Je suis la guerre civile. Foudroyante. Sanguinaire. Vicieuse. Dévastatrice. Imprévisible. Raciste. Confessionnelle. Ethnique. Ignoble. Et par-dessus tout, célèbre.
J’éclate où bon me semble, quand je veux. C’est ça la liberté. Oui, la liberté est très à la mode. Tout le monde le sait.
Je me faufile partout, pourvu que le sang coule. Quelques gouttes ? Il n’en est pas question. Je ne m’investis que dans les grands projets. Ce n’est pas pour rien que j’ai fait une grande école. Ça me donne de la crédibilité, et comme ça, on me croit et on me suit sur parole. Une parole d’honneur. Parce que l’honneur est une valeur sur laquelle les idiots ne tergiversent pas.
Question d’argent ? Non, jamais. Mon job est bien rémunéré. Je gagne des centaines de millions, voire plus. Une guerre, ça coûte cher. Heureusement, j’arrive toujours à trouver des sponsors. C’est bien le capital, non ? Marx a écrit tout un livre sur ce sujet. Ça permet de faire la grande fête, et de changer de menu à la minute.
Je produis des milliers, voire des millions de morts. Il faut bien produire quelque chose. Surtout des civils, que j’endoctrine moi-même, minutieusement. Les militaires ne m’intéressent guère. Eux se font un autre genre de guerre. Les miennes sont intimes. C’est bien d’être en famille. Fraternité exige.
On y est presque, liberté, égalité, fraternité. Robespierre ne fut pas guillotiné pour rien.
Ma stratégie ? Pour être rentable, faut que ça dure, une guerre. Sinon, ce n’est pas la peine de la commencer. Alors j’attends un peu, si l’herbe n’est pas prête à être tondue. Je prépare avec précaution, fournissant mon assistance à tous les protagonistes, simultanément. J’aide tout le monde, à part égale. C’est bien l’égalité. Et comme ça, je garantis ma longévité.
J’ai fait la Yougoslavie, le Rwanda, la Lybie, le Soudan, Myanmar, l’Éthiopie, la Syrie… et j’en oublie. La guerre a la mémoire courte. C’est bien dommage que j’eusse raté la guerre américaine, et celle de Russie et d’Espagne. Je n’étais pas en âge.
Dernièrement, j’ai raté le Liban de peu à plusieurs reprises. Oui, le Liban a de bonnes chances de redevenir un client. Et pas n’importe lequel. Mes grands-parents en savent quelque chose. Le métier de bourreau se transmet de père en fils. Vive l’artisanat…
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