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Moyen-Orient - FOCUS

Ankara tente de calmer la polémique autour de ses exportations vers Israël

Malgré la guerre à Gaza, des révélations ont prouvé la poursuite des échanges commerciaux entre les deux pays, y compris dans le domaine militaire.

Ankara tente de calmer la polémique autour de ses exportations vers Israël

Un porte-conteneurs arrive sur le Bosphore, à Istanbul, en Turquie, le 18 août 2023, en passant par le mer Noire. Murat Sengul/AFP

C'est une critique qui ébranle sérieusement l’image de champion de la cause palestinienne que le président turc Recep Tayyip Erdogan s’efforce d’incarner depuis de nombreuses années. Depuis le début de la guerre à Gaza, la poursuite des relations commerciales de la Turquie avec Israël mécontente de plus en plus la population. De vastes manifestations réprimées ont suscité l’indignation de l’opinion publique et l’embarras du régime, qui s’est empressé de répondre par une série de mesures punitives contre l’État hébreu.


De quoi parle-t-on ?

Malgré la guerre à Gaza, les relations commerciales entre la Turquie et Israël sont restées au beau fixe. Pesant près de 9 milliards de dollars en 2023, le commerce bilatéral entre les deux pays devrait atteindre dans les prochaines années les 15 milliards de dollars annuels, selon un accord discuté entre autres lors de la première rencontre officielle, en septembre dernier, entre le président turc et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Selon les données de l’Institut turc des statistiques (TÜIK), les importations israéliennes en Turquie ont augmenté depuis les attaques du 7 octobre, marquant le début du conflit à Gaza.

Concernant les exportations de la Turquie vers Israël, plus de 300 cargos ont quitté les ports turcs en direction de l’État hébreu depuis le début de la guerre. Un décompte suivi minutieusement, notamment par le journaliste turc en exil Metin Cihan sur son compte X. Celui-ci rapporte que depuis le port de Ceyhan, dans le sud de la Turquie, près de 40 % des besoins annuels en brut d’Israël ont ainsi pu être assurés sans entrave depuis janvier. Le conglomérat turc Zorlu assure également un autre besoin israélien essentiel, en alimentant son réseau électrique à hauteur de 7 %. Selon l’Union des exportateurs turcs et l’agence de statistiques Turkstat, l’ensemble des exportations turques vers l’État hébreu a représenté 5,43 milliards de dollars en 2023, contre 7,03 milliards de dollars en 2022. En mars, TÜIK précise que les produits exportés vers Israël comprennent aussi des métaux précieux, des produits chimiques, des insecticides, des pièces de réacteurs nucléaires, de la poudre à canon, des explosifs, des pièces d'avion, ainsi que des armes et des munitions, rendant plausible l’usage de la technologie turque dans la guerre qu’Israël mène à Gaza.


Pourquoi cela crée-t-il la polémique ?

Ce commerce florissant embarrasse les autorités turques, notamment pour ce qui concerne les exportations relevant du domaine militaire. Depuis le début de la guerre, le président Erdogan est l’une des voix les plus critiques à l’égard du gouvernement israélien. Une image qu’il entend soigner à domicile (alors que l’opinion publique turque est majoritairement favorable à la cause palestinienne), mais aussi dans le monde arabe. Le président turc n’avait pas hésité à qualifier le Premier ministre israélien de « boucher de Gaza », à remettre en question le statut d’Israël en tant qu'État, ou à qualifier le Hamas de « groupe de libérateurs qui protègent leurs terres ». Le gouvernement turc a fréquemment appelé sa population à boycotter des marques perçues comme soutenant Israël.

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Des prises de position parfois coûteuses pour l’image d’Ankara, qui aurait voulu faire partie des cycles de négociations sur l’enclave palestinienne. Si, en surface, les ponts diplomatiques entre les deux pays ont été coupés, alors que l’ambassadeur turc à Tel-Aviv a été rappelé en novembre, la poursuite des liens commerciaux nourrissent les critiques concernant une hypocrisie du régime turc. D’autant plus que le commerce entretenu avec l’État hébreu profite directement aux proches du pouvoir, selon les révélations du journaliste Metin Cihan qui a pu identifier les propriétaires des flottes de navires au départ des ports turcs.

C’est en critiquant le pouvoir pour ses liens continus avec Israël malgré la guerre à Gaza que le parti islamiste ultraconservateur Yeniden Refah (Nouveau Parti de la prospérité) a fait une percée lors des élections législatives du 31 mars. Ex-allié du Parti de la justice et du développement (AKP), la formation au pouvoir, le mouvement a réussi à créer la surprise en captant les déçus de l'AKP. Si la majorité présidentielle avait gagné lors des élections générales de mai dernier, les municipales ont révélé la débâcle du parti présidentiel, dont certains bastions historiques sont passés aux mains de l’opposition.

Vers une crise diplomatique ?

Ankara a décidé, mardi 9 avril, de restreindre les exportations vers l'État hébreu de nombreuses marchandises. « Cette décision restera en vigueur jusqu’à ce qu’Israël proclame un cessez-le-feu immédiat et autorise l’accès continu de l’aide humanitaire à Gaza », a écrit le ministère du Commerce dans un communiqué. La restriction concerne 54 produits, dont de nombreux matériaux de construction composés d’acier, de fer ou d’aluminium, ainsi que du carburant d’aviation. Le ministère précise que « la vente des produits ou services susceptibles d’être utilisés à des fins militaires par Israël » n’était plus autorisée « depuis longtemps ». Sans évoquer la pression qui monte à domicile, Ankara pointe plutôt le récent blocage de sa demande de larguer de l’aide humanitaire sur Gaza. La Turquie se targue d’être le plus grand fournisseur d'aide humanitaire de la bande de Gaza, fournissant 26 % du montant total des produits de première nécessité, selon le média progouvernemental turc Daily Sabah, reprenant les chiffres du Coordonnateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), une unité du ministère israélien de la Défense.

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Israël a réagi dans la foulée en annonçant qu’il prendrait les « mesures nécessaires » à l'encontre de la Turquie, dénonçant une « violation des accords commerciaux » bilatéraux. Tel-Aviv pourrait ainsi cesser d’importer des marchandises de Turquie et mobiliser ses soutiens pour les dissuader d'engager des partenariats avec Ankara. Une punition de mauvais augure, alors que la Turquie cherche à attirer massivement les investisseurs étrangers pour faire face à une crise économique qui plombe le pays depuis plusieurs années.

C'est une critique qui ébranle sérieusement l’image de champion de la cause palestinienne que le président turc Recep Tayyip Erdogan s’efforce d’incarner depuis de nombreuses années. Depuis le début de la guerre à Gaza, la poursuite des relations commerciales de la Turquie avec Israël mécontente de plus en plus la population. De vastes manifestations réprimées ont suscité...

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