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Les Arméniens : des « enfants chéris de l’Empire » au génocide

Lorsqu’on évoque l’histoire arménienne au sein de l’Empire ottoman, la plupart du temps, on se réfère involontairement au génocide arménien qui a eu lieu vers la fin de l’ère ottomane, et cela en raison de son ampleur. En effet, cette tragédie a éclipsé une longue histoire de relations arméno-turques complexes et tumultueuses marquées par des périodes de coexistence pacifique et productive, mais aussi par des conflits et des tragédies.

La prise de Constantinople par les Turcs en 1453 marque un tournant pour les Ottomans et les Arméniens, symbolisant la fin de l’Empire byzantin et l’apogée ottomane en Europe du Sud-Est et en Asie occidentale. Les Arméniens voient leur situation changer sous une nouvelle gouvernance, inaugurant une ère complexe dans leurs relations avec l’Empire ottoman.

Sous le règne ottoman en Asie mineure, diverses communautés religieuses cohabitaient avec les musulmans. Leur statut était réglementé par un cadre juridique inspiré des enseignements de l’islam. Les communautés non musulmanes, appelées « gens du Livre », étaient autorisées à pratiquer leur religion, mais devaient verser une taxe appelée jizya en échange de leur protection par l’État. Cette protection comprenait la liberté pour chaque communauté de pratiquer sa religion et celle de s’autogouverner selon ses lois religieuses, en étant cependant soumise à des restrictions sociales et politiques. Les Ottomans ont formalisé le statut des « gens du Livre » à travers la doctrine des melleh consacrant les communautés religieuses importantes de l’Empire. Les Arméniens ont ainsi été chargés d’administrer l’ensemble des chrétiens d’Anatolie, à l’exception des grecs-orthodoxes.

Pendant cette période, les minorités religieuses étaient relativement tolérées. Mais la coexistence n’a pas toujours été pacifique entre les différentes communautés religieuses et les Ottomans. Il y a eu des périodes de tensions et de violence. Les Arméniens ont toutefois réussi à préserver leur culture, leur identité et leur importance économique, politique et culturelle avec le système des melleh qui leur a permis de s’organiser sous l’autorité de leurs chefs spirituels. Ils ont ainsi pu maintenir leur autonomie dans les domaines religieux, éducatif, culturel et professionnel.

L’éducation a toujours revêtu une grande importance pour les Arméniens, jouant un rôle-clé dans les relations qu’ils entretenaient avec les Ottomans. Ils disposaient de leurs propres écoles financées par leur communauté et calquées sur le modèle occidental. Ils fréquentaient également les écoles et les universités des missions étrangères. Cela a contribué à un taux d’alphabétisation de la communauté arménienne de 66 %, plus élevé que celui des autres groupes de l’Empire ottoman.

Les Arméniens étaient aussi très actifs dans de nombreux secteurs économiques. Propriétaires terriens pour la plupart, ils entretenaient des liens commerciaux avec l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Leur art et leur artisanat étaient renommés, notamment leur travail dans les industries du textile, de la bijouterie et de la poterie, ainsi que leur production de tapis, une industrie importante en Anatolie.

Au XIXe siècle, plusieurs réformes connues sous le nom de « Tanzimat de 1839 et 1856 » ont été mises en place afin de moderniser l’Empire ottoman en garantissant l’égalité entre tous les citoyens, sans distinction de religion. Les Arméniens ont bénéficié de ces réformes qui ont aboli le système des melleh et accordé aux minorités des droits égaux à ceux des musulmans. Cependant, ces réformes n’ont pas été accueillies favorablement par tous. Provoquant des émeutes, elles ont été abolies en 1876 par le sultan Abdülhamid II. Elles ont en tout cas permis aux Arméniens d’accéder à la fonction publique et aux écoles publiques, aussi bien civiles que militaires. En conséquence, certains d’entre eux ont pu occuper des postes importants dans l’administration et dans l’armée de l’Empire ottoman, ce qui leur a permis de participer activement à son développement et à sa modernisation.

Les Arméniens ont par ailleurs subi des persécutions et des massacres pour avoir, par exemple, protesté contre la jizya ou pour avoir aspiré à l’indépendance et même parfois pour fanatisme religieux. À l’exception du génocide de 1915 qui a touché tous les Arméniens de l’Empire, ces violences étaient souvent limitées à certaines zones de conflit. Comme les massacres hamidiens, souvent associés aux aspirations à l’indépendance des Arméniens, qui se sont déroulés de 1894 à 1896, principalement dans la région de Diyarbakir où entre 80 000 et 300 000 victimes ont été recensées. De même, le massacre d’Adana, orchestré par la

contre-révolution ottomane de 1909 soutenue par le sultan Abdülhamid II contre le Comité Union et Progrès au pouvoir, qui a entraîné la mort de 20 000 à 30 000 Arméniens ainsi que de 1 300 Assyriens, accusés de soutien au dernier.

Le génocide arménien de 1915 a été déclenché par plusieurs facteurs, notamment la politique nationaliste du régime de l’Union et du Progrès ainsi que les tensions ethniques et religieuses au sein d’une population hétérogène. Les Arméniens étaient considérés comme une menace à l’intégrité de l’État ottoman et accusés de collaborer avec l’ennemi, suite à la défaite des forces ottomanes dans une offensive contre les forces russes dans la région du lac de Van en avril 1915. De plus, le fait que de nombreux Arméniens se trouvaient à la frontière entre les deux belligérants (la Russie et l’Empire ottoman) a mené à des mesures de déportation forcée à leur encontre et contre les Assyriens, entraînant des massacres de masse, la famine, la soif, la maladie, les exécutions sommaires et les attaques de villages. Le nombre de morts varie selon les sources, mais est généralement estimé aux alentours de 1,2 à 1,5 million de victimes arméniennes, 300 000 victimes assyriennes et 200 000 victimes syriaques.

Les Arméniens, qui ont eu une contribution significative dans le développement économique et culturel de l’Empire et dans l’essor de l’art ottoman, avaient été dénommés « les enfants chéris de l’Empire ». Toutefois, le génocide de 1915 a constitué un tournant décisif, étant considéré, à juste titre, comme l’un des pires crimes contre l’humanité du XXe siècle.

Aujourd’hui, la reconnaissance du génocide arménien est cruciale pour la justice et la réconciliation entre les Arméniens et les Turcs, et reste un sujet délicat et controversé en Turquie, certains continuant à nier ou à minimiser les atrocités commises.

Architecte D.P.L.G.

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Lorsqu’on évoque l’histoire arménienne au sein de l’Empire ottoman, la plupart du temps, on se réfère involontairement au génocide arménien qui a eu lieu vers la fin de l’ère ottomane, et cela en raison de son ampleur. En effet, cette tragédie a éclipsé une longue histoire de relations arméno-turques complexes et tumultueuses marquées par des périodes de...

commentaires (3)

Excellent, merci pour cet article très informatif.

Vartkes arzoumanian

21 h 48, le 24 avril 2024

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Commentaires (3)

  • Excellent, merci pour cet article très informatif.

    Vartkes arzoumanian

    21 h 48, le 24 avril 2024

  • Superbe article. Merci pour tant d’informations.

    Vartkes arzoumanian

    21 h 45, le 24 avril 2024

  • Une triste histoire

    Eleni Caridopoulou

    19 h 03, le 24 avril 2024

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