qui en ont résulté. «Je vais pour gagner ! Si je n’ai pas tous les moyens de le faire, je préfère me retirer». Pas à pas, l’ex-champion du Liban semble déserter les chemins qui l’ enivraient, «l’envie est là, mais elle ne suffit pas. Les motivations commencent à s’effilocher. Il y a, d’une part, comme une répétition désagréable et puis une grande coupure entre moi et les autres participants, deux générations qui peuvent difficilement partager une reconnaissance mutuelle». Les deux personnages - personnalités fortes ont longtemps cohabité ensemble. Aujourd’hui s’esquisse une légère séparation. «Le premier personnage est vrai, le second est devenu déphasé, peut-être même complètement déphasé». Alors Bagheera passe en quatrième et disparaît, laissant derrière lui un nuage de poussière. Et des fans dans l’attente d’un nouveau départ.
Monsieur Sehnaoui est un homme pressé, pressé d’agir et d’avancer. Le temps, précieux, semble avoir toujours été une motivation importante pour le faire «rouler» plus vite. Seules cette «patience» qu’il caresse du bout de ses doigts fins et sa fidèle cigarette qu’il brûle à moitié – pas le temps de la finir – semblent le dompter pour un moment. Et ce fauteuil, trop lourd...