Depuis que les combats ont éclaté entre le Hezbollah et l’armée israélienne le 8 octobre, 285 combattants ont été tués, selon les annonces du parti chiite, qu’il identifie systématiquement en fournissant leurs nom, âge, lieu de naissance, surnom et une photo. Pourtant, à plusieurs reprises, des membres des familles et des proches des personnes tuées ont affirmé qu’il s’agissait en réalité de civils et que le Hezbollah se les était appropriés en tant que « martyrs ».
C’est le cas de Khalil Farès, tué dans une frappe israélienne à Jadra (Chouf) le 10 février dernier. Selon Dana Reslan, une habitante du village, il était « propriétaire d’un magasin de légumes local dont il tenait une petite boutique de fortune sur le bord de la route depuis plusieurs années ». « Plusieurs habitants de la localité ont été choqués lorsque le Hezbollah l’a présenté comme l’un de ses combattants tués sur la route de Jérusalem », c’est-à-dire tué au combat, a-t-elle expliqué à L’Orient Today.
Charbel Azzi, la cinquantaine, qui achetait des légumes à Khalil Farès quelques minutes avant que ce dernier ne soit tué, avait, lui, déclaré à L’Orient-Le Jour en février qu’après la première frappe ce jour-là, le légumier lui avait dit : « Je reviens dans une minute », avant de se précipiter vers la scène du drame. « J’ai fini par le suivre et, 1 minute 15 secondes plus tard, j’étais à 20 mètres derrière lui lorsqu’un second missile l’a frappé de plein fouet », nous racontait-il. Et d’ajouter : « Le fait qu’il ait couru comme cela avant la seconde frappe montre à quel point il ne connaissait rien aux zones de guerre. »
Kassem Kassir, un analyste réputé proche du Hezbollah, ne croit pas que le parti essaie d’augmenter le nombre de ses combattants tués : « Ils n’ont rien à y gagner et n’ont aucune raison de le faire. » Il souligne que le gros du travail de la formation chiite dépend du secret et donc « une personne pourrait être membre du Hezbollah pendant des années sans que le grand public ne le sache ». Un combattant du Hezbollah, théoriquement non autorisé à parler à la presse, a, lui, détaillé à L’Orient Today les différents types d’affiliés au parti : « Certains sont officiellement membres ; d’autres sont des partisans ou ont de nombreux membres de leur famille qui sont affiliés au parti, et donc, s’ils sont tués, par respect, le parti les revendique comme siens. »
« Allocation » ?
Tous les tués revendiqués par le Hezbollah comme faisant partie de ses troupes ont pourtant droit à la qualification de « martyrs tués sur la route de Jérusalem ». Pourquoi ? « Simplement parce que nous croyons que les sacrifices des membres officiels du Hezbollah et les victimes des frappes israéliennes font partie d’une lutte plus étendue contre l’ennemi pour libérer Jérusalem des sionistes », note Kassem Kassir.
Le Hezbollah n’est pas le seul à revendiquer ses « martyrs ». Le mouvement Amal fait de même. Mi-février, une frappe israélienne a tué une partie de la famille de Hussein Ahmad Berjaoui à Nabatiyé. Tous les habitants de la ville s’étaient alors dits choqués que l’appartement de la famille ait été attaqué, insistant sur le fait que celle-ci n’avait aucune affiliation politique. Deux jours plus tard, Hussein Ahmad Berjaoui a été qualifié de « membre du mouvement Amal tué en accomplissant son devoir jihadiste de défense du Liban et du Sud ».
Le Hezbollah et le mouvement Amal sont différents à cet égard. « Le Hezbollah pleure ses cadres et ses membres tués en tant que combattants morts sur le chemin de Jérusalem, en donnant au conflit un caractère régional, tandis que le mouvement Amal insiste sur le fait qu’ils sont morts en défendant le Liban. Cette différence est significative », souligne le combattant anonyme du Hezbollah.
Imad Salamey, professeur de relations internationales à l’Université libano-américaine (LAU), explique que, « rationnellement parlant, le Hezbollah devrait être soucieux de dissimuler le nombre de ses combattants tués pour montrer qu’Israël échoue dans ses attaques et que celles-ci n’atteignent pas leurs cibles ». Cependant, « le parti veut aussi montrer aux Palestiniens de Gaza qu’il sacrifie les siens pour la cause de Jérusalem et se tient à leurs côtés », souligne pour sa part le combattant du Hezbollah.
Beaucoup toutefois pensent que les familles des victimes souhaitent cette revendication par le Hezbollah ou Amal afin de toucher une allocation de leur part. Une porte-parole du Hezb a néanmoins expliqué à L’Orient Today que la formation pro-iranienne ne vise pas à dissimuler ou à exagérer le nombre de ses combattants tués, mais qu’il existe plusieurs types de « membres impliqués dans le parti » : « Il y a ceux qui sont officiellement affiliés et sont enregistrés comme recevant un salaire ; puis il y a les gens que nous appelons les “taabi’a” (mobilisés), qui sont proches du parti mais ne reçoivent aucune aide financière. Lorsque les mobilisés sont tués par des frappes israéliennes, le Hezbollah les pleure. Mais ils ne sont pas payés, et leurs familles ne le seront pas non plus », conclut la porte-parole.
Nous les considérerons comme étant des martyrs le jour où ils viendraient défendre leur drapeau et leur terre libanaise et non des pays étrangers et des causes fallacieuses pour le détruire.
12 h 24, le 22 avril 2024