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Actualités - REPORTAGES

Art - Galeries, mode d'emploi Politique culturelle chez Janine Rubeiz(photos)

Avant-guerre, les galeries d’art au Liban avaient, comme bien d’autres institutions, suivi une courbe ascendante. Le début des années 70 a vu l’émergence d’un marché à part entière, dans un Beyrouth prospère vers lequel convergeaient de nombreux talents. Depuis, trente ans ont passé et le panorama artistique s’est considérablement transformé. Certaines galeries ont disparu, d’autres ont survécu ou ont vu le jour. Comment ont-elles évolué, quelles sont leurs préférences, leurs espoirs, leurs déceptions ? Leurs luttes aussi. Un dossier actif qui mérite qu’on s’y arrête : Nadine Begdache, toujours sur la brèche, manifeste une énergie à couper le souffle. Courant par monts et par vaux, elle se bat inlassablement pour un idéal de culture. Cette ténacité, elle l’a apprise de sa mère, Janine Rubeiz, dont elle perpétue, depuis sa disparition en 1992, la galerie qui porte son nom. Il ne s’agit pas d’un simple héritage, loin de là, mais bien d’une passion. «Avec un père architecte et une mère fascinée par toutes les formes d’art, j’ai joui d’une très grande liberté. Dès l’âge de dix ans, j’assistais à des spectacles que peu d’enfants voyaient : ma mère aimait me sensibiliser à ce qui lui tenait tellement à cœur». Bref, Nadine Begdache a toute sa vie vécu entourée d’art, croisant, à son propre domicile, les artistes, intellectuels et cinéastes qui ont suivi Janine Rubeiz dans la belle mais éphémère – dix ans à peine – entreprise de Dar el-Fan. Ce qui ne l’a cependant pas empêchée de s’intéresser à tout autre chose: «J’ai fait des études de psychologie, puis j’ai été administratrice d’une industrie familiale et, pendant la guerre, j’ai donné des cours de français». Professeur par amour d’une langue qui représente, par sa présence même au Liban, une ouverture vers l’extérieur; cadre actif d’une société qui lui donnera les rudiments, essentiels, d’une gestion efficace; et psychologue, pour comprendre et encourager les jeunes artistes qu’elle prend sous son aile. Trois «toques» sur une même tête, sans doute indispensables à une galeriste révoltée par l’absentéisme et l’ignorance absolus de l’État en matière de culture en général et d’art en particulier : «Je crie dans le désert depuis trop longtemps. Pourtant, je n’ai pas cessé de proposer, avec certains de mes collègues, des projets qui ont fini dans des tiroirs obscurs : en matière d’art et de culture, il n’y pas d’autres alternatives que privées». Nadine Begdache ne se laisse pas démonter pour autant : face à un gouvernement inactif, elle a mis en place sa propre «politique culturelle»: soutenir les artistes libanais et les faire connaître tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, et faire découvrir les peintres étrangers au public local. Chez Janine Rubeiz, l’agenda annuel est réglé comme du papier à musique : 18 peintres, sept expositions de trois semaines chacune, sans évidemment compter la collection permanente. «Trois semaines, voire trois semaines et demie, cela peut paraître long, mais une exposition, ce n’est pas un accrochage : c’est une lecture des tableaux, et les visiteurs doivent pouvoir prendre le temps de la découvrir», affirme la galeriste. Instaurer un dialogue C’est dans ce but que Janine Rubeiz œuvre les dimanches, et reçoit régulièrement des classes des écoles et des collèges. Des catalogues, des cartes postales et des fiches présentant l’artiste et son œuvre donnent à chaque événement une véritable «portée éducative», comme aime à le souligner Mme Begdache. Qui dit politique culturelle, dit système bâti sur du «très long terme». Avec les peintres libanais, tout d’abord : «Il n’y a pas de génie, il y a du travail, affirme-t-elle. Pour organiser les expositions de Noël, je demande à chacun des futurs jeunes exposés de me préparer 200 toiles, dont nous ne retenons ensemble que les meilleures. L’artiste est comme un enfant que nous devons aider à grandir en le guidant, mais surtout en lui inculquant la notion de l’effort. L’œil du galeriste lui fait prendre du recul par rapport à son travail». Nadine Begdache se défend contre la fausse image de la galerie «coupe-gorge» qui exploite le peintre : «Chaque exposition me coûte plusieurs milliers de dollars, et je ne joue jamais avec la cote des artistes : je cherche simplement à faire rentrer leurs œuvres dans les maisons. D’une certaine manière, j’invente tandis que l’artiste crée...». Cette insatiable chercheuse de talents connaît sa véritable victoire lorsqu’elle participe à des expositions internationales comme Europ’Art, qui s’est déroulée à Genève, en avril dernier, et où le Liban était hôte d’honneur: «Avec une autre galerie libanaise, j’ai organisé une immense rétrospective intitulée “Liban : 40 ans d’art contemporain”. Beaucoup d’œuvres ont été vendues à des banques étrangères, et certains artistes ont enfin vu leur cote décoller. Ce grand succès va permettre à la galerie de participer à une autre manifestation de ce genre, qui aura lieu en septembre, à Paris». Nadine Begdache est loin d’être une marchande de tableaux aux dents longues, et les acheteurs ne s’y sont pas trompés. Ceux qu’elle considère comme ses meilleurs clients sont les jeunes couples libanais ayant vécu à l’étranger et qui reviennent s’installer : «Ils ont le coup d’œil et veulent commencer une collection libanaise à des prix raisonnables» . Le regard vers l’étranger, la galeriste ne le néglige pas. Sans doute pour éviter le repliement sur un art unique («Je voyage pour comparer»), mais surtout pour «instaurer un dialogue» : «Les peintres étrangers m’intéressent lorsqu’ils apportent quelque chose au Liban, où qu’ils sont en relation de façon inconsciente — ou parfois très consciente — avec lui». Le Liban, encore et toujours lui : elle le défend passionnément à travers l’art qu’il produit. Elle s’insurge contre l’apparition de la réduction sur les tableaux («ce phénomène n’existait pas avant l’apparition du “Mois du Shopping”), plaide pour un mécénat culturel, se bat, à défaut de Musée d’art moderne, pour la création d’une Galerie nationale, et dénonce vertement certains décorateurs : «Ceux-là dupent leurs clients en leur vendant très cher une croûte européenne dans un cadre luxueux, et par là même font croire qu’il n’y a pas d’art libanais intéressant». Un tel engagement et une telle continuité (la galerie fonctionnait pendant la guerre) laissent songeur. Nadine Begdache répond en souriant: «Il y a aussi une grande part de volontariat»...
Avant-guerre, les galeries d’art au Liban avaient, comme bien d’autres institutions, suivi une courbe ascendante. Le début des années 70 a vu l’émergence d’un marché à part entière, dans un Beyrouth prospère vers lequel convergeaient de nombreux talents. Depuis, trente ans ont passé et le panorama artistique s’est considérablement transformé. Certaines galeries ont disparu,...