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Idées - LOrientDesIdees

Voir l’image autrement à l’ère de l’intelligence artificielle

Voir l’image autrement à l’ère de l’intelligence artificielle

Contempler ce portrait éveille la curiosité quant à l’identité de cette femme. Qui est-elle ? Une aïeule bien-aimée ? Une inconnue trouvée au fond d’un tiroir ? Une chimère fabriquée de toutes pièces par une intelligence artificielle ?

Opter pour cette dernière hypothèse altère définitivement notre appréciation de l’image. Elle n’est plus un cliché, ni un portrait, mais une imposture. Les attributs esthétiques que l’on aurait initialement admirés restent inchangés. Pourtant, soudainement, ce grain de peau lisse, ces traits trop réguliers, cette coupe presque excentrique deviennent autant de détails que scrute le regard à la recherche d’indices révélateurs. Une fois son origine révélée, cette image semble perdre de sa saveur. L’émotion laisse place au scepticisme.

À travers ce portrait, l’intelligence artificielle prouve qu’elle représente aussi bien les visages que la photographie. Mais, pour arriver à ce résultat, elles empruntent deux chemins diamétralement opposés. Quand la photographie fixe sur le papier des vies oubliées que le hasard a conduites un jour devant l’objectif, l’intelligence artificielle génère aléatoirement les traits de personnalités fictives. Toutes deux produisent ainsi des accidents mémoriels, artefacts de vies existantes pour l’une et inexistantes pour l’autre.

Boulimique d’images, dépendante de l’existence préalable de millions de photographies pour en produire à son tour, l’IA en prolonge paradoxalement la vie. Inlassablement, ses algorithmes recomposent dans une boucle infinie de nouveaux portraits à partir de ces visages, telle une loterie génétique. Face au continent des visages engloutis dans l’oubli que la photographie a immortalisés, l’intelligence artificielle superpose en miroir des millions de portraits numériques immortels puisque irréels.

Cette déferlante de médias synthétiques nous invite à reconsidérer ce qui fait la valeur d’une image. Par son irruption, l’intelligence artificielle trouble l’adéquation entre image et réel à laquelle nous tenons tant. La photographie a marqué le point d’orgue technologique de la représentation du réel. Bien que récente à l’échelle de l’histoire de la représentation, elle sacralise la relation entre image et réel que nous tenons désormais pour acquise.

Tout semble ainsi diamétralement opposer IA et photographie, duperie pour la première, essence de la vérité pour la seconde. L’intelligence artificielle décuple pourtant une imperfection de la photographie qu’il nous est douloureux d’admettre : dès lors qu’elle ne peut fixer que des morceaux de réel, elle l’agence inévitablement en nous offrant un prisme de la réalité. Une photographie est le fruit de choix qui mettent en scène une facette de la réalité quand l’intelligence artificielle la produit de toutes pièces.

En nous forçant à remettre en question notre crédulité face aux images, l’intelligence artificielle nous sort de notre passivité. Dans un monde où nous sommes constamment abreuvés de contenus visuels, elle éveille une vigilance nécessaire, nous exhortant à aller au-delà des images.

Marion Carré est présidente d’Ask Mona, autrice et experte IA.

Contempler ce portrait éveille la curiosité quant à l’identité de cette femme. Qui est-elle ? Une aïeule bien-aimée ? Une inconnue trouvée au fond d’un tiroir ? Une chimère fabriquée de toutes pièces par une intelligence artificielle ?Opter pour cette dernière hypothèse altère définitivement notre appréciation de l’image. Elle n’est plus un cliché, ni un portrait, mais une...
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