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Idées - LOrient Des Idees

La photographie, le GIEC et la planète

La photographie, le GIEC et la planète

« Petero by Cliff » de la série « Sink / Rise, The Day May Break », chapitre 3, îles Fidji, 2023. Photo Nick Brand

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’existait pas encore, la photographie non plus, que Confucius disait déjà : « Une image vaut mille mots. » Le sens est qu’une image est plus parlante, comprenez explicite, que des paroles. Visionnaire était le philosophe chinois cinq cents ans avant notre ère. Appliqué au changement climatique, sa pensée séculaire est plus que jamais évidente. Depuis plus de 30 ans, le GIEC évalue l’état de notre planète, celui des connaissances sur l’évolution du climat, ses causes, ses impacts. Il fournit des rapports, se réunit et tire la sonnette d’alarme, relayé par les médias. Mais quid de son influence sur le public ? Prenez le dernier et 6e rapport du GIEC, rendu public en 2022. Sa version complète compte près de 3 700 pages. De quoi noyer dans un océan d’informations techniques le citoyen lambda. Et pourtant, on y apprend que si les émissions de gaz à effet de serre ne cessent d’augmenter, alors le niveau de la mer pourrait s’élever de plus d’un mètre d’ici à 2100.

Maintenant, regardez le dernier travail du photographe Nick Brandt. Un homme, seul, est assis sur une table. Il a la tête basse, le regard perdu. Il semble désolé. Ce qui surprend sur cette image, c’est que la scène se déroule sous l’eau. Le jeune homme qui s’appelle Petero est comme posé au fond de l’eau, dans une version moderne de la cité engloutie de l’Atlantide. Cette photo en couleur est en couverture du livre Sink / Rise* (édition Hatje Cantz) de Nick Brandt. Ce projet met en scène des habitants des îles Fidji, dans le Pacifique sud, directement menacés par la montée des eaux. « Cette série « Sink / Rise (sombrer/remonter) témoigne des conséquences qu’aura l’augmentation du niveau de la mer sur des centaines de millions d’habitants dans le monde », explique le photographe britannique. Sur la photo comme sur toutes celles dans le livre, il n’y ni trucage, ni montage, ni intelligence artificielle. La scène est bien réelle. Les figurants ont suivi une formation de plongée. Ils ont été sélectionnés pour leur capacité à garder les yeux ouverts sous l’eau et retenir leur souffle assez longtemps pour participer au projet. Les personnes comme les objets ont été lestés afin de pouvoir se figer sous l’eau. Il s’agit là d’une vision anticipée d’un dessein inéluctable à venir. Une extrapolation d’un drame en cours. En une photo, le spectateur est happé par l’histoire et comprend tout de suite ce que la photo raconte. « Malgré le cadre surréaliste et semi-théâtral dans lequel ces portraits se déroulent, les images de Brandt sont directes, épurées et exemptes de distractions. Cette combinaison de fantaisie ambitieuse et de retenue exquise est une signature du travail de Brandt rarement vue ailleurs, explique l’écrivaine d’art Zoë Lescaze dans l’avant-propos du livre. Les photographies qui composent Sink / Rise sont remarquables par leur capacité à être à la fois accessibles et énigmatiques, politiques et inclusives. (…) Brandt nous donne un moyen essentiel de réfléchir à ce que nous risquons tous de perdre. »

L’artiste à l’approche documentaire revendique fermement cet engagement : « Je définirai cette série comme préapocalyptique, le désastre n’a pas encore eu lieu. Mais la pollution des océans, la hausse des températures et l’acidification des eaux auront un impact monumental sur la vie marine. » Sink / Rise « compose le troisième volet de la série The Day May Break de Nick Brandt, entamée en 2020. Le Britannique s’est engagé à travers ce grand projet dans la lutte contre la destruction de l’environnement. Tout d’abord au Zimbabwe et au Kenya, puis en Bolivie. Animaux et êtres humains posent ensemble au milieu d’un studio improvisé en plein air. Les images, cette fois-ci en noir et blanc, ont été prises dans des sanctuaires et des réserves protégées. Les animaux sont des victimes de la destruction de leur habitat et des rescapés du trafic d’espèces sauvages. Les personnes, elles, des victimes du changement climatique, des sécheresses extrêmes aux inondations qui ont détruit leurs maisons et leurs moyens de subsistance. Là encore, pas de trucages. Animaux et humains sont habitués à partager le même territoire et posent sur la même photo. Seul artifice, des éclairages additionnels et la présence d’une machine à brouillard pour exprimer une nature évanescente, qui évoque la fumée des incendies de forêt. Ces installations et réalisations sont une prouesse photographique, à la hauteur des enjeux qui nous concernent tous.

Et c’est bien parce que beaucoup de photographes nous éclairent sur les zones d’ombre du monde que leurs travaux doivent être vus par le plus grand nombre. L’impact d’une seule photographie est bien plus forte qu’un rapport du GIEC de la taille d’un vieux bottin téléphonique. Prenez Feed the Planet (« Nourrir la planète »), l’ambitieux projet du photojournaliste étatsunien George Steinmetz. Résultat de dix ans de travail sur le terrain dans quarante pays et sur l’ensemble des continents, Feed the Planet documente le système alimentaire mondial, la plupart du temps à partir des airs. En présentant la production de nourriture pour 8 milliards d’êtres humains, George Steinmetz nous sensibilise aux enjeux et aux bouleversements à grande échelle de la nourriture. Et ainsi, aux conséquences sur notre environnement.

Certes, il y a péril en la demeure. Mais si certains photographes énoncent et dénoncent les drames et les crises de notre planète, alertent l’opinion publique sur les dangers qui la menacent, et menacent les espèces animales comme les humains, d’autres préfèrent montrer sa beauté. Camille Seaman compose une ode à la nature dans les régions arctiques. « Jusqu’à présent, nous avons surtout eu accès à des histoires apocalyptiques. Il est temps d’inverser la tendance, de célébrer la nature », avait déclaré l’Amérindienne dans un article enquête, « La terre mise en examen par les photographes », paru dans Polka Magazine en 2015, à l’occasion de la COP21. Face à son objectif, les immenses blocs de glace se transforment en de majestueuses, uniques et délicates sculptures. « Mes images se veulent un espace où les gens peuvent ressentir ce que j’ai éprouvé, à la recherche de l’expression d’une âme. » La quête d’un moment de grâce en symbiose avec une nature en péril.

Quand il s’agit d’immortaliser la beauté de la nature, comment ne pas évoquer Genesis du photographe franco-brésilien Sebastião Salgado, sa lettre d’amour adressée à la planète et aux humains qui l’habitent afin de veiller sur elle. Cette œuvre, réalisée pendant huit ans, entre 2004 et 2012, célèbre la terre dans toute la splendeur inestimable de ses contrées encore préservées. Elle est composée de séries de photographies toujours en noir et blanc de paysages, de faune, de flore et de communautés humaines qui vivent encore selon leurs traditions et cultures ancestrales. Au-delà des nombreuses publications dans la presse, Genesis a surtout touché le public à travers des expositions itinérantes, vues par des millions de personnes à travers le monde. Les spectateurs, parce que chaque exposition de Sebastião Salgado est un spectacle, enchantés et enthousiastes, sont toujours au rendez-vous. Mais il est impossible de mesurer sur le public les bienfaits des images vues.

Qu’à cela ne tienne, tous les photographes cités ici, et tant d’autres encore, sont toujours dans l’action. Des citoyens à la conscience forte. Ils savent qu’une photo seule ne peut pas changer la face du monde. Rarement idéalistes, les artistes font preuve de réalisme. Raison pour laquelle nombre de photographes agissent au sein d’organisations caritatives afin d’offrir un débouché à leurs travaux, afin que leurs efforts ne restent pas vains. Sebastião Salgado et son épouse, Lélia, ont fondé Instituto Terra au Brésil pour reforester la région natale du photographe franco-brésilien. Nick Brandt a créé Big Life Foundation pour lutter contre le braconnage en Afrique subsaharienne… Certes, ces initiatives peuvent sembler une goutte d’eau dans l’océan face aux destructions massives de la planète. Mais dans certains pays, chaque goutte d’eau est source de vie. Et une photo peut contribuer à la préserver et à sauver, un peu, l’humanité. Avant d’atteindre le point de non-retour, l’instant décisif qui pourrait être fatal.

Dimitri Beck est journaliste et directeur de la photographie de « Polka »

*Sink / Rise de Nick Brandt, édition Hatje Cantz, 58.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’existait pas encore, la photographie non plus, que Confucius disait déjà : « Une image vaut mille mots. » Le sens est qu’une image est plus parlante, comprenez explicite, que des paroles. Visionnaire était le philosophe chinois cinq cents ans avant notre ère. Appliqué au changement...
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