Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

Pour le directeur de l'institut français des relations internationales, il faudra dix ans pour que le processus au P.O. aboutisse De Montbrial : une paix acceptée par les israéliens doit être faite par le Likoud "Le Liban a les atouts nécessaires pour jouer un rôle sur le plan régional, souligne le

Pour le directeur de l’Institut français de relations internationales, M. Thierry de Montbrial, de passage au Liban et que nous avons interrogé avant son départ, le processus de paix au Proche-Orient est irréversible, mais il faudra dix ans pour qu’il aboutisse. Selon lui, pour que la paix soit acceptée par les Israéliens il faut qu’elle soit faite par le Likoud, car toute solution ne serait pas légitime si elle était rejetée par la moitié de la société israélienne. Dans une interview accordée à «L’Orient-Le Jour», M. de Montbrial, également président de la Fondation des études de défense, estime que la paix se traduira par la mise en place d’une zone de prospérité économique dans la région. Mais, d’ici là, il y a un long chemin à parcourir.
Question: Le processus de paix que les puissances concernées préparent depuis presque trois décennies ne vous semble-t-il pas compromis?
Réponse: Je comprend très bien que l’on puisse le redouter mais je ne crois pas qu’il soit compromis pour deux sortes de raisons. D’abord les conditions géopolitiques ont totalement changé depuis la fin de la guerre froide et l’effondrement de l’Union Soviétique et aujourd’hui les forces qui pouvaient alimenter le conflit de l’extérieur n’existent plus. C’est-à-dire que les grandes puissances — ou plutôt la grande puissance puisqu’il n’en existe pas à part les Etats-Unis — n’ont aucun intérêt à alimenter ce conflit...
Q.: Mais le conflit israélo-arabe a aussi des raisons internes et non pas seulement externes. Je veux parler de l’occupation par Israël de terres arabes.
R.: Justement, la deuxième raison c’est que les esprits ont considérablement évolué. Après la guerre de 1973, il y avait encore des gens qui pouvaient espérer régler ce conflit par la force. Aujourd’hui, plus personne ne le croit. Du côté des Arabes, les illusions de ce point de vue là sont dissipées. Quelles que soient les circonstances, le rapport de force militaire ne permet pas d’envisager un conflit car ils (les Arabes) ne pourraient que le perdre. Et du côté israélien, je pense qu’on a compris qu’il n’y a pas de solution militaire à long terme. Les esprits ont donc considérablement évolué. Je suis très frappé, par exemple, de voir que l’idée de la coexistence avec Israël est maintenant admise partout. L’intérêt des pays de la région et des Palestiniens en particulier est de coexister avec les Israéliens et de développer un vaste marché commun. Je pense aussi qu’en Israël l’opinion est extrêmement divisée. M. (Benjamin) Netanyahu n’est pas représentatif de l’ensemble des Israéliens. Pour toutes ces raisons, je pense que le processus de paix est irréversible.
Q.: Cet optimiste vous semble-t-il justifié alors que M. Netanyahu rejette les fondements de ce processus basé sur les résolutions 242 et 338 et sur le postulat de la terre contre la paix? Il a quand même fallu trois décennies pour que les Arabes acceptent de régler le conflit par la négociation. Faudrait-il attendre trois autres pour convaincre les Israéliens de restituer les territoires?
R.: On ne peut comparer la situation actuelle avec celle qui prévalait en 1973. A cette époque, l’idée de l’éradication d’Israël était encore dans les têtes...
Q.: Elle était surtout sur les langues. Aujourd’hui elle est dans les têtes...
R.: Je ne crois pas. Nous sommes dans un domaine où les certitudes n’existent pas. Il semble que l’idée de la coexistence avec Israël est acceptée. Et la majorité des Palestiniens pensent que leur intérêt, et celui du Moyen-Orient, est de développer une économie régionale où tout le monde aurait sa place à terme. Les Palestiniens, les Libanais et les Israéliens ont en commun un certain esprit d’entreprise, une capacité de réussite dans les domaines économiques. Chacun a compromis que si tout ce monde unit d’une certaine manière ses forces, cela peut donner à terme une zone de prospérité importante. Je pense que M. (Shimon) Pérès a tout à fait raison...
Q.: Vous semblez dire que le phénomène Netanyahu, si on peut l’appeler ainsi, est passager. Toutefois, le premier ministre israélien est en train de provoquer sur le terrain des changements qui seront aussi irréversibles que le processus de paix. Je veux parler notamment de la judaïsation de Jérusalem et de son intention de conserver le contrôle de 60% de la Cisjordanie.
R: D’abord, les paix sont toujours faites par ceux qui ont adopté une attitude extrême opposée. C’est une loi de la politique. C’est M. Richard Nixon qui a fait en somme la paix avec les Soviétiques, c’est lui qui a fait le voyage en Chine communiste en 1972, c’est le général Charles de Gaulle qui a fait la paix en Algérie alors qu’il avait été porté au pouvoir par les partisans de l’Algérie française. Aujourd’hui, c’est M. Jacques Chirac, un gaulliste, qui est en train de normaliser la situation de la France avec l’OTAN dont le général de Gaulle s’était retiré en 1966. Et pour qu’une paix concrète dans la région soit acceptée par les Israéliens il faut qu’elle soit faite par le Likoud. Moi je vais jusque là. Parce qu’une paix concrète ne sera jamais légitime si la moitié de la société israélienne considère qu’il y a trahison. Je pense que tout n’est pas négatif dans ce qui se passe à l’heure actuelle. Cela veut dire que le moment où les choses repartiront, il y aura une légitimation du processus de paix qui faisait défaut jusqu’à présent. Il y a un passage difficile. Que M. Netanyahu soit un homme buté, il n’y a aucune espèce de doute. Mais je ne pense pas que cela change fondamentalement la nature du processus. Il ne faut pas oublier non plus deux choses: la première c’est que l’opinion publique israélienne est divisée et qu’une bonne partie de la société israélienne est hostile au premier ministre à cause de ses méthodes. Les Etats-Unis sont également très critiques. Il ne faut pas raisonner comme si c’était Israël qui s’était retourné. L’autre point concerne le terrorisme. Si on regarde cette question non pas avec le regard passionné et partisan mais avec celui de l’analyste, on sait que, quand les peuples sont exaspérés, c’est peut-être le cas des Palestiniens et d’autres peuples dans la région, ils trouvent forcément refuge dans le terrorisme qui est l’arme des pauvres. Quand on n’a pas les moyens de se battre avec des troupes, des régiments et des chars, et bien on se bat avec le terrorisme. Il risque d’y avoir une reprise des actions terroristes ou des phénomènes du type de l’intifada. Si la situation actuelle devait se prolonger, cela contribuerait aussi à rétablir le sentiment de la nécessité de faire aboutir le dialogue. Et je crois que les Etats-Unis seront obligés d’intervenir, même s’ils ne contrôlent pas totalement la situation car ils ne sont pas une superpuissance aussi puissante qu’on le croit. Malgré tout, le Moyen-Orient est l’un des trois dossiers dans le monde où les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre de laisser filer les choses. Les deux autres étant l’Asie de l’est et l’Europe.
Q.: Ils peuvent quand même laisser pourrir la situation.
R.: Cela risque de créer une situation inextricable qui à terme aboutirait au développement du terrorisme, du fondamentalisme islamique, à l’encouragement de toutes les forces rétrogrades dans la région et finalement à une situation qui serait au détriment de tout ce qu’ont fait les Etats-Unis.

Netanyahu va
exaspérer Albright

Q.: Vous pensez que Washington va réagir dans des délais relativement courts pour essayer de débloquer le processus de paix?
R.: L’administration américaine a déjà commencé même si cela ne se fait pas d’une manière très spectaculaire. Mme (Madeleine) Albright n’a pas envie non plus de pratiquer les méthodes de (son prédécesseur) M. (Warren) Christopher qui voyageait un peu trop. Il ne suffit pas de se déplacer frénétiquement pour être efficace. Le dossier du Moyen-Orient est déjà pris en main. Tel que je vois Mme Albright, je pense qu’à un certain moment elle va être exaspérée par M. Netanyahu qui va susciter des réactions de tension et d’énervement. Dans ce Moyen-Orient énormément compliqué, il y a énormément de facteurs d’incertitude. Par exemple, M. (Yasser) Arafat peut disparaître du jour au lendemain. Il peut être assassiné. Un tas de choses peuvent arriver. Il peut y avoir des avancées et des reculades, mais l’important est la tendance, qu’il faut distinguer des aléas à court terme.
Q.: Vous évoquiez l’éventuelle disparition de Arafat. C’est quand même malheureux de construire l’avenir de toute une région sur les épaules d’un seul homme.
R.: Je dis que son éventuelle disparition provoquerait des perturbations pendant quelque temps, mais elle ne changerait pas le destin. Il n’en reste pas moins que le rôle des individus est important. En Afrique du Sud, s’il n’y avait pas eu Nelson Mandela et Frédérik de Klerk, l’apartheid n’aurait peut-être pas été démantelé aussi rapidement. C’est quand même très infortuné que Yitzhak Rabin ait été assassiné.
Q.: Vous avez mentionné le projet de M. Pérès. Vous avez dit que les Libanais, les Palestiniens et les Israéliens ont en commun cet esprit d’entreprise qui va favoriser l’émergence d’une ère de prospérité. Le projet de marché moyen-oriental repose-t-il sur ce trépied? Les autres pays de la région seront-il donc de simples satellites?
R.: Je parlerais plutôt de vision et non pas d’un projet structuré avec des chiffres, des dates... Nous vivons aujourd’hui dans un monde ouvert. La tendance est à l’ouverture et ceux qui réussissent ce ne sont pas ceux qui se ferment sur eux-mêmes, mais ceux qui s’ouvrent sur le monde extérieur. C’est en partie lié à l’évolution technologique. On dit souvent qu’il y a une espèce de fatalité pesant sur le monde arabe. Qu’il serait incapable de développement économique. Moi, je ne le crois absolument pas. Ces régions ont des ressources naturelles considérables et pas seulement le pétrole. Il y a aussi des ressources géographiques. Par exemple, le Liban est un pays béni des dieux par sa localisation. L’Afrique du Nord est extrêmement bien dotée...

La paix provoquera
une ouverture

Q.: Les ressources sont un des facteurs du développement. Mais il y a aussi le savoir qui n’est pas maîtrisé dans le monde arabe. L’Allemagne et le Japon ont le savoir et pas de ressources ce qui ne les a pas empêchés de se développer.
R.: Je ne pense pas. Il y a trente ans, de beaux esprits disaient que l’Asie et particulièrement la Chine étaient à jamais incapables de se développer. Pour expliquer leur théorie, ils affirmaient que le confucianisme était un obstacle au développement. Aujourd’hui, on dit que c’est grâce à ce même confucianisme que la Chine se développe. Pour ce qui est du monde arabe, un exemple m’avait frappé? Avant la guerre du Koweit, j’avais rencontré un certain nombre d’Irakiens. J’ai été extrêmement surpris par la qualité intellectuelle de ces gens. D’excellents ingénieurs. Il se trouve que la plupart de leurs ambassadeurs dans les grands pays étaient des ingénieurs chimistes. Si vous me demandez pourquoi, je vous dirai que c’est une autre histoire. Ils étaient de très haut niveau. Un pays comme l’Irak a été capable de mettre en place des industries d’armement et un certain nombre de choses pas faciles du tout. Imaginez que ces énergies aient été consacrées à des tâches autres que militaires. Un jour viendra où toutes ces énergies seront concentrées dans un sens plus constructif (...) C’est pour cela que j’ai une sorte d’optimisme fondamental qui n’est pas béat. Il est basé sur un raisonnement.
Q.: Vous pensez donc que les autres pays de la région ne seront pas des satellites du trépied Liban-Palestine-Israël?
R.: Absolument pas. Prenons par exemple la Syrie post-paix. Il y a aussi des talents dans ce pays. (...) La conséquence de la paix sera la libéralisation dans la région et les régimes de certains pays ne pourront plus rester repliés sur eux-mêmes et fonctionner sur la fermeture. Le degré des échanges internationaux ne pourra plus rester limité. La paix va provoquer une ouverture. Mais il faudra au moins dix ans pour que la paix puisse être établie.
Q.: L’Egypte a l’impression d’être exclue de cette sphère de prospérité qu’on promet à la région. Cela expliquerait la tension qui caractérise ses relations avec Israël et qui est apparue bien avant l’élection de Netanyahu. Rappelons-nous la crise du traité de non-prolifération des armes nucléaires.
R.: Je ne pense pas qu’il y a encore des «masters plans» et des projets bien concrets pour la région. C’est pour moi un saut dans l’inconnu. Il y aura une nouvelle situation quand la paix sera établie. Et la vraie paix passe par la Syrie et par le règlement de la question de l’Etat palestinien. Cela sera un nouveau monde. J’ai la chance d’avoir vécu dans deux mondes totalement différents. Celui d’avant 1989-1991 et celui d’après. Je pense à Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe qui a connu le monde de l’ancien régime et celui d’après les guerres napoléoniennes. Je veux dire que le monde dans lequel vous serez, vous, dans 20 ans sera totalement différent.
Q.: Chaque pays se prépare à entrer dans ce nouveau monde et à vivre cette paix de manière à servir les intérêts de son peuple. Tout le projet de reconstruction du Liban est axé vers l’avenir. C’est ce que l’Egypte essaye aussi de faire. On craint que, dans la paix, la suprématie militaire d’Israël soit subtilement remplacée par une hégémonie économique. L’Etat hébreu est bien mieux préparé. Il possède l’industrie, la technologie, le know-how et l’appui des Américains. Il ne lui restera plus qu’à puiser la main-d’œuvre bon marché dans les pays arabes. Le projet israélien est de faire par exemple de la région de Akaba le nœud des transports maritimes, le passage obligé pour les transports terrestres en direction du Golfe et cela au détriment de Charm el-Cheikh en Egypte. Ou encore de développer le port de Haïfa pour éclipser le port de Beyrouth...
R.: Nous sommes là dans l’état normal des relations internationales. Il y aura des concurrences entre l’Egypte et Israël et entre les autres pays de la région. Je comprends fort bien les appréhensions que vous évoquez. Mais on a toujours intérêt à la paix car l’alternative est l’état de guerre latent.

Intégrismes et frustrations

Q.: L’état de ni guerre ni paix n’est-il pas une bonne solution pour beaucoup de monde?
R.: Pendant un certain temps seulement. Cela veut dire qu’il y aura des poussées de fièvres, des destructions, des malheurs et des risques de dérapage. Il ne peut y avoir de développement économique dans ces conditions car les meilleures énergies, au lieu d’être consacrées précisément au développement, seront utilisées dans le secteur militaire. Inéluctablement, cela va nous conduire vers le renforcement des intégrismes et des frustrations. ceux qui disent qu’ils ne pourront pas tenir devant Israël font preuve de défaitisme et développent un complexe d’infériorité. Je suis en désaccord avec ces gens-là. Je pense que les peuples qui se trouvent dans la région ont les mêmes capacités que les Israéliens. Ceux-là ont certains atout il est vrai.
Q.: Et l’Europe dans tout cela...
R.: Je pense que l’Europe et le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient ont des complémentarités historiques et géographiques. Pour le moment, il se trouve que l’Europe ne peut pas exercer le rôle politique qu’elle devrait normalement jouer. Elle ne le peut pas, d’une part, parce que le processus d’unification est en cours, et d’autre part, parce que les Etats-Unis sont maîtres du jeu et entendent le rester pour un certain temps en tout. N’empêche que ce fait provisoire ne change pas la réalité des choses qui est la complémentarité. Sur le plan économique, il y a des cartes considérables à jouer et c’est l’Europe qui fournit la plupart de l’aide à la région. Après la paix, je pense que la coopération entre l’Europe et la région prendra une ampleur encore plus grande.
Q.: Pensez-vous que le Liban possède les atouts nécessaires pour jouer le rôle auquel il aspire dans un Proche-Orient pacifié?
R.: Si le Liban parvient à consolider sa réconciliation nationale et s’il se persuade lui-même et persuade les autres qu’il est là pour durer, je crois qu’en effet qu’il a les atouts nécessaires. La situation géographique de Beyrouth est extraordinaire...

Propos recueillis par
Paul KHALIFEH
Pour le directeur de l’Institut français de relations internationales, M. Thierry de Montbrial, de passage au Liban et que nous avons interrogé avant son départ, le processus de paix au Proche-Orient est irréversible, mais il faudra dix ans pour qu’il aboutisse. Selon lui, pour que la paix soit acceptée par les Israéliens il faut qu’elle soit faite par le Likoud, car toute solution ne...