
Élie Saab, le couturier des stars. Photo Élie Saab
Il n’aime pas donner d’interviews, Élie Saab. Il n’a jamais voulu « se mettre devant son produit ». Invité par Léa Salamé sur France Inter le 5 février, il accepte pourtant ce délicat exercice pour le plus grand bonheur des auditeurs, surtout les Libanais d’entre eux que cette rencontre entre deux géants des leurs a profondément émus. L’humilité, la sincérité et l’empathie qui se dégageaient de cette interview se répercutaient sur leur propre image, longtemps assombrie par la perception déglinguée que le Liban donnait de lui-même, ces dernières années, au reste du monde. Si vous étiez un pays ? « Avec fierté, le Liban », répond Élie Saab. Un vêtement ? « Un manteau, pour réchauffer, protéger, réconforter. » Une femme puissante ? « Une mère. » Un livre ? « Sinon la Bible, parce que c’est trop cliché, Le Prophète de Khalil Gibran. » Le créateur n’est pas francophone, mais il joue le jeu avec courage, sans retenue, cherchant parfois ses mots et les trouvant avec précision, encouragé par la journaliste.
« Je me suis demandé : “Qu’est-ce que je veux faire pour gagner de l’argent ?” »
Il parle de son enfance dans la guerre, la maison familiale détruite, le père, commerçant en bois, qui a tout perdu et ne sait comment se refaire et lui, petit bout d’homme de 10-11 ans, qui sait déjà faire des robes et se lance carrément dans cette industrie pour soutenir la famille et « gagner de l’argent ». Il conçoit alors une ligne de prêt-à-porter que les clientes achètent sur cintres sans savoir que le créateur en est un enfant. Voici, avec ses mots : «C’est pour ça que j’ai décidé que je voulais faire de la couture, de la création. J’étais un jeune garçon et je me suis demandé : “Qu’est-ce que je veux faire pour gagner de l’argent ?” J’ai pensé que c’était la meilleure chose, faire des habits et les vendre. Pour aider ma famille, mes frères, mes sœurs, mes parents. Et vraiment, j’ai commencé parce que je me suis dit que c’était la seule chose où je pouvais ramener de l’argent pour la famille. »

Secrets du miracle : « La confiance, l’amour, le respect »
Prodigieux chemin que celui de ce travailleur acharné dont la voie est tracée de miracles : Halle Berry recevant en 2002, vêtue d’une de ses robes (haut fleuri en broderie tatouage sur tulle et grande jupe à volant en faille de soie pourpre drapée bas sur la taille), le premier Oscar de la meilleure actrice remis à une femme de couleur ; et puis en novembre 2024 Céline Dion, dont la maladie invalidante n’est un secret pour personne, acceptant de venir célébrer les 45 ans de la maison Élie Saab à Riyad, mieux, de chanter et danser sur le podium entourée des mannequins portant les robes les plus iconiques du couturier depuis ses débuts… « La confiance, l’amour, le respect », répond le couturier pour qui ces trois mots sont la clé du secret.
Auriez-vous imaginé que vos robes seraient portées par les stars du monde entier, que vous auriez à ce point contribué à mettre le Liban sur la carte du monde ? Le couturier répond que dès son premier défilé à Rome, il en a eu l’intuition. Dans les faits, dès le défilé qu’il donne au Casino du Liban pratiquement sous les bombes, au début des années 1980, il pressent que l’énergie positive que véhicule cet événement est plus forte que la guerre. Très vite, le monde deviendra de plus en plus étroit devant la dimension de ses rêves, lui qui n’a pas vraiment eu le choix de sa carrière, s’y lançant par nécessité, parce que c’est quelque chose qu’il savait faire, inconscient du génie qui l’habitait.
Donner corps à l’irréel et chair à un idéal féminin
Et c’est de rêve qu’il s’agit une fois de plus dans la collection printemps-été 2025 présentée à la dernière semaine parisienne de la haute couture. Les nuances pastel, sa palette de prédilection, sont amplement présentes, contribuant à dérouler un moment onirique, une impression éthérée « comme un trait de pinceau dans une composition harmonieuse », précise le manifeste. La première image qui vient à l’esprit est celle d’un romantisme échevelé, une iconographie préraphaélite avec ses plissés translucides en cascade, ses tissus vaporeux, ses effervescences florales. Il y a là une ambition claire et passionnée de donner corps à l’irréel et chair à un idéal féminin qui n’existe que dans les musées, tracé par de grands peintres dont Élie Saab tente de pénétrer l’imaginaire. « Inspirée par l’éclat romantique d’un jardin impressionniste, chaque silhouette de cette collection éthérée s’inscrit comme un trait de pinceau dans une composition harmonieuse. De la palette de pastels oniriques aux lignes fluides des silhouettes, ces portraits lumineux s’assemblent en un tableau transportant, à la fois intensément féminin et puissamment délicat », détaille encore le manifeste.

Du denim dans la haute couture
La grâce du lys se reflète dans les pétales bordés d’argent, sculptés sur la peau en inflorescences de soie. La muse énigmatique d’Élie Saab est une toile en perpétuelle métamorphose, sa beauté variant au gré de ses pas entre bosquets ombragés et clairières baignant dans la lumière. Dans un tissage entrecroisé de tresses d’étain, constellé de perles scintillantes, elle se perle de rosée. Dans un souffle vaporeux de vert lime, bourgeonnant de camélias diaphanes, elle capture toute l’exubérance fragile du printemps. Drapée telle une colonne de mousseline, elle devient une statue sereine, se fondant dans un halo de lumière, le dos ciselé d’argent chatoyant. Une manche diaphane dévoile une branche somptueusement brodée en un saisissant trompe-l’œil. Dans le clair-obscur d’une clairière, une auréole de tiges dorées et élancées se mêle à l’éclat de sa chevelure. À l’approche du crépuscule, le tableau s’illumine d’un enchantement absolu : la femme Élie Saab émerge d’un écrin nuptial, drapée dans des couches infinies de tulle cristallisé, disparaissant dans le souffle éblouissant d’une double traîne. Inattendu, le lapis profond d’un denim enveloppe son corps, réinventant la forme d’une rose.
La grande surprise de cette collection est en effet l’introduction du denim dans la haute couture. Symbole de jeunesse et de liberté, la toile de jeans dépoussière discrètement le genre de la haute couture que trop de codes finissent par figer dans une somptuosité hiératique. En 45 ans de métier, Élie Saab se renouvelle encore, prend des risques et touche au cœur, offrant une vision d’avenir tout en s’ancrant dans le présent, sincère, sensible, encore accroché à son rêve d’enfant et à l’exemple de son père, aspirant sans cesse à rejoindre au plus près l’idéal de beauté qui l’habite.
En développement continu, la maison Élie Saab qui s’est diversifiée dans l’immobilier, le meuble et le parfum annonce l’addition d’une ligne de maroquinerie sous la direction artistique de Marina Raphael, quatrième génération des cristaux Swarovski. Mais c’est une autre histoire.
C est l un des plus grand je l ai salué a Barcelone où il présentait avec Pronovias ses marques Bravo c est un grand Monsieur pétri de talent
14 h 56, le 13 février 2025