On a souvent attribué à André Malraux une phrase qu’il n’a probablement jamais prononcée, et selon laquelle, ce siècle « sera religieux ou ne sera pas ». Je suppose que les derniers mots, « ou ne sera pas », signifient qu’on ne pourra s’orienter dans le labyrinthe de la vie moderne sans quelque boussole spirituelle. Ce siècle est encore jeune, mais l’on sait déjà que les hommes pourraient s’égarer avec la religion comme ils pourraient s’égarer sans elle. J’espère, nous amener, à une appréciation plus juste de la place que la religion devrait occuper dans nos vies.
L’humanité vient d’expérimenter, en deux ou trois générations, tant de dérives contradictoires. Celle du communisme et celle du capitalisme, celle de l’athéisme et celle de la religion. Devrions-nous nous résigner à ces oscillations et aux dérèglements qui en résultent ? Ne sommes-nous pas suffisamment échaudés pour vouloir tirer les leçons de ces épreuves ? Et pour désirer sortir enfin de ces dilemmes débilitants ?
Veuille-t-on prôner une échelle de valeurs fondées sur la culture ? Et considérer cette culture comme un domaine parmi d’autres, ou bien comme un moyen d’agrémenter la vie pour une certaine catégorie de personnes ? C’est comme on se trompe de siècle, ou de millénaire. Aujourd’hui, le rôle de la culture est de fournir à nos contemporains les outils intellectuels et moraux qui leur permettront de survivre – rien de moins.
Ces dizaines d’années additionnelles dont la médecine nous fait cadeau, comment allons-nous les meubler ? Nous sommes de plus en plus nombreux à vivre plus longtemps, et mieux. Forcément guettés par l’ennui, par la peur du vide. Forcément tentés d’y échapper par une frénésie consommatrice. Si nous ne souhaitons pas épuiser très vite les ressources de la planète, il nous faudra privilégier autant que possible d’autres formes de satisfaction, d’autres sources de plaisir, notamment l’acquisition du savoir et le développement d’une vie intérieure épanouissante.
Nous devrons profiter longtemps et pleinement de ce que la vie nous offre, pour être contraints de modifier nos comportements. Non pour réduire notre palette de sensations, mais au contraire pour l’élargir, pour la rehausser, pour chercher d’autres satisfactions qui pourraient se révéler intenses.
Qu’on privilégie l’apprentissage à tous les âges de la vie, en encourageant tous nos contemporains à étudier des langues, à se passionner pour les disciplines artistiques, à se familiariser avec les diverses sciences, afin qu’ils soient capables d’apprécier la signification d’une découverte en biologie ou en astrophysique. La connaissance est un univers incommensurable, nous pourrions tous y puiser sans retenue, notre vie entière, nous ne l’épuiserions pas. Mieux encore : plus nous y puiserons, moins nous épuiserons la planète.
Il me semble que le moment est venu de modifier nos habitudes et nos priorités pour nous mettre plus sérieusement à l’écoute du monde où nous sommes embarqués.
Si nous tenons à préserver la paix civile dans nos pays, dans nos villes, dans nos quartiers, comme sur l’ensemble de la planète, si nous souhaitons que la diversité humaine se traduise par une coexistence harmonieuse plutôt que par des tensions génératrices de violence, nous ne pouvons plus nous permettre de connaître « les autres » de manière approximative, superficielle, grossière. Nous avons besoin de les connaître avec subtilité, de près, je dirai même dans leur intimité ! Ce qui ne peut se faire qu’à travers leur culture. Et d’abord à travers leur littérature. L’intimité d’un peuple, c’est sa littérature. C’est là qu’il dévoile ses passions, ses aspirations, ses rêves, ses frustrations, ses croyances, sa vision du monde qui l’entoure, sa perception de lui-même et des autres. Parce qu’en parlant des « autres » il ne faut jamais perdre de vue que nous-mêmes, qui que nous soyons, où que nous soyons, nous sommes aussi « les autres » pour tous les autres.
Un citoyen a besoin de connaître en profondeur et avec subtilité, le monde qui l’entoure. S’accommoder de l’ignorance, c’est renier la démocratie, c’est la réduire à un simulacre.
Le combat pour « maintenir le monde » sera ardu, mais le « déluge » n’est pas une fatalité. L’avenir n’est pas écrit d’avance, c’est à nous de l’écrire, à nous de le concevoir, à nous de le bâtir : avec audace parce qu’il faut oser rompre avec des habitudes séculaires, avec générosité parce qu’il faut rassembler, rassurer, écouter, inclure, partager. Et avant tout avec sagesse.
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