Les attaques répétées contre le personnel paramédical, les hôpitaux et les centres médicaux au Liban constituent des « crimes de guerre apparents », a dénoncé Human Rights Watch (HRW), en soulignant des similitudes croissantes avec Gaza.
Dans un nouveau rapport publié mercredi 30 octobre, l’organisation internationale de défense des droits de l’homme recense trois cas dans lesquels elle a pu déterminer que les forces israéliennes avaient « illégalement frappé des personnels médicaux, des véhicules de transport médical et des installations médicales » au Liban.
Le personnel médical et les installations sanitaires sont protégés par le droit international humanitaire, ils « doivent être respectés et protégés en toutes circonstances », rappelle l’ONG. « Ils ne perdent leur protection que s’ils commettent, en dehors de leur fonction humanitaire, des “actes nuisibles à l’ennemi”. » Or, « dans aucun des cas sur lesquels nous avons enquêté, nous n’avons constaté que c’était le cas », a déclaré Ramzi Kaiss, chercheur sur le Liban pour Human Rights Watch, à L’Orient Today. En outre, selon le statut de la Cour pénale internationale, le fait de « diriger intentionnellement des attaques » contre le personnel médical constitue un « crime de guerre ». Les autorités israéliennes n’ont pas répondu à la demande de commentaire de HRW. Toutefois, dans une réponse précédemment adressée au Guardian, elles ont affirmé que ses forces opéraient « en stricte conformité avec le droit international (et) prenaient toutes les précautions possibles afin d’atténuer les dommages causés aux civils au cours des activités opérationnelles ».
Au Liban, les frappes israéliennes ont tué au moins 163 travailleurs de santé et secouristes et endommagé 158 ambulances et 55 hôpitaux au cours de l’année écoulée, selon les derniers chiffres publiés par le ministère libanais de la Santé le 25 octobre. À Gaza, plus de 500 professionnels de la santé ont été tués par les bombardements israéliens depuis le 7 octobre 2024, selon les Nations unies.
La majorité des professionnels de la santé tués au Liban l’ont été au cours du dernier mois et demi, à la suite de l’escalade radicale de la guerre par Israël. « C’est extrêmement préoccupant, a déclaré M. Kaiss. Nous avons parlé à un membre du Comité islamique de la santé qui nous a dit que depuis octobre 2023, ils ont perdu 70 auxiliaires médicaux, dont 60 ont été tués entre la mi-septembre et le mois d’octobre. »
Frappe sur un centre de santé à Bachoura
Le premier des trois cas sur lesquels HRW a enquêté est une frappe israélienne nocturne qui a touché un centre de la Défense civile appartenant au Comité islamique de la santé, affilié au Hezbollah, le 3 octobre dans le quartier de Bachoura, à deux kilomètres du centre-ville de Beyrouth. Le centre, situé au troisième étage d’un immeuble résidentiel, fournissait des services de sauvetage et de premiers secours aux habitants de la capitale ainsi qu’aux personnes déplacées.
Sept des neuf personnes tuées faisaient partie du Comité islamique de la santé et se reposaient dans le centre après une journée de sauvetage dans la banlieue sud de Beyrouth. Le rapport de HRW met également en doute les suggestions circulant sur les médias sociaux selon lesquelles deux des personnes décédées étaient membres du Hezbollah, affirmant qu’il n’a pas trouvé de preuves suffisantes pour le confirmer.
Attaque contre le personnel paramédical à Marjeyoun
À peine 24 heures plus tard, le 4 octobre, sept ambulanciers du Comité islamique de la santé ont été tués « lors d’une attaque directe contre l’équipe d’ambulanciers » à l’hôpital gouvernemental de Marjeyoun, dans le sud du Liban, selon l’organisation.
Bien que la Défense civile libanaise soit présente, le Comité islamique de la santé et les scouts al-Rissala du mouvement Amal constituent les principaux services d’urgence dans le Sud.
L’infirmière en chef du service des urgences, Shoshan Hassan Mazraani, a déclaré à HRW que la frappe avait visé « directement les ambulances » alors qu’elles approchaient de l’hôpital.
HRW a fait une analyse croisée d’une photo prise le 4 octobre montrant une ambulance brûlée et d’une image satellite du 11 octobre de la zone autour de l’hôpital de Marjeyoun montrant le véhicule brûlé.
« L’armée israélienne n’a pas fourni publiquement de preuves que l’hôpital de Marjeyoun ou les ambulances ciblées près de l’entrée étaient utilisés pour mener des actes hostiles », tels que l’utilisation d’ambulances pour transporter des armes et des combattants, indique le rapport.
Depuis ces frappes, l’hôpital est fermé. Le Premier ministre sortant Nagib Mikati a condamné ces frappes qui, selon lui, « violent le droit international et les normes humanitaires établies ».
Frappe sur l’hôpital Salah Ghandour à Bint Jbeil
Le même jour, neuf travailleurs hospitaliers ont été blessés, dont des médecins et du personnel médical, lorsqu’une frappe israélienne a touché l’hôpital Salah Ghandour à Bint Jbeil, dans le sud du Liban. Un obus a frappé la salle de garde, les deux autres la salle d’attente des ambulanciers, a constaté HRW.
« Nous avons découvert qu’un avertissement d’évacuation avait été donné à l’hôpital par l’intermédiaire des autorités locales, explique M. Kaiss. Les gens nous ont dit que les responsables israéliens leur ont donné quatre heures pour évacuer le personnel paramédical, mais l’hôpital a ensuite été attaqué deux heures et demie plus tard, blessant des employés et causant des dommages importants qui ont entraîné sa fermeture. »
Le lendemain, l’armée israélienne a publié une déclaration selon laquelle ses avions avaient attaqué « des terroristes du Hezbollah qui opéraient dans un centre de commandement situé à l’intérieur d’une mosquée adjacente à l’hôpital Salah Ghandour ». HRW affirme que l’armée israélienne n’a pas fourni de preuves publiques que l’hôpital ou la mosquée étaient utilisés pour commettre des actes hostiles.
Impact plus large sur le système de santé
Une autre préoccupation majeure mentionnée dans le rapport de HRW est l’impact plus large des frappes israéliennes sur le système de santé libanais.
Un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé a révélé que 100 des 207 centres de soins de santé primaires et dispensaires situés dans les zones touchées par le conflit au Liban sont désormais fermés, que ce soit en raison d’évacuations, de dommages structurels ou de leur proximité avec les bombardements.
« Le directeur d’un hôpital du Sud nous a dit qu’il avait été contraint d’interrompre ses activités parce qu’il recevait des avertissements d’évacuation, mais aussi parce qu’il n’avait pas été en mesure d’acheminer des fournitures médicales – du carburant et de l’eau – jusqu’à l’hôpital », a déclaré M. Kaiss. « L’impact n’est pas seulement sur le personnel de santé et les installations médicales, mais aussi sur le reste de la population civile et sur sa capacité à accéder aux soins nécessaires », poursuit-il.
Appel à la responsabilité
HRW a demandé à l’armée israélienne de « cesser immédiatement les attaques illégales contre le personnel médical et les établissements de santé ». Elle demande également aux alliés d’Israël de suspendre le transfert d’armes à ce pays, et à l’ONU d’ouvrir une « enquête internationale sur les récentes hostilités au Liban et dans le nord d’Israël ».
« Ce que nous avons vu au cours de l’année écoulée, c’est une documentation sur les violations du droit international humanitaire et les crimes de guerre, mais pas suffisamment de mesures prises par les États qui ont une influence sur Israël pour l’amener à modifier son comportement et à respecter les lois de la guerre », a déclaré M. Kaiss.
Outre la perte de personnel médical, l’année écoulée a été la période la plus meurtrière pour les journalistes depuis plus de 30 ans, selon le CPJ, avec au moins 126 reporters et travailleurs des médias parmi les quelque 45 000 personnes tuées à Gaza, en Cisjordanie occupée par Israël et au Liban, d’après Reuters. Au Liban, 1,4 million de personnes ont été déplacées depuis la fin du mois de septembre.