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Actualités - ANALYSE

Le dialogue syro-chrétien a commencé à l'initiative de Damas La Syrie reconnait l'existence d'un problème au niveau de la représentation

Loin des caméras et des oreilles indiscrètes, le dialogue syro-chrétien se poursuit depuis plusieurs semaines à plus d’un niveau. Les avis sont partagés sur le sérieux, l’efficacité et les résultats de cette démarche. Certes, il est encore trop tôt pour exprimer un jugement de valeur à ce sujet, mais on peut dès maintenant en tirer quelques observations assez significatives permettant de mesurer le degré d’importance de cette initiative et son caractère nouveau.
D’abord, c’est la Syrie qui a fait le premier pas en direction des chrétiens non représentés au sein du pouvoir, en exprimant son souhait d’entamer un dialogue. Ensuite, et c’est là un élément nouveau, Damas reconnaît qu’il y a effectivement un «problème chrétien» qu’il faut traiter sous un angle politique et non pas seulement sécuritaire, comme il le fait depuis plusieurs années.
L’histoire de ce dialogue commence au début de l’année. Le vice-président de la Chambre, M. Elie Ferzli, qui avait vainement tenté en 1995 (avant la prorogation du mandat présidentiel) de dégeler les relations entre Bkerké et Damas, entreprend une nouvelle tentative. Dans une réponse assez inattendue, les responsables syriens l’encouragent dans sa démarche. Il se rend donc au patriarcat maronite, où Mgr Nasrallah Sfeir lui répond que dans l’absolu, il n’a pas d’inconvénient à ce que des personnalités chrétiennes indépendantes discutent avec les syriens du contentieux opposant les deux parties. M. Ferzli entre alors en contact avec MM. Simon Karam, ancien mohafez de la Békaa et ex-ambassadeur à Washington, et Samir Frangié, coordinateur du Congrès permanent du dialogue interlibanais. Il les informe de la teneur de son entretien avec Mgr Sfeir, et leur propose d’entamer un dialogue avec les responsables syriens. En février, MM. Frangié, Ferzli et Karam se retrouvent à dîner chez ce dernier. La discussion se poursuit pendant la soirée et le vice-président de la Chambre leur propose de rencontrer le chef des services de renseignements syriens au Liban, le brigadier Ghazi Kanaan. Après quelques jours de réflexion, M Karam décline l’invitation. «J’ai estimé que les proposition avancées n’étaient pas assez concrètes. Et dans le contexte de crise caractérisant les relations syro-chrétiennes, j’ai pensé qu’elles étaient insuffisantes pour justifier une rencontre avec le brigadier Kanaan», explique-t-il.
Quelque temps plus tard, M. Ferzli se rend en compagnie de M. Georges Jabre au Vatican, où le dossier des relations entre les chrétiens et la Syrie est longuement évoqué avec les responsables concernés. A peu près au même moment, le brigadier Kanaan est reçu à Amchit par l’évêque maronite de Jbeil, Mgr Béchara Rahi. Auparavant, les autorités syriennes avaient libéré, après trois ans de détention, l’ancien responsable du Baas pro-irakien, M. Rafic Abi Younès. C’était là une vieille demande du patriarche et en y accédant, les Syriens ont fait d’une pierre deux coups: ils ont fait un geste en direction de Bkerké et un clin d’œil à l’Irak. Un nouveau pas est franchi.
Mais beaucoup de questions se posaient sur les intentions réelles de Damas. Cette ouverture en direction des chrétiens intervenait en effet après l’attaque contre le minibus de Tabarja le 17 décembre dernier et la tension provoquée par les arrestations opérées après cet incident. S’agissait-il d’une action tactique visant à absorber le mécontentement grandissant dans la rue chrétienne? Ou encore Damas voulait-il neutraliser les effets de la visite de Jean-Paul II en lançant une offensive de charme en direction de Bkerké et des chrétiens non représentés au pouvoir? Les faits démentent cette thèse. «Si cela avait été le cas, le dialogue aurait été interrompu après la visite du pape, déclare M. Karam. Toutefois, les Syriens ont lancé des signaux dans diverses directions, quant à leur intention de poursuivre la négociation. Ils ont aussi informé directement M. Samir Frangié de leur volonté de continuer le processus». A cet égard, la visite de M. Ferzli à Bkerké au lendemain du pèlerinage au Liban du souverain pontife est très significative. Sur le perron du siège patriarcal, le vice-président de la Chambre a déclaré que les résultats du dialogue syro-chrétien ne tarderaient pas à apparaître.

Dialogue difficile

Dans le même temps, des développements importants ont montré combien ce dialogue est délicat et difficile à mener. En effet, la Syrie n’a rien fait pour convaincre les autorités libanaises concernées de reporter de 48 heures l’annonce du verdict de l’affaire Michel Murr impliquant M. Samir Geagea, afin que le jugement ne soit pas rendu à la veille de la venue de Jean-Paul II. Une intervention allant dans ce sens du nonce apostolique, Mgr Pablo Puente, s’est heurtée à un refus. Par ailleurs, M. Ferzli aurait rejeté une proposition de faire un crochet par Paris pour rencontrer le général Michel Aoun, après sa visite au Vatican.
Faut-il en déduire que ce dialogue est vicié à la base? Ce n’est pas l’avis d’une personnalité associée de près à la négociation. «A aucun moment, je n’ai eu l’impression qu’il s’agissait d’une simple manœuvre de la part des Syriens», déclare cette personnalité qui a requis l’anonymat. De même source, on précise que dès l’ouverture du dialogue, la Syrie a présenté trois concessions, qui, bien que relatives, n’en sont pas moins assez importantes. D’abord, elle a reconnu l’existence d’un «problème chrétien». Ensuite, elle est désormais consciente que ce problème ne peut être réglé de la manière forte à travers des arrestations, des pressions et des intimidations. Enfin, elle a reconnu le rôle et le poids représentatif du patriarche Sfeir, alors que dans le passé, elle estimait que ses seuls interlocuteurs sur la scène chrétienne étaient ses alliés au pouvoir.
De l’autre côté de l’échiquier, la plupart des partis et des personnalités chrétiennes en dehors du pouvoir souhaiteraient parvenir à un accord négocié avec Damas. Mais sur quoi devrait porter une éventuelle négociation? Et à quels changements politiques devrait-elle aboutir?
Selon la source précitée, le dialogue porte sur les relations libano-syriennes en partant du principe que «le déséquilibre au sein du pouvoir porte atteinte à la nature du système politique libanais». «La négociation est concentrée sur les moyens de rectifier les applications erronées de l’accord de Taëf et sur la mise en œuvre des clauses oubliées», précise-t-on.
Evidemment, la normalisation des relations entre les chrétiens et Damas est une chose positive dans l’absolu. Mais est-il acceptable que la communauté chrétienne ouvre un dialogue en dehors des frontières nationales alors que les relations entre les chiites et l’Iran font l’objet de tous genres de critiques pour les mêmes raisons? «Il s’agit en fait d’une négociation entre le Liban et la Syrie, menée par les chrétiens, car la classe au pouvoir n’a ni les moyens ni l’intention de rectifier ces relations. La situation actuelle l’arrange parfaitement», ajoute-t-on de même source. A ce sujet, M. Karam précise que sur le plan du principe, Mgr Sfeir refuse d’engager officiellement la communauté chrétienne dans une négociation bilatérale avec un autre pays. «Le patriarche estime que l’Etat doit assumer entièrement ses responsabilités. Il doit pouvoir défendre les libertés et les particularités du Liban. S’il remplit son rôle convenablement, la situation et l’attitude des chrétiens s’améliorera», dit-il.
Cela explique le fait que le prélat maronite n’a jamais chargé d’une manière officielle une quelconque personnalité de négocier en son nom. Il n’en reste pas moins qu’il a encouragé certaines figures à participer au dialogue. S’il réussit, Mgr Sfeir et les chrétiens en général en cueilleront les fruits. S’il échoue, seules les personnes qui auront mené la négociation en supporteront les conséquences.
L’objet essentiel du dialogue est de remédier définitivement au problème de la participation équitable de toutes les communautés au pouvoir. «Tant que ce point n’est pas réglé, l’avenir du pays restera incertain. Entre une guerre et une autre il n’y aura pas de paix, mais une situation de ni paix ni guerre», indique la personnalité précitée. «Il ne s’agit pas pour autant de ramener au pouvoir les personnalités antérieures à Taëf pour régler la question de la représentativité, ajoute-t-on. Mgr Sfeir demande qu’on laisse les chrétiens choisir librement leurs représentants. Cela ne signifie pas que toute l’opposition est représentative ou que tous ceux qui sont au pouvoir ne le sont pas».

Huit semaines pour
déblayer le terrain

Au Liban, le dialogue se fait avec le brigadier Kanaan, qui s’occupe aussi bien des dossiers politiques que sécuritaires. Selon la source précédente, les négociateurs ont abordé avec l’officier supérieur syrien la question du «cadre de la représentation qui est biaisé». «A Taëf, les chrétiens ont accepté de se démettre de leurs prérogatives en faveur d’une institution, le Conseil des ministres, et non pas en faveur d’une autre communauté, explique-t-on de même source. ce conseil est donc l’autorité politique suprême et il ne peut pas contenir des technocrates. De plus, l’institution se résume aujourd’hui en un seul homme, son président. Donc, le Conseil des ministres est dénaturé aussi bien au niveau de la représentation que du fonctionnement».
A ce niveau de la négociation, les Syriens reconnaissent qu’il y a un problème. Cela amène la personnalité précitée à dire que «dans ce domaine, la position de Damas est plus avancée que celle du pouvoir libanais qui refuse de reconnaître l’existence de ce dysfonctionnement».
Faut-il pour autant se faire des illusions sur l’aboutissement de ce dialogue? Pourquoi en effet la Syrie serait-telle prête à affaiblir ses plus proches alliés, comme MM. Michel Mur, Walid Joumblatt, ou encore Elie Hobeika, afin de satisfaire les revendications de Mgr Sfeir? «Il ne s’agit pas d’affaiblir les alliés de la Syrie, mais de redonner à chacun sa vraie dimension. Il est illogique que M. Joumblatt puisse imposer sa volonté à 600.000 électeurs au Mont-Liban», ajoute-t-on.
L’ouverture de Damas serait motivée par son souci d’assurer une stabilité politique au Liban. Selon la même source, «dans le passé, l’instabilité au Liban avait des répercussions négatives aussi bien sur la Syrie que sur les Etats-Unis et Israël. Aujourd’hui, les circonstances ont changé et Damas serait la seule victime d’une détérioration de la situation dans le pays. Dans le processus de paix régionale, la Syrie joue son avenir et son principal souci est d’assurer la cohésion du front interne».
Parallèlement au dialogue mené avec MM. Frangié et Karam, Damas a entamé une ouverture en direction de plusieurs personnalités indépendantes chrétiennes, d’anciens chefs de partis et de responsables de formations de l’opposition. Des journalistes syriens ont ainsi rencontré un ex-ministre libanais. Un ancien ministre syrien de confession chrétienne a aussi rendu visite à une personnalité politique. D’un autre côté, les contacts se poursuivent entre la Syrie et la Vatican. Et selon certaines informations, le ministre des Affaires étrangères du Saint-Siège, Mgr Jean-Louis Tauran, a effectué récemment une seconde visite à Damas après celle de janvier.
Selon la personnalité précédemment mentionnée, le dialogue en est toujours au stade du déblayage du terrain, une phase qui devrait s’achever d’ici six à huit semaines. Commencera ensuite l’étape de la négociation pour la conclusion d’un accord qui devrait durer deux à trois mois. D’ici là, il faudra rester à l’écoute des déclarations et observer attentivement les agissements des parties concernées pour savoir s’il y a vraiment une volonté de tourner la page.

Paul KHALIFEH
Loin des caméras et des oreilles indiscrètes, le dialogue syro-chrétien se poursuit depuis plusieurs semaines à plus d’un niveau. Les avis sont partagés sur le sérieux, l’efficacité et les résultats de cette démarche. Certes, il est encore trop tôt pour exprimer un jugement de valeur à ce sujet, mais on peut dès maintenant en tirer quelques observations assez significatives...