Une heure avant, depuis la tribune des Nations unies, il célébrait ses récents succès, avec une arrogance et une détermination non dissimulées. Il était clair que Benjamin Netanyahu n’avait aucune intention d’accepter la proposition de trêve franco-américaine, qu’il n’a même pas pris la peine de mentionner. Le Premier ministre israélien savait-il à ce moment-là que son aviation allait mener quelques dizaines de minutes plus tard une frappe, sans précédent depuis 2006, sur la banlieue sud de Beyrouth, visant le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et plongeant tout un pays dans une terrible inconnue ?
Plus rien ne sera désormais comme avant. En bombardant avec cette intensité la banlieue sud, réduisant six bâtiments en cendres, ce qui pourrait faire des centaines de morts, Israël a fait le choix d’une guerre totale avec le Hezbollah. En ciblant son secrétaire général, dont le sort est encore inconnu, il démontre qu’il n’a plus aucune limite dans sa volonté d’écraser la formation pro-iranienne. Cette dernière était dans une logique de retenue malgré les nombreuses gifles encaissées au cours de cette dernière semaine. Cette posture paraît toutefois impossible à tenir, d’autant plus si Hassan Nasrallah est mort après cette série de frappes.
Israël fait peut-être le calcul qu’un coup aussi sévère entraînera le Hezbollah et son parrain iranien à arrêter cette guerre, indépendamment de ce qui se passe à Gaza, et à accepter un accord de cessez-le-feu qui leur serait largement défavorable. En somme : frapper très fort pour faire capituler l’ennemi. Dans la même logique, Israël a conduit toute la nuit des frappes sur la banlieue sud, provoquant un sentiment de terreur et de panique dans toute la capitale, et donnant le sentiment de ne pas vouloir offrir le moindre répit à son adversaire.
Le Hezbollah et l’Iran n’ont jamais été confrontés à ce type de situation et leur réaction pourrait peut-être nous surprendre. En outre, nous ne savons presque rien des capacités opérationnelles du parti après une semaine dévastatrice où Israël a montré à quel point il s’était préparé à cette guerre depuis presque deux décennies. Le parti chiite a-t-il les moyens de s’engager dans une guerre totale ? Qui donne les ordres, si tout le commandement a été décapité ? Et l’Iran, qui craint plus que tout une confrontation directe avec les États-Unis, va-t-il désormais prendre ce risque pour éviter de perdre sa carte la plus précieuse au Moyen-Orient ?
Les inconnues sont encore très nombreuses à l’heure qu’il est. Mais il paraît très difficile d’envisager un scénario où le Hezbollah ne répond pas avec force à cette attaque. Dans le cas contraire, tout l’axe iranien serait nu : il ne resterait plus rien de sa capacité de dissuasion et par conséquent de sa crédibilité dans la région. Une forte réponse du Hezbollah, avec l’utilisation de centaines voire de milliers de missiles de haute précision, entraînerait toutefois une riposte encore plus forte de la part d’Israël qui traiterait alors la banlieue sud comme un second Gaza. Le Hezbollah n’a jamais été aussi acculé : c’est soit l’humiliation, soit la fuite en avant contre un adversaire beaucoup plus fort que lui. Alors que la banlieue sud était pilonnée par l'armée israélienne cette nuit, le parti est resté silencieux.
Très grandes répercussions
Le fait que le parti chiite n’ait donné aucune indication quant à l’état de santé de Hassan Nasrallah quelques heures après la frappe est un signe inquiétant. S’il a effectivement été éliminé, ce serait un coup de tonnerre qui n’a pas d’équivalent dans la région ces dernières décennies. Ce serait un événement encore plus important que la mort du général iranien Kassem Soleimani ou de l’ex chef d’el-Qaëda Oussama Ben Laden. La disparition de Hassan Nasrallah aurait de très grandes répercussions non seulement au Liban, mais aussi dans toute la région.
Même si le secrétaire général du parti sera remplacé, et même si, en définitive, Ali Khamenei est le grand décideur, personne n’a le charisme et la portée du leader du Hezbollah au sein de l’autoproclamé « axe de la résistance ». Ce dernier est considéré comme un dieu vivant par ses partisans qui réclameront vengeance s’il a effectivement été assassiné.
La période qui s’ouvre est extrêmement inquiétante. Nous ne sommes plus au bord du gouffre. Nous sommes plongés dedans, sans en connaître encore la profondeur et, par conséquent, la puissance de l’impact au moment de la chute.
EXCELLENTE ANALYSE.
10 h 08, le 28 septembre 2024