Rechercher
Rechercher

Monde - ÉCLAIRAGE

Face à Poutine, la diplomatie sur le fil d'Erdogan

Malgré une nette ouverture vers l'Occident du côté d'Ankara, la Turquie et la Russie ont tout intérêt à maintenir de bonnes relations tant sur la scène domestique qu'internationale.

Face à Poutine, la diplomatie sur le fil d'Erdogan

Le président turc Recep Tayyip Erdogan serre la main à son homologue russe Vladimir Poutine lors d'un sommet régional à Téhéran, le 19 juillet 2022. Mustafa Kamaci/AFP

Évoquée pour le 12 février, elle est finalement prévue pour avril. La visite de Vladimir Poutine en Turquie, annoncée de longue date, a été reportée à plusieurs reprises au gré des rapprochements entre Ankara et l'Occident. Moscou avait accusé la Turquie de privilégier ses relations avec l’Ouest, une ouverture promise lors de la campagne victorieuse de Recep Tayyip Erdogan à l’occasion de l’élection présidentielle de mai dernier. L'annonce intervient en effet peu après l'approbation américaine de la vente d'avions de combat F-16 en échange de la levée du veto turc sur l'adhésion de la Suède à l'OTAN. Suite à quoi Washington a réitéré son invitation à Ankara de se débarrasser de ses S-400 russes pour réintégrer le programme F-35. Mais les dossiers sont nombreux pour lesquels la Turquie entend maintenir de bonnes relations avec la Russie.

Planifiée en avril, après l'élection présidentielle russe et les municipales turques, la rencontre marquerait les liens ténus qui existent entre les deux pays, alors que le rapport de confiance s’est quelque peu délité sur fond de désaccords sur de nombreux dossiers, notamment le soutien d’Ankara à l’Ukraine et les liens commerciaux qu’il entretient avec le pays en guerre. Fin janvier, les deux pays ont déclaré avoir signé un accord qui permettra aux entreprises turques de participer à la reconstruction des infrastructures ukrainiennes endommagées lors de l'invasion russe. Et alors que les célèbres drones turcs Bayraktar sont utilisés par l’armée ukrainienne contre les blindés russes, l’entreprise de défense Baykar a récemment annoncé la construction d'une usine près de Kiev, employant 500 personnes, pour fabriquer à domicile les modèles TB2 et TB3 qui font la fierté du président turc.

Diplomatie pragmatique

Déjà en juillet dernier, la décision d’Ankara de renvoyer chez eux des commandants de l’armée ukrainienne retenus en Turquie depuis 2022 dans le cadre d’un échange de prisonniers négocié avec la Russie, avait provoqué la colère du Kremlin. Signe de son mécontentement, la Russie s’était retirée de l’accord sur les céréales de la mer Noire, négociée par les Nations unies et la Turquie pour protéger les exportations à partir des ports ukrainiens, sapant ainsi les efforts turcs pour apparaître en intermédiaire efficace. En août, un navire de guerre russe avait effectué des tirs de sommation en direction d’un cargo turc qui se dirigeait vers le sud de l’Ukraine. Mais le président turc ne cherche pas la confrontation. « Le fait que la Turquie soit plus ouverte à l'Occident ne signifie pas qu’Erdogan va changer le cours de sa politique étrangère et devenir un partenaire pro-occidental totalement fiable », soutient Eleonora Tafuro Ambrosetti, chercheuse au Centre Russie, Caucase et Asie centrale de l’Institut pour les études de politique internationale, pour qui la position d’équilibriste de la Turquie constitue une « caractéristique constante ».

Lire aussi

Les enjeux de la rencontre entre Erdogan et Poutine

Fidèle au pragmatisme de sa diplomatie, le reïs tient à diversifier les options : si l’Occident lui tourne le dos, il pourra compter sur ses liens avec la Russie. Preuve en est, le président turc ne semble pas prêt à renoncer aux S-400, ce système de défense antiaérienne et antimissile de fabrication russe, malgré une proposition alléchante de Washington. La Maison-Blanche lui propose de réintégrer le consortium qui fabrique la nouvelle génération d'avions de combat américains F-35, dont la Turquie avait été exclue en 2020 après avoir acquis le système russe. « Il est évident que si nous parvenons à régler la question des S-400, ce que nous aimerions faire, les États-Unis seraient ravis d'accueillir de nouveau la Turquie dans la famille F-35. Mais nous devons d'abord régler cette autre question », a insisté la secrétaire d'État adjoint américaine par intérim, Victoria Nuland, en visite en Turquie à la fin du mois de janvier. « Les États-Unis utilisent des carottes avec les Turcs, car ils n’ont pas beaucoup d’autres leviers pour les convaincre de couper leurs liens avec la Russie », avance Eleonora Tafuro Ambrosetti. La conclusion d’un rapprochement avec Washington n’a d’ailleurs suscité qu’une réponse modérée de la part d’Ankara, un haut fonctionnaire du ministère turc de la défense déclarant aux médias turcs qu'il n'y avait « aucun changement » de la position turque au sujet du programme F-35.

Intérêts mutuels

Visé par de lourdes sanctions internationales, Moscou dépend en partie du soutien de son partenaire turc. Et inversement. « La situation économique turque n'étant franchement pas florissante, Ankara a besoin du gaz russe peu cher et de ces liens économiques de plus en plus florissants avec la Russie », observe Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe. Selon les calculs de l'agence de presse Reuters, les importations turques de brut russe ont atteint un niveau record de 400 000 barils par jour en novembre (environ 14 % des expéditions de pétrole par voie maritime de la Russie), une partie d’entre eux atteignant les rives européennes via le gazoduc TurkStream et échappant ainsi aux sanctions. Même si là encore, la partition délicate jouée par la Turquie se traduit par un certain alignement avec les exigences occidentales. À la suite d'un décret pris par le président Joe Biden en décembre, qui vise à punir les entreprises étrangères soutenant l'effort de guerre de Moscou, certaines banques turques auraient coupé leurs liens avec leurs homologues russes.

Lire aussi

Moscou soupçonné d’ingérence pour contrer l’adhésion de la Suède à l’OTAN

Il n’empêche, Vladimir Poutine peut se déplacer à son aise en Turquie, le pays n’étant pas signataire du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), qui a délivré un mandat d'arrêt contre le président russe en mars dernier, pour crime de guerre. Alors qu’il s’était rendu le 6 décembre en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, profitant d’un détournement de l’attention internationale vers la bande de Gaza, son premier déplacement dans un pays membre de l’Alliance atlantique depuis l’invasion de l’Ukraine représenterait un camouflet diplomatique pour les Occidentaux qui tentent depuis près de deux ans d’isoler la Russie sur la scène internationale. « Pour Erdogan, il y a un certain prestige à s'afficher comme un des rares dirigeants à rencontrer le président russe, surtout aux yeux des opinions publiques moyen-orientales qui ont été choquées par la posture occidentale sur Gaza », analyse Igor Delanoë.

Convergences 

L’occasion de redonner du poids à la Turquie en tant qu'intermédiaire dans le dossier israélo-palestinien. Une place pour le moins difficile à trouver face à la concurrence égyptienne ou qatarie et pourtant qualifiée par la Russie de premier plan : « Il est bien sûr l'un des dirigeants de la communauté internationale qui prête attention à cette tragédie et fait tout pour que la situation évolue favorablement afin de créer les conditions d'une paix durable », a défendu Vladimir Poutine au sujet de Recep Tayyip Erdogan, le 14 décembre dernier. « La Turquie et la Russie se trouvent dans une position relativement similaire. Bien sûr, Ankara condamne beaucoup plus ouvertement Israël et adopte un discours propalestinien. Mais la Russie, elle aussi, a fermement condamné Israël et en a fait une excuse pour critiquer encore plus l'Occident », estime Eleonora Tafuro Ambrosetti.

Sur la scène régionale, Moscou reste aussi incontournable dans le dossier syrien, alors qu’Ankara a récemment agité la menace d’une offensive terrestre dans les régions kurdes du nord de la Syrie. Un projet auquel la Russie a toujours officiellement opposé son veto, bien que le pays soit accusé par la communauté kurde de fermer les yeux sur les activités militaires turques à sa frontière syrienne. Espérant de longue date une réconciliation turco-syrienne, la Russie s’était engagée en octobre 2019 à retirer les combattants des Unités de protection du peuple (YPG), branche armée des Forces démocratiques syriennes (FDS) à majorité kurde et soutenues par les États-Unis, à une distance d’environ 30 kilomètres de la frontière turque. Une promesse non tenue selon Ankara. Mais sur ce conflit, les deux pays trouvent un point de convergence : « Russes et Turcs voient d'un mauvais œil la présence américaine en Syrie. Pour Moscou, elle viole la souveraineté de la Syrie et empêche Damas de remettre la main sur ses gisements de pétrole. Pour les Turcs, elle sert de parapluie au déploiement d'une activité kurde considérée comme terroriste par Ankara », explique Igor Delanoë.

Lire aussi

Défiant Moscou, Ankara agite la menace d’une offensive terrestre en Syrie

Reste à savoir si le rôle perturbateur de la Turquie au sein de l’alliance occidentale ne va pas lui coûter les avancées entreprises avec ses alliés de l’OTAN, de qui elle attend certaines garanties en vue de relancer les négociations pour son adhésion à l’Union européenne. Pour Igor Delanoë, la balance penche en faveur d'Ankara : « Les Américains tiennent beaucoup trop à leurs relations avec la Turquie pour risquer de les compromettre parce qu’Erdogan rencontre Poutine, estime le chercheur. Et les arguments moraux ne tiennent pas avec le président turc, comme cela a été maintes fois prouvé. »

Évoquée pour le 12 février, elle est finalement prévue pour avril. La visite de Vladimir Poutine en Turquie, annoncée de longue date, a été reportée à plusieurs reprises au gré des rapprochements entre Ankara et l'Occident. Moscou avait accusé la Turquie de privilégier ses relations avec l’Ouest, une ouverture promise lors de la campagne victorieuse de Recep Tayyip...

commentaires (2)

Le mot Turquie résonne d'abord avec le génocide des populations chrétiennes ancestrales, et encore majoritaires jusqu'au 18ème siècle, aujourd'hui quasiment disparues, arméniens, grecques, syriaques. Il résonne ensuite avec duplicité, Erdogan en est la plus parfaite illustration. Enfin il se rappelle à nous régulièrement par la nostalgie qu'il éprouve pour un Empire qui s'est construit sur les ruines provoquées d'un Empire chrétien milinaire, qui produisit une véritable civilisation dont Sainte Sophie est un symbole, à nouveau outragé

Nicolas ZAHAR

10 h 33, le 13 février 2024

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Le mot Turquie résonne d'abord avec le génocide des populations chrétiennes ancestrales, et encore majoritaires jusqu'au 18ème siècle, aujourd'hui quasiment disparues, arméniens, grecques, syriaques. Il résonne ensuite avec duplicité, Erdogan en est la plus parfaite illustration. Enfin il se rappelle à nous régulièrement par la nostalgie qu'il éprouve pour un Empire qui s'est construit sur les ruines provoquées d'un Empire chrétien milinaire, qui produisit une véritable civilisation dont Sainte Sophie est un symbole, à nouveau outragé

    Nicolas ZAHAR

    10 h 33, le 13 février 2024

  • Surtout ne pas déplaire à Biden, mais lui faire comprendre de persister à la reconnaissance de la Palestine et à la création d’un état palestinien.

    Mohamed Melhem

    23 h 58, le 11 février 2024

Retour en haut