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Nos Lecteurs ont la Parole

150 ans déjà : une université à mi-chemin de sa mission libératrice

Le 30 avril 2024, le recteur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, le père Salim Daccache, a inauguré les festivités marquant les 150 ans depuis la création de l’Université. L’histoire de celle-ci témoigne d’une institution qui a maintenu le cap avec détermination et surmonté les obstacles, ad intra et ad extra, pour remplir une mission qui exige un constant et remarquable désintéressement. Pour illustrer cette vitalité, on peut mentionner la transformation significative survenue en 1975, en plein cœur de la guerre au Liban.

Sous la direction d’un recteur géant de l’époque, le père Jean Ducruet, l’USJ a opéré des changements significatifs. Il s’agit, écrit Ducruet, « de mettre en place une administration centrale de ce qui était plutôt jusque-là une simple fédération des facultés et (…) de donner à l’université une réelle autonomie administrative, financière et académique, tant vis-à-vis des universités françaises que vis-à-vis de la Compagnie de Jésus, de manière à pouvoir instaurer des structures de participation réelle où les professeurs libanais assumeraient davantage leurs responsabilités ».

Cette transformation a donné naissance à l’USJ en tant qu’université « privée libanaise », comme le stipule sa charte adoptée également en 1975 ; elle aura pour mission de dispenser aux étudiants « une formation adaptée à la vie professionnelle », formation s’intégrant « dans un service plus fondamental qui constitue la mission culturelle de l’université, la mettant au service de la promotion des hommes ».

L’aspect administratif du changement, en particulier la centralisation, semble tout à fait justifié. L’évolution du Liban, avec ses besoins en constante mutation et ses changements socio-politiques, a conduit les jésuites à fonder des institutions universitaires autonomes, souvent en collaboration avec des universités françaises. Cependant, il est devenu nécessaire de centraliser ces institutions afin de favoriser une meilleure collaboration et complémentarité entre elles, ainsi qu’une planification administrative et stratégique plus harmonieuse et efficace.

Néanmoins, l’autre aspect du changement, celui concernant l’autonomie de l’université par rapport aux universités françaises et à la Compagnie de Jésus, peut sembler étrange. En renonçant à une certaine forme de tutelle des institutions françaises, ne risque-t-on pas de perdre les avantages de ces institutions et de leur renommée internationale ? L’affirmation de l’identité libanaise spécifique de l’USJ, ou bien sa libanisation, garantira-t-elle le maintien du même niveau d’excellence académique ? Cependant, ce qui suscite le plus d’interrogations dans cette proposition, c’est l’autonomie envisagée par rapport à l’autorité de la Compagnie de Jésus. Si cela devait se produire, que resterait-il de l’identité jésuite de l’institution ?

Le temps a prouvé la justesse de cette décision. En effet, l’USJ s’est imposée comme une université libanaise d’excellence, renommée pour son niveau académique élevé tant au Liban qu’à l’international. De plus, elle se distingue par son implication concrète dans la vie sociale et nationale.

Mais quelle est la motivation sous-jacente à cette décision courageuse, empreinte de confiance envers les Libanais et d’une intégration totale dans la société locale tout en optant pour une dissociation inédite vis-à-vis de l’autorité de la Compagnie de Jésus ? Naturellement, cette décision n’a pas été influencée par les hasards de l’histoire ni n’est le fruit de décisions opportunistes, soudaines ou aléatoires. Elle résulte plutôt de la rencontre entre une théologie en constante évolution, enracinée dans la révélation historique, et un humanisme profond, imprégné d’un désintéressement inspiré par la spiritualité ignacienne. C’est cet arrière-fond qui ne se passe pourtant pas sans tensions parfois difficiles et houleuses entre les libéraux et les conservateurs au sein même de l’ordre religieux.

En 1975, l’initiative audacieuse du père Ducruet, jésuite d’une envergure exceptionnelle, a évité la fermeture de l’université, une décision envisagée par certains membres de la Compagnie suite à la situation désespérée au Liban. Cette démarche témoignait d’une foi inébranlable dans le Liban et son peuple. Elle incarnait les valeurs d’une université fondée sur les principes d’une laïcisation saine, favorisant la liberté académique et la liberté de recherche. Cette vision permettait aux chercheurs et aux enseignants d’explorer un éventail d’idées, de partager leurs connaissances et d’accueillir une diversité de perspectives, reflétant ainsi la richesse et la complexité du monde, sans craindre la censure ou les représailles de l’autorité religieuse.

De même, cette autonomie par rapport à l’autorité religieuse, qui témoigne de la foi envers les Libanais et les laïcs, ouvre la voie à une vie démocratique dynamique et enrichissante à l’université. Cela garantit une représentation équitable des étudiants, du personnel et des autres parties prenantes dans les processus décisionnels, permettant de mieux prendre en compte les besoins et les intérêts de toute la communauté universitaire. De plus, cela assure que seuls les critères de compétence et de démocratie guident la sélection des doyens et des directeurs, loin des pratiques religieuses où la décision relève uniquement de la seule conscience du supérieur, et où il existe une réticence à confier des responsabilités aux laïcs de peur d’affaiblir le pouvoir patriarcal archaïque, sous-tendu par une attitude de méfiance voire d’infantilisation envers les laïcs.

Ne nous berçons pas d’illusions. L’université n’a parcouru que la moitié du chemin vers sa mission libératrice. Le contexte confessionnel conflictuel continue d’entraver son développement souhaité, tout comme la crainte d’une « libanisation » et d’une « laïcisation » totales. Que la lumière de la pensée libérale dissipe les ténèbres de l’obscurantisme !

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Le 30 avril 2024, le recteur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, le père Salim Daccache, a inauguré les festivités marquant les 150 ans depuis la création de l’Université. L’histoire de celle-ci témoigne d’une institution qui a maintenu le cap avec détermination et surmonté les obstacles, ad intra et ad extra, pour remplir une mission qui exige un constant et remarquable...
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