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Actualités - ANALYSE

Les Libanais s'engageront-ils sur la voie tracée par Jean-Paul II ? Après l'euphorie , la réflexion

Le temps de l’euphorie est passé, vient maintenant celui de la méditation. Les chrétiens liront-ils l’Exhortation apostolique? Le feront-ils avec la ferveur, la sincérité et la foi qu’ils ont su exprimer en recevant le pape? S’ils se contentent des acclamations et des ovations faites à Jean-Paul II, ou encore des poignées de riz et de pétales de roses jetés au passage de son convoi, le souverain pontife aura mille raisons de croire que sa visite au Liban n’a pas atteint tous ses objectifs, en dépit de l’accueil triomphal qui lui a été réservé.
Le principal but de son voyage était de communiquer aux Libanais, plus particulièrement à la jeunesse chrétienne déboussolée, le fruit de ses réflexions et de celles des pères du synode. Et, sans aucune exagération, l’Exhortation apostolique pourrait servir de plateforme à un véritable dialogue national, tant les questions qu’elle aborde et les solutions qu’elle propose sont profondes et pertinentes.
L’Exhortation se veut plus grande que les contraintes immédiates du temps et de l’espace. Les frontières du Liban sont trop étroites pour elle. A travers les catholiques libanais, c’est à tous les chrétiens d’Orient et à leurs frères musulmans qu’elle s’adresse.
Jean-Paul II répond aux nombreuses interrogations et doutes qui rongent une partie des chrétiens. Il les rassure sur leur avenir dans la région; les incite à sortir de la torpeur dans laquelle ils se morfondent depuis des années; les encourage à vaincre leur morosité, à avoir foi en eux-mêmes. Il les appelle à mettre un terme à cet ostracisme volontaire et à participer à la vie publique.
Sur la nécessité de ne plus rester en marge de la société, le souverain pontife déclare: «Pour qu’un avenir serein se concrétise, je sais que cela suppose beaucoup de sacrifices, une ascèse personnelle constante qui fait qu’on exige de soi, avant de l’exiger des autres, une présence active, courageuse et persévérante aux affaires de la société» (chapitre 1, 17). Cela devrait susciter une profonde réflexion chez ceux qui pensaient, et qui continuent à croire, que le boycottage de la vie politique, avec tout ce que cela comporte comme marginalisation au sein de la société, est en soi un acte social et politique.
Jean-Paul II va plus loin. Il définit le cadre dans lequel doit se faire cette résurrection des chrétiens: réconciliation, unité, solidarité. On ne peut être plus clair: la liberté et la prospérité des chrétiens ne pourront s’accomplir sans les musulmans ou à leurs dépens. «Il importe de s’attacher à discerner d’abord et avant tout ce qui unit les Libanais en un seul peuple, dans une même fraternité qui, au Liban, se manifeste chaque jour, spécialement dans la convivialité. En outre, chrétiens et musulmans du Liban se considèrent les uns et les autres comme les partenaires de la construction du pays, et le désir de renforcer l’entente et la collaboration entre eux est de plus en plus vif dans les esprits», dit-il (chapitre 1, 14).
L’Exhortation apostolique énumère aussi dans un ordre assez significatif les principaux problèmes auxquels le Liban est confronté: «Je suis conscient des difficultés actuelles les plus importantes, dit le pape. L’occupation menaçante du Liban-Sud, la conjoncture économique, la présence des forces armées non-libanaises, le fait que demeure non totalement résolu le problème des déplacés, ainsi que le danger de l’extrémisme et l’impression pour certains d’être frustrés dans leurs droits».
Fallait-il que Jean-Paul II nous le dise pour que nous réalisions enfin que les priorités d’une partie des hommes politiques sont mal agencées? Que penser quand on voit que le Saint-Père évoque en premier lieu l’occupation israélienne du Liban-Sud, alors que, pour certains Libanais, il ne s’agit là que d’un problème mineur, le seul et véritable danger venant de la présence syrienne? Jean-Paul II ne manque pas de critiquer cette présence. Il prend toutefois soin de distinguer entre le caractère pesant, et lourd de l’influence de Damas au Liban et la réaction instinctive de rejet par une partie des chrétiens de leur environnement arabe. «C’est en effet un même destin qui lie les chrétiens et les musulmans au Liban et dans les pays de la région, dit-il. Les chrétiens du Liban et du monde arabe, fiers de leur héritage, contribuent activement au perfectionnement de la culture (...) Je voudrais insister sur la nécessité pour les chrétiens du Liban de maintenir et de resserrer leurs liens de solidarité avec le monde arabe. Je les invite à considérer leur insertion dans la culture arabe, à laquelle ils ont tant contribué, comme un lieu privilégié pour mener, de concert avec les autres chrétiens des pays arabes, un dialogue authentique et profond avec les croyants de l’islam» (chapitre V, section III).
La souveraineté, l’indépendance et la liberté du Liban sont évidemment soulignées par Jean-Paul II. Cependant, dans l’esprit du pape, ces valeurs ne peuvent pas être réalisées d’une manière abstraite et isolées des principes énoncés par l’Exhortation apostolique, à savoir le dialogue intercommunautaire et le renforcement des sentiments de fraternité et de solidarité entre les différentes composantes religieuses du peuple libanais. La souveraineté n’est donc plus l’affaire des seuls chrétiens et les musulmans ne sont pas responsables de l’aliénation de la décision nationale. Chrétiens et musulmans doivent concevoir ensemble l’avenir de leur pays, comme l’indique sans détour le texte de l’Exhortation.
Rien n’est laissé au hasard. La construction socio-économique et les valeurs sur lesquelles elle doit reposer sont aussi évoquées par Jean-Paul II. Dans son discours d’adieu, il a appelé à l’édification d’un «Etat social (...) juste et équitable», par opposition à l’Etat bâti sur le capitalisme sauvage, où la primauté va à l’argent au détriment de l’homme.
Certains seront tentés d’interpréter d’une manière erronée l’Exhortation apostolique; d’en sélectionner quelques idées, d’en déformer d’autres, pour renforcer leurs convictions sectaires et confessionnelles. Mais le texte est «un et indivisible». D’autres, encore, indisposés par son orientation plutôt modérée, seront tentés de ne faire référence qu’à l’appel final du synode, moins nuancé et qui avait suscité les inquiétudes d’une partie des Libanais. Toutefois, c’est d’un ciment susceptible de ressouder nos rangs que nous avons besoin. Si Jean-Paul II a choisi d’atténuer l’impact de l’appel final en insufflant à son exhortation un zeste de modération, c’est qu’il a bien compris, et avec lui le Vatican, où se trouve l’intérêt des chrétiens du Liban. Le nonce apostolique, Mgr Pablo Puente, est maintenant innocenté des crimes qu’on lui imputait contre les chrétiens. Ceux qui continuent à douter n’ont plus qu’à diriger leurs critiques vers Jean-Paul II, car c’est de sa propre main qu’il a signé l’Exhortation apostolique. Et c’est au chef de l’Eglise maronite, Mgr Nasrallah Sfeir, qu’il l’a confiée.

Paul KHALIFEH
Le temps de l’euphorie est passé, vient maintenant celui de la méditation. Les chrétiens liront-ils l’Exhortation apostolique? Le feront-ils avec la ferveur, la sincérité et la foi qu’ils ont su exprimer en recevant le pape? S’ils se contentent des acclamations et des ovations faites à Jean-Paul II, ou encore des poignées de riz et de pétales de roses jetés au passage de son...