Le 16 juin courant, Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale. « Ciel mon programme ! » ont crié en chœur l’ensemble des partis, pris au dépourvu à gauche comme à droite, par cette décision.
La plupart d’entre eux ont donc choisi la facilité, notamment en s’accusant les uns les autres de ce qui a été dit et entendu au cours des huit derniers mois sur Israël et Gaza. C’est ainsi, qu’après avoir été le sujet central des européennes, le Moyen-Orient est devenu l’une des thématiques favorites des élections législatives.
Le monde arabe, bien qu’au cœur des débats français, n’est en fait que le prétexte à un autre conflit idéologique, cette fois-ci interne à la France, et dont l’issue pourrait bien se faire d’abord au détriment des populations locales.
Si la barbarie perpétrée le 7 octobre 2023 par le Hamas sur des civils israéliens et ses suites ont ébranlé les opinions publiques du monde entier, l’histoire hexagonale possède une spécificité qui rend le dialogue en son sein à la fois particulièrement douloureux et stérile lorsqu’il s’agit du conflit isralélo-palestinien.
Compétition mémorielle
Le débat interne actuel sur le conflit moyen-oriental est d’abord lié à une scission historique sur le plan mémoriel, résultant, d’une part, du rôle de la France dans l’horreur de la Shoah et, d’autre part, de l’infamie de la colonisation, notamment à travers l’épisode algérien qui lui est propre. S’est ainsi imposée une tradition absurde qui consiste à opposer ces deux mémoires, voire à les mettre en compétition. Si les deux événements sont certes différents en termes de contexte et de conséquences, un point commun les relie pourtant : ils constituent chacun une tache d’encre indélébile dans la tradition universaliste française.
Le conflit israélo-palestinien n’est en fait rien d’autre que la vitrine d’une France qui a honte de son passé. Depuis la Libération de 1945 à laquelle s’est ajoutée la guerre d’Algérie, le concept d’identité n’est plus le bienvenu dans le débat politique. C’est ainsi que le 7 octobre et ses suites, à travers l’image du Juif victime de pogrom et celle de l’Arabe colonisé, n’a pas seulement signé l’arrêt de mort d’une paix au Moyen-Orient mais a également réveillé ce refoulement qui couvait depuis déjà trop longtemps dans le débat public. Ainsi l’Assemblée nationale porte de moins en moins bien son nom en se transformant en un haut lieu de petits particularismes au sein duquel on ne parle plus que de « Juifs » et d’« Arabes ». Les uns disent combattre l’antisémitisme, les autres disent batailler contre le racisme. Tous pensent défendre l’égalité et la lutte contre les discriminations tout en ne parlant plus que d’ethnies définitivement irréconciliables.
La région est ainsi devenue l’excuse idéale pour parler identité sans avoir l’air d’y toucher. Avec, en arrière-plan, une discussion fondamentale que les Français repoussent depuis trop longtemps : la définition même de ce qu’ils sont. Sommes-nous encore universalistes ? Notre laïcité fonctionne-t-elle encore ? La Déclaration de 1789 signifie-t-elle encore quelque chose ? Sommes-nous racistes ? Antisémites ? Avons-nous peur de l’« Autre » ? Ces élections nous obligent à une introspection qui n’a que trop tardé à arriver.
Faux-semblants
Mais au-delà de nos propres questionnements en tant que français, ce sont d’autres peuples qui, peut-être, pâtiront de nos éventuelles réponses. Car alors même que le monde arabe, qu’il soit musulman, juif ou chrétien, est au cœur des débats hexagonaux, la France ne fera rien pour lui. Même si les responsables politiques se répandent en invectives les uns contre les autres sur le sujet, voulant faire croire à un intérêt sincère pour les populations concernées, nombreux sont ceux qui boivent au même calice de l’abjection en soutenant ceux qui assassinent tout espoir dans la région.
L’extrême droite a toujours soutenu les régimes de Bachar el-Assad et celui de Vladimir Poutine, en se gardant bien de mentionner certains de leurs alliés plus gênants pour son électorat, à commencer par les mollahs iraniens et du Hezbollah. Une partie de l’extrême gauche a fait le même choix, en assumant, toutefois, un peu plus sa complaisance pour le « parti de Dieu » libanais et en allant même parfois jusqu’à refuser de qualifier le Hamas de groupe terroriste, affichant ainsi une certaine complaisance vis-à-vis de ce dernier. Enfin, le centre joue, comme à son habitude, la couardise, en soutenant sans jamais assumer. C’est par exemple le cas d’un Emmanuel Macron dont les relations avec l’Iran restent ambiguës jusqu’à ce jour, tout comme celles qu’il entretient officieusement avec son mandataire libanais – en soutenant par exemple Sleiman Frangié à la présidentielle, quelques années après avoir promis un « nouveau pacte politique » à Beyrouth. Idem pour le conflit à Gaza où le camp présidentiel du « en même temps » peut proclamer à la fois son « soutien inconditionnel », par la voix de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et appeler officiellement à un cessez-le-feu.
N’y a-t-il pas là une forme d’égoïsme que peuvent seuls se permettre les privilégiés à se servir du malheur des autres pour peaufiner leur campagne lors d’élections qui n’auront aucune conséquence pour ces « autres » ? Ceux dont nos politiques parlent n’ont pas forcément cette chance. Certains disent que le Moyen-Orient n’est qu’identitaire. Ont-ils complètement tort ? Probablement pas. Pourtant, force est de constater que les Français peuvent parfois tomber dans ce piège. Les huit derniers mois l’ont prouvé. La différence réside dans le fait qu’ils peuvent, eux, débattre de leurs valeurs tout en s’appuyant sur le fauteuil confortable que leur offre une vraie démocratie.
Il est de bon ton, depuis la France, de ne voir L’Orient que comme « compliqué » et bourré « d’identités meurtrières ». Elle n’a désormais plus aucune leçon à donner.
Avocate, essayiste franco-libanaise. Dernier ouvrage : « Lettre à ma génération : la jeunesse face aux extrêmes » (L’Observatoire, 2022).
En conclusion : ""Il est de bon ton, depuis la France, de ne voir L’Orient que comme « compliqué » et bourré « d’identités meurtrières ». Elle n’a désormais plus aucune leçon à donner"". En effet, les redresseurs de torts et les donneurs de leçons n'ont qu'à se taire. La situation actuelle de la France affaiblit également sa diplomatie, et l'on se demande depuis le conflit récent en Nouvelle Calédonie, comment la France sera audible surtout lors d'un réglement de la guerre en Ukraine...
13 h 11, le 23 juin 2024