On appelle un tourbillon violent une tornade. Celle-ci était un peu particulière en ce sens qu’on lui avait confié la mission de se déployer au Liban, et de happer tout ce qui ne lui plaisait pas.
Dès son entrée dans l’espace libanais, la première chose qu’elle remarqua fut l’emprise des grandes familles sur tout ce qui respirait. Politique, économie, médias, les familles contrôlaient les structures du pays, donc le gagne-pain de tout un peuple, agenouillé pour préserver sa survie.
Ensuite les clergés firent leur apparition. Multiples et puissants, ils étaient incontournables, face à un peuple à qui on vendait dieux et prophètes à gogo.
Elle lut la presse et regarda les chaînes de télé. Choquant de constater la partialité et les partis pris, d’un média à l’autre. On aurait du mal à croire être dans un même pays. Même les feuilletons du soir étaient dégradants. Décidément.
Ensuite, elle se rendit dans une banque. La faillite avait fait son travail. Des clients pétrifiés. Des guichets arrogants. Une directrice devenue paranoïaque. Des videurs à la porte qui se prenaient pour Jupiter.
La tornade décida de voir les ambassades. Elle en avait choisi quelques-unes, les plus célèbres. Des édifices mystérieux et secrets sortis de contes de fées. Dans les salons haut de gamme, on complotait. Dehors, des files interminables pour obtenir un visa, ne serait-ce que pour quelques jours.
Puis elle tenta sa chance auprès des ministères qu’on appelle, drôlement, souverainistes. Fenêtres et portes fermées. On lui refusa poliment l’entrée. Alors, elle eut l’idée de se déguiser en femme fatale : costume parisien jupe courte, perruque coupe années 60, escarpins en peau de lézard, rouge à lèvres fuchsia, lentilles yeux bleus, lunettes cadre noir. Les portes perdirent leur secret et s’ouvrirent sur des hommes ébahis qu’on aurait dit venus d’un siècle méconnu des livres d’histoire.
Elle entreprit de faire un tour des prisons. Elle ne trouva que les délinquants de droit commun. Les gangsters de droit public n’y étaient point.
Dans sa longue tournée, elle s’en alla place de l’étoile. Surnom datant du mandat français. Quelques soldats ennuyés gardaient la porte iconique du parlement. Elle aborda l’un d’eux, un moustachu qui puait le narguilé. Il lui conseilla gentiment de revenir le lendemain, la session du jour ayant été annulée pour des raisons qui ne la regardaient pas.
Dans la rue adjacente, elle croisa une sorcière, nommée corruption, qui prit son temps pour expliquer que sans sa présence, rien n’allait plus, le moulin s’arrêtait. La tornade fit semblant de comprendre. La sorcière lui conseilla même de traverser la rue, et rencontrer ses vieux cousins, le confessionnalisme et le clientélisme. Ils lui en diraient plus, affirmait-elle. Il y avait aussi le militantisme, vieille tradition au pays des merveilles. La tornade eut un petit sourire pour la remercier, promettant de revenir la voir dès que sa tournée était bouclée.
Là-haut dans le ciel, elle entendit le bourdonnement du drone devenu l’ami inséparable d’une capitale qu’on avait déjà décapitée. Tel un moustique, il scrutait les points sensibles de la peau d’une ville, mille fois brûlée, avant de la piquer.
Vers la fin de son épopée, elle prit soin de lire la Constitution. Elle n’y a rien compris, bien qu’elle fût elle-même juriste pour quelque temps.
Elle eut l’idée d’inspecter l’armée, fauchée, les champs pétroliers, inertes, la Finul, passive. Elle aurait voulu voir de près la misère des camps de réfugiés. Mais c’en était trop pour une seule journée.
Alors, elle décida d’emporter d’un coup de tourbillon tout ce qu’elle avait vu, avec la force que seule une tornade pouvait avoir. En attendant de revenir le lendemain. Il restait des choses à voir. Elle en était certaine.
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