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Lifestyle - La mémoire des podiums (1/6)

Azzedine Alaïa : la férocité féminine et ses « Panthères » indomptées

Cet été, « L’Orient-Le Jour » vous propose de revisiter six collections de couture mythiques qui, chacune à sa manière, a révolutionné les codes de la fashion sphère contemporaine. Pour ce premier numéro, retour sur les rugissements créatifs du plus insoumis des créateurs maghrébins.

Azzedine Alaïa : la férocité féminine et ses « Panthères » indomptées

La collection « Panthère » reste l’une des plus iconiques du designer. Photo tirée du compte Instagram @maisonalaia

17 juillet 1991. Le petit monde de la mode s’agite dans les beaux quartiers de Paris qui accueillent la Fashion Week. Fidèle à sa réputation d’antisocial préférant la douceur de vivre à l’italienne à l’exubérance de la mode tout droit venue du New York à l’ère post-Bush, Azzedine Alaïa invite une poignée de privilégiés à assister à un défilé dans le calme d’un salon discret sur les hauteurs de la capitale française. Le tout sans grand engouement, ni mise en scène superflue. Juste du silence, de l’attente, et soudain… des panthères. Ce qui devait être une présentation de vêtements comme une autre, se transforme, sous les regards ébahis, en une prise de pouvoir aussi imposante que novatrice.

Sous les mains du maître venu de Tunis, le léopard, le temps d’un simple tour de piste, cesse d’évoquer les bourgeoises européennes coincées en mal de sensations fortes. Il redevient ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un emblème d’indépendance, le sceau d’une féminité féroce et décomplexée. Et lorsque Naomi Campbell entre en scène, suivie d’une horde de supermodels à l’allure de prédatrices, le message ne fait plus aucun doute : la femme Alaïa ne se dissimule pas, elle règne.

Claudia Schiffer, l’une des supermodels des nineties. Photo tirée du compte Instagram @maisonalaia

L’essence d’Alaïa

Ce qui confère à cette collection son caractère unique, c’est avant tout la maîtrise avec laquelle Alaïa conjugue sensualité et rigueur technique – faite essentiellement de mailles, un moyen de créer qu’il adopte et qui devient, au gré des défilés, l’une de ses signatures. Très tôt, il développe un œil de sculpteur, fasciné par l’anatomie et l’harmonie des volumes. À son arrivée à Paris, il entre dans l’intimité de ses grandes clientes, ajuste ses créations au millimètre, et bâtit, dans le silence feutré de l’atelier, une œuvre résolument à contre-courant de son époque. Discret, presque secret, il privilégie l’écoute au discours, le geste à l’esbroufe. Son lien aux femmes n’est ni théorique ni distant : il les aime, les observe, les devine – et c’est peut-être là que réside le secret de sa coupe.

Sous son regard, le léopard acquiert une noblesse nouvelle. Bien plus qu’un simple motif, il devient le manifeste d’une élégance affranchie. Chaque pièce vibre d’une force organique, patiemment façonnée par la main et l’œil. Avec « Panthère », Alaïa amorce un tournant. En présentant ses conceptions hors calendrier, il réaffirme l’autonomie farouche de sa maison de haute couture, là où le vestiaire n’obéit à aucune règle, sinon les siennes.

Naomi Campbell, la petite protégée d’Alaïa. Photo tirée du compte Instagram @maisonalaia

Au moment du dévoilement de cette collection en 1991, la guerre du Golfe bat encore son plein et l’économie mondiale est au bord du précipice. Loin, comme toujours, des tumultes de la géopolitique et de ses dangers, la mode, elle entre dans une phase de réinvention dans une indifférence médiatique et sociale quasi générale au départ. Les années 1980, marquées par les excès, cèdent la place à une esthétique plus sobre. Les créateurs abandonnent les silhouettes théâtrales au profit de lignes pures et de tonalités neutres. Une nouvelle ère s’amorce, portée par des figures comme Helmut Lang ou Jil Sander. Dans ce climat de transformation, Alaïa poursuit un parcours singulier. Une fois n’est pas coutume.

Ses « filles », son combat

Pour mieux comprendre le mode de fonctionnement d’Azzedine Alaïa, il suffit d’admirer ses muses qui occupent toutes une place centrale dans son processus créatif. Plus que des égéries, elles sont ses complices, les filles qu’il n’aurait jamais pu avoir. Naomi Campbell, Farida Khelfa, Stéphanie Seymour, ou encore Grace Jones, elles représentent, chacune à sa manière, une présence inspirante avec qui il entretient un lien intuitif entre deux séances de confidences nocturnes dans son loft parisien. 

Yasmeen Ghauri, autre figure orientale et inspiration du célèbre couturier. Photo tirée du compte @maisonalaia

À travers elles, Alaïa façonne des vêtements comme des secondes peaux, à l’écoute des mouvements de jeunes filles qu’il rêve en déesses. Toutes, ou presque, présentes en ce soir d’été 1991, témoignent sur le podium d’une assurance déconcertante. Pour les besoins des « dames panthères » qui éblouissent les plus rancunières des journalistes modeuses, elles parcourent les vingt mètres qui leur sont dédiés dans des costumes raffinés aux couleurs sombres des inspirations du moment. Preuve qu’elle reste l’une des collections les plus emblématique de son ère, trois décennies plus tard, « l’esprit Alaïa » du début des nineties continue d’inspirer celles qui osent. Campbell ravive souvent l’âme de cette année-là sur les tapis rouges, tandis que Kim Kardashian a été aperçue en 2019 en combinaison léopard emblématique du designer. Aujourd’hui encore, l’héritage « Panthère » reste vibrant. Sous la direction de Pieter Mulier, à la tête de la maison depuis 2021, la maison Alaïa continue de réinventer son langage sans jamais trahir ses fondations. Chaque pièce s’affirme comme une déclaration d’intention.

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Un détail méconnu reste cependant à relever : le motif léopard n’était pas un simple ornement textile. Il avait été conçu pour épouser les lignes musculaires du corps féminin, suivant les courbes avec une précision quasi anatomique. Une prouesse technique qui ne passe pas inaperçue dans les coulisses du show. Vogue salue le travail du couturier, évoquant un « magnétisme animal », tandis que certains critiques s’interrogent sur l’exclusivité de ces pièces ultramoulantes. Là où certains y voient un hommage exalté à la souveraineté féminine, d’autres pointent un paradoxe : comment concilier émancipation et vestiaire réservé à une certaine morphologie ?

Alaïa défend cependant très rapidement une mode libératrice, célébrant la puissance de la nudité. Selon lui, cette vision qui lui est venue à l’hiver 1991 marque la fin d’un minimalisme austère au profit d’un luxe presque tribal, où la matière caresse le corps sans jamais le contraindre. Peu importe ce qu’en diront les mauvaises langues…

Christy Turlington, force tranquille. Photo tirée du compte Instagram @maisonalaia

Comment recréer le rêve en 2025 ?

Pas besoin d’un podium pour rugir. Si la robe léopard du look 23 reste un Graal, l’attitude, elle, se shoppe et se porte, avec assurance où que vous soyez. Nos propositions : 

Le corps comme point d’ancrage : Pour capturer cette sensualité seconde peau, deux options : la Mimi Mini Dress de Loba (env. 190 €), coupe affûtée, jersey stretch et minimalisme affirmé – parfaite sous un blazer oversize ou un cardigan fluffy. Ou la Vivi Mini Dress chocolat signée Miaou (env. 300 €). Deux coupes précises, matières nerveuses, prêtes à épouser chaque courbe avec aplomb.

Le jeu de transparence : Essayez l’ensemble Leopard Burnout Mesh : collants, bodysuit et gants coordonnés (env. 650 €). Une réinterprétation théâtrale – mais jamais gratuite. Ici, la transparence devient un langage de peau.

L’élégance en contraste : Côté superposition, on hésite entre deux approches : la douceur rétro du Peggy Cardigan de House of Sunny (env. 140 €) ou la dégaine plus brute du blazer oversize en laine effet usé léopard de R13 (env. 1 200 €). Deux énergies, même intention : embrasser le chaos avec style.

L’accessoire qui tranche aux pieds, on reste fidèle à la rigueur Alaïa avec des mules en cuir verni (env. 890 €). Alternatives raffinées : les modèles structurés de Saint Laurent ou Amina Muaddi, entre tranchant et glamour sculptural.

L’attitude comme signature : Maquillage lumineux, regard souligné d’un trait électrique, port de tête altier : l’allure ne s’improvise pas. Elle se construit dans le détail, mais se révèle dans l’intention.

17 juillet 1991. Le petit monde de la mode s’agite dans les beaux quartiers de Paris qui accueillent la Fashion Week. Fidèle à sa réputation d’antisocial préférant la douceur de vivre à l’italienne à l’exubérance de la mode tout droit venue du New York à l’ère post-Bush, Azzedine Alaïa invite une poignée de privilégiés à assister à un défilé dans le calme d’un salon discret sur les hauteurs de la capitale française. Le tout sans grand engouement, ni mise en scène superflue. Juste du silence, de l’attente, et soudain… des panthères. Ce qui devait être une présentation de vêtements comme une autre, se transforme, sous les regards ébahis, en une prise de pouvoir aussi imposante que novatrice.Sous les mains du maître venu de Tunis, le léopard, le temps d’un simple tour de piste, cesse d’évoquer...
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