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Idées - Palestine

Plaidoyer pour une solution à un État, démocratique et laïc


Plaidoyer pour une solution à un État, démocratique et laïc

Des commerçants devant leurs boutiques dans la vieille ville de Jérusalem, le 13 janvier 2024. Alberto Pizzoli/AFP

Dans un entretien publié le 27 avril 2024 dans ces colonnes, le journaliste Pierre Haski soutient que l’opération de la résistance palestinienne le 7 octobre 2023 a « définitivement enterré la solution à un État » et que la proposition à deux États est la seule solution viable. Étant donné l’ampleur du problème de l’occupation de la Palestine, l’un des rares cas modernes de colonie de peuplement, ainsi que les graves répercussions de cette colonisation sur le Liban, il convient de souligner que cette « solution » à deux États n’est pas la seule proposition sur la table, ni celle qui nous paraît légitime.

Tout porte à croire qu’Israël n’a jamais eu l’intention de faire aboutir la proposition à deux États. Dès 1937, l’un de ses pères fondateurs David Ben Gourion écrit « qu’un État juif sur une partie seulement de la terre n’est pas la fin mais le début ». En effet, les plans israéliens d’annexion de la Cisjordanie sont antérieurs à 1967. L’ancien Premier ministre Yitzhak Rabin avait lui-même déclaré en 1995 qu’il accorderait aux Palestiniens « moins qu’un État », les accords d’Oslo dont il avait été l’architecte ne faisant d’ailleurs aucune mention d’un État palestinien. Un refus que le Likoud et ses alliés partagent explicitement.

Vision identitaire

Qu’est-ce qui pousse donc certains à soutenir sincèrement la proposition à deux États ? Souvent, c’est la conviction que les juifs ont besoin d’un « foyer national » pour se protéger et se sentir en sécurité. Ce propos repose donc sur le principe que l’humanité est composée de groupes identitaires intrinsèquement belliqueux et que la violence ne peut donc être évitée qu’en séparant ces « nations » tribales. Cette vision identitaire du genre humain est extrêmement nocive : « les autres sont dangereux, séparons-nous donc », un propos fondamentalement ségrégationniste, voire raciste, qui menace de fragmenter toutes les sociétés du monde, puisqu’elles sont naturellement composées d’un mélange d’identités ethniques, religieuses, culturelles, etc.

Si le problème est non pas l’existence d’identités différentes mais la politisation de ces identités, la proposition à deux États (« un État par identité » !) n’est pas du tout une solution mais bien une institutionalisation du problème. La solution est, bien au contraire, l’antithèse aux fondations idéologiques mêmes du projet colonial sioniste : c’est-à-dire l’établissement d’un État laïc et démocratique. Un État qui agit non pas en tant que machine de guerre aux mains d’un groupe identitaire (et donc au détriment d’autres), mais en tant qu’outil pour la gestion des affaires de la société. Un État qui respecte le droit de chacun à professer et pratiquer sa religion ou sa culture, mais qui ne traite pas les individus en tant que groupes tribaux et donc nécessairement excluant : non pas, donc, un « État binational », ni même multiconfessionnel à l’instar du régime libanais, mais un État de citoyens. Finalement, un État dont la légitimité ne dépend pas de sa prétendue représentation identitaire mais de sa capacité fonctionnelle à garantir les droits des humains qui forment sa société.

État de décolonisation

Dans le cas de la Palestine, il s’agit d’un État de décolonisation, soit un État qui ne mettra pas fin à la présence de la population juive sur le territoire, mais éliminera ses privilèges et rapports de forces coloniaux . En pratique, cela veut dire que cet État ne sera plus défini comme « juif » ni comme garantissant le « droit à l’autodétermination exclusivement au peuple juif » ; que sa politique d’immigration et de naturalisation ne favorisera plus les juifs au détriment des autres ; qu’il n’y aura plus un programme scolaire pour les juifs et un autre pour les non-juifs, mais un seul programme scolaire pour tous ; que les normes sionistes du programme actuel seront remplacées par des normes civiques ; que le rôle des forces armées sera de protéger la société des dangers externes plutôt que de garantir les privilèges de certains au détriment d’autres ; que les écarts d’éducation, de revenu et de pauvreté entre Palestiniens et juifs, mais aussi entre juifs ashkénazes, sépharades, mizrahim, seront comblés. Cela veut également dire que les réfugiés palestiniens pourront retourner à leurs terres ; qu’ils auront droit aux réparations qui leur sont dues ; qu’ils ne vivront plus dans la crainte d’un nouveau massacre ou d’un génocide ; et qu’ils n’auront plus besoin de leurs armes pour défendre leur dignité.

Cette vision de libération a été celle du peuple palestinien avant la Nakba. Notablement, elle l’est restée même après, la Charte nationale palestinienne de 1964 établissant clairement que les juifs qui souhaitent vivre en paix en Palestine seraient citoyens palestiniens. Cette vision, reprise dans la déclaration pour la « Palestine de demain » de l’Initiative pour un seul État démocratique, n’est pas « une solution », ni même « la meilleure solution », mais bien la seule solution viable. Cette vision qui a été perdue à Oslo, lorsque l’Organisation de libération de la Palestine l’a délaissée, nous devons la raviver. Si le 7 octobre a enterré quelque chose, c’est bien le mythe de la prétention sioniste que les juifs ne sont en sécurité qu’en Palestine occupée : ils ne le sont pas. Ils peuvent le devenir, cependant, au prix de leurs privilèges coloniaux.

Et cela nous concerne, nous Libanais. Car nous souffrons également de l’existence d’un système politique hérité du colonialisme, qui politise lui aussi les identités ; qui a mené lui aussi à des massacres (une menace toujours présente) ; et qui se traduit en pratique par le démantèlement de notre société sur base confessionnelle. Plaçons donc nos espoirs et, surtout, œuvrons, en Palestine, au Liban et dans le monde entier, pour la construction d’États fondés sur la citoyenneté plutôt que sur les identités.

Par Alain ALAMEDDINE

Membre du parti Citoyens et citoyennes dans un État et coordinateur au Liban de l’Initiative pour un seul État démocratique.

Dans un entretien publié le 27 avril 2024 dans ces colonnes, le journaliste Pierre Haski soutient que l’opération de la résistance palestinienne le 7 octobre 2023 a « définitivement enterré la solution à un État » et que la proposition à deux États est la seule solution viable. Étant donné l’ampleur du problème de l’occupation de la Palestine, l’un des rares cas modernes de...
commentaires (4)

Comment pourraient-ils se sentir en sécurité dans un État érigé dans milieu hostile ?

Hitti arlette

21 h 36, le 30 mai 2024

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Commentaires (4)

  • Comment pourraient-ils se sentir en sécurité dans un État érigé dans milieu hostile ?

    Hitti arlette

    21 h 36, le 30 mai 2024

  • Vision genereuse mais idyllique, en tout cas pour la Palestine. Au Liban, cette solution pourra etre discutee quand on sera debarasse du Hezb....

    Michel Trad

    12 h 52, le 19 mai 2024

  • Si Israel devenait un Etat où toutes les communautés auraient les mêmes droits ce serait une bonne chose, mais... l'enfer étant pavé de bonnes intention : à quoi servirait cet Etat qui devait initialement donner aux Juifs dont personne ne veut dans le monde un coin refuge si des antisémites par leur vote pourraient expulser ou exterminer à nouveaux ces juifs. Le problème est insoluble tant que l'antisémitisme n'aura pas été vaincu par un quelconque vaccin. Messieurs les chercheurs au travail.

    Lumbroso Alain

    10 h 27, le 19 mai 2024

  • Excellent article.

    Kamel EL YAFI

    09 h 25, le 19 mai 2024

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