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Nos Lecteurs ont la Parole

La violence institutionnelle est silencieuse

La question de la violence se décline en plusieurs temporalités : « Ça va péter, ça devrait péter, ça aurait dû péter. » Face à l’insurrection attendue, à la révolte espérée ou redoutée, que faire ? Faut-il continuer à contenir cette énergie sous prétexte qu’elle constitue un piège ? Ou au contraire, la reconnaître et chercher à la transformer ? Et si la véritable catastrophe résidait dans son absence ? À chaque nouvelle agression – sociale, économique, politique –, on s’attend à un sursaut, à une réaction qui répondrait à l’insupportable. Mais non. Toujours, rien.

Parallèlement, il existe une autre forme de violence, omniprésente mais largement ignorée. Cette violence est organisée, discrète, presque invisible, car elle se masque sous l’apparence de la neutralité. Elle se manifeste dans l’économie, sous la forme d’une violence froide et systématique. Impersonnelle, elle n’est pas revendiquée directement par ceux qui en tirent profit, mais elle est subie et parfois même intégrée par ceux qu’elle écrase. Pourtant, cette violence économique n’en est pas moins méthodique, calculée et redoutablement efficace. Contrairement à la violence explosive des révoltes, elle est stable, continue et banalisée, ce qui la rend d’autant plus destructrice.

Naomi Klein l’a désignée sous le nom de « stratégie du choc » : un mécanisme insidieux qui ne brutalise pas de manière spectaculaire, mais érode de façon structurelle. Cette violence prétend agir dans l’intérêt des victimes mêmes qu’elle détruit, ce qui la rend d’autant plus perverse. Elle ne relève plus de l’accident ou de l’exception, mais s’inscrit comme une routine, une répétition sourde et essentielle dans nos existences quotidiennes.

La violence silencieuse est une forme insidieuse de maltraitance qui se cache dans les replis du quotidien, souvent invisible aux yeux extérieurs. Contrairement aux formes de violence physique ou verbale, elle ne laisse pas de marques visibles ni de cris perçants. Elle s’infiltre dans les relations, les familles, les lieux de travail, et même dans les dynamiques de pouvoir au sein de la société, laissant des cicatrices profondes sur les personnes qui la subissent. Cette forme de violence est faite de regards froids, de mots tus, de silences imposés et de mépris implicites.

Elle dévalorise, isole et mine progressivement la confiance et l’estime de soi de la victime, la laissant en proie à une douleur intangible mais bien réelle.

La violence silencieuse prend de nombreuses formes : ignorance délibérée, absence d’affection, manipulation émotionnelle, menaces implicites, retrait de communication, ou encore contrôle insidieux des comportements et des choix de l’autre. Elle peut se manifester dans des gestes anodins en apparence : l’indifférence face aux besoins de l’autre, le retrait constant de l’attention ou encore la minimisation des émotions de la victime. En couple, au sein d’une famille ou dans le cadre professionnel, la violence silencieuse peut provoquer un sentiment de non-existence, comme si la personne n’avait plus de valeur aux yeux de l’autre.

Les effets de cette violence sont dévastateurs. Bien qu’elle n’entraîne pas de blessures visibles, elle fragilise psychologiquement. En étant ignorée, critiquée implicitement ou sans cesse rabaissée, la victime en vient souvent à douter de sa propre valeur. Elle peut développer des sentiments de honte, de culpabilité, d’anxiété et même de dépression. Ce type de violence peut créer un environnement de peur constante, car la victime ne sait jamais quand ou comment elle sera ignorée ou punie. Avec le temps, elle peut en venir à s’autocensurer, à changer sa façon de se comporter et à vivre sous une pression permanente pour éviter de « provoquer » cette indifférence ou ce rejet.

Reconnaître la violence silencieuse est essentiel pour y mettre fin, mais elle est particulièrement difficile à déceler. Les victimes elles-mêmes peuvent mettre longtemps avant de comprendre qu’elles subissent une forme de maltraitance. Souvent, elles rationalisent les comportements de l’autre, se disant que le silence ou le mépris est passager. Cependant, la répétition de ces comportements est un signe clair d’une dynamique toxique et d’un abus psychologique. C’est pourquoi la sensibilisation à ce type de violence est cruciale : apprendre à reconnaître les signes de violence silencieuse permet non seulement aux victimes de sortir de l’isolement, mais aussi aux proches d’apporter leur soutien.

Briser le cycle de ce type de violence silencieuse nécessite un immense courage, car cette violence cherche souvent à asservir l’autre par la honte et le doute. En parler, que ce soit à un ami, un thérapeute ou un conseiller, peut être une première étape pour sortir de cet engrenage destructeur. La communication ouverte est une arme essentielle pour contrer la violence silencieuse, car elle permet de mettre des mots sur des souffrances jusque-là invisibles.

Il faut, pourtant, chaque jour se souvenir que les bourreaux se déguisent en douces victimes éperdues, salissent ceux et celles qui osent leur résister ou ceux, tout simplement, dont l’existence dérange. La violence silencieuse est une forme d’abus profondément corrosive, mais elle n’est pas invincible. En la nommant, en la reconnaissant et en ouvrant le dialogue, il est possible de se libérer de son emprise. Elle nous rappelle que le silence, en tant qu’arme, est tout aussi puissant et dangereux que les mots ou les gestes, et qu’il est de notre responsabilité de ne pas laisser cette violence invisible se normaliser.

BA, MD, psychologue

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La question de la violence se décline en plusieurs temporalités : « Ça va péter, ça devrait péter, ça aurait dû péter. » Face à l’insurrection attendue, à la révolte espérée ou redoutée, que faire ? Faut-il continuer à contenir cette énergie sous prétexte qu’elle constitue un piège ? Ou au contraire, la reconnaître et chercher à la transformer ? Et si la...
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