
Une affiche électorale du Rassemblement national avec les portraits de Marine Le Pen et Jordan Bardella en gros plan. Magali Cohen/AFP
Selon l’issue du second tour de ses élections législatives ce dimanche, la France pourrait avoir, pour la première fois de son histoire, un Premier ministre issu de l’extrême droite. Ce bouleversement politique pourrait remodeler sa politique intérieure et internationale, au point de susciter l’inquiétude des réfugiés syriens sur l’avenir de leur présence en France. Ils craignent en particulier d’être expulsés vers la Syrie, que les Nations unies jugent peu sûre pour leur retour. Les professionnels travaillant dans le domaine de l’asile partagent ces inquiétudes, craignant d’éventuelles coupes budgétaires et une réduction drastique des quotas si le Rassemblement national (RN) obtient le pouvoir.
Soutien sans faille
Sur le plan politique, le RN risque également de modifier la position de la France vis-à-vis de la Syrie elle-même. Depuis 2012, la France s’est montrée très critique à l’égard du régime syrien et a coupé tous ses liens avec lui, restant l’un des rares pays de l’UE à s’opposer fondamentalement à la normalisation avec Damas. L’extrême droite pourrait potentiellement lever les sanctions et renouer avec Bachar el-Assad pour des raisons idéologiques, sous prétexte de soutenir les chrétiens de Syrie mais aussi de soutenir la Russie.
Le RN a démontré un soutien sans faille au régime de Bachar el-Assad depuis le début du conflit syrien en 2011. Depuis 2014, de nombreuses délégations parlementaires conduites par des membres du parti se sont rendues en Syrie, rencontrant de hauts responsables, y compris M.Assad lui-même. Ces délégations avaient pour but de montrer leur solidarité avec son gouvernement et d’appeler à la normalisation des relations diplomatiques entre la France et la Syrie.
D’une part, le soutien du RN est idéologiquement ancré dans un cadre plus large qui s’aligne sur les régimes autoritaires perçus comme des remparts contre l’extrémisme islamiste, et considère le régime d’Assad comme un allié crucial à cet égard. Les responsables du parti RN ont souvent critiqué la décision française de couper tous les liens avec le régime syrien en 2012, accusant les autorités d’un manque de realpolitik.
D’autre part, la relation entre le RN et le régime d’Assad est également ancrée dans le cadre d’un prétendu « choc des civilisations » qui opposerait l’Occident à l’islam. Dans ce contexte, l’extrême droite considère le régime syrien comme le protecteur des chrétiens de Syrie contre l’islamisme. Lors de la campagne pour les élections présidentielles françaises de 2017, Marine Le Pen a souligné le rôle historique de la France dans la protection des chrétiens d’Orient, y compris en Syrie, et s’est positionnée comme défenseure de ces communautés.
Virage à 180 degrés
Cette idéologie du « choc des civilisations », associée à la théorie du « grand remplacement », façonne également la position de l’extrême droite à l’égard des réfugiés. Bien que le RN n’ait pas inclus de mesures spécifiques concernant les réfugiés syriens dans son programme, des personnalités telles que Marine Le Pen et Jordan Bardella ont publiquement rejeté la légitimité des demandeurs d’asile syriens et pourraient chercher à trouver des moyens de faciliter leur retour au pays. Mme Le Pen a déjà émis des doutes sur leur qualité réelle de réfugiés et a critiqué le système d’asile pour ses abus, tandis que M. Bardella a opposé les Syriens aux Ukrainiens, arguant que ces derniers méritent le soutien de l’Europe du fait de leur plus grande proximité culturelle.
Il est facile de prévoir que l’extrême droite défendra que la normalisation des relations avec le régime d’Assad et la levée des sanctions économiques encourageront les réfugiés à retourner en Syrie.
L’arrivée au pouvoir du RN pourrait donc entraîner un virage à 180 degrés de la politique française à l’égard de la Syrie. Si, en cas de « cohabitation », les affaires étrangères et les questions de défense restent traditionnellement le « domaine réservé » du président de la République, Mme Le Pen a déjà commencé à contester cette coutume en déclarant récemment que « chef des armées, pour le président, c’est un titre honorifique, puisque c’est le Premier ministre qui tient les cordons de la bourse ». Elle a même pris soin de préciser que ce dernier empêcherait ainsi l’envoi de troupes en Ukraine, comme pour témoigner à nouveau de l’alignement idéologique général du parti sur la Russie, son principal allié international et parrain du régime d’Assad.
Au niveau européen, le rapprochement progressif initié par divers États membres de l’UE a été mené par ceux qui recherchent une « solution durable » à la crise des réfugiés syriens par le biais d’un engagement constructif avec Damas, comme la Grèce, Chypre, l’Autriche et la Roumanie, et ceux dont les gouvernements dominés par l’extrême droite ont un parti pris prorusse ou un intérêt particulier pour les chrétiens d’Orient, comme la Hongrie et l’Italie.
Jusqu’à présent, les principaux acteurs de l’UE, la France et l’Allemagne, ont constitué un rempart contre ces tendances en restant fermement opposés à tout rapprochement sans garanties et concessions significatives de la part du régime syrien. Le RN pourrait rompre cet équilibre.
Si la Syrie ne figure pas parmi les priorités de l’extrême droite, elle ne figure pas non plus parmi celles de M. Macron. Dans le cadre d’un accord de partage du pouvoir soigneusement négocié entre le président et le Premier ministre, le fait de céder le contrôle du dossier syrien au gouvernement pourrait aider M. Macron à maintenir le soutien de la France à l’Ukraine. En conséquence, la balance pourrait pencher en faveur de la faction prorapprochement à Bruxelles, ce qui ouvrirait un nouveau chapitre dans la crise syrienne.
Pour les défenseurs des droits de l’homme et du droit international, il serait impératif de maintenir la pression sur la nouvelle administration afin qu’elle évite de normaliser les relations avec le régime syrien, de lever les sanctions ou de renvoyer les réfugiés syriens sans aucune évolution positive tangible du processus politique syrien et sur le terrain. De telles actions légitimeraient Bachar el-Assad, soutiendraient les intérêts de la Russie et aggraveraient les horribles injustices subies par des millions de Syriens.
Chercheur au laboratoire d’idées Triangle et contributeur pour le site Badil: The Alternative.
Tanr mieux pour le Liban ! Chouette !
22 h 51, le 06 juillet 2024