Ce n’est pas le premier point d’inflexion. L’obstination à préparer une offensive à Rafah sans plan d’évacuation concret ou encore le « massacre de la farine » où plus d’une centaine de personnes ont été tuées le 29 février dans le chaos d’une distribution d’aide dans le nord de Gaza ont récemment nourri la frustration croissante de Joe Biden face à son allié israélien. Mais les frappes de lundi soir sur le convoi humanitaire du World Central Kitchen, tuant sept employés de l’organisation américaine, ont poussé le président américain à menacer directement et pour la première fois Israël. « Changez de politique ou nous changerons la nôtre. » Tel est le message repris en chœur par tous les représentants de l’administration démocrate après le coup de fil d’une demi-heure passé entre le locataire de la Maison-Blanche et le Premier ministre isréalien Benjamin Netanyahu jeudi soir. Selon un communiqué de la présidence, Joe Biden attend « l’annonce et la mise en œuvre de mesures spécifiques, concrètes et mesurables pour répondre aux atteintes faites contre les civils, à la souffrance humanitaire et à la sécurité des humanitaires ».
Une pression qui paie
Le message fort – émis directement par le chef de l’État qui préférait jusqu’à présent transmettre ses avertissements à Israël à travers notamment sa vice-présidente – s’apparente à un conditionnement du soutien américain à Tel-Aviv. « Dans les faits, le président dit : répondez aux besoins humanitaires ou je n’aurais pas d’autre choix que de conditionner l’assistance (militaire) », analyse Dennis Ross, ancien diplomate américain, pour Reuters. De quoi provoquer une réaction immédiate, l’État hébreu autorisant « temporairement » dès vendredi la réouverture du point de passage d’Erez vers le nord de Gaza et l’acheminement de l’aide à travers le port d’Achdod, dans le sud du pays, ainsi que l’augmentation des livraisons humanitaires en provenance de Jordanie. D’autres mesures auraient été promises pour répondre aux demandes américaines de réduire les pertes civiles ou encore de renforcer le pouvoir des négociateurs pour parvenir à un accord de cessez-le-feu avec une libération des otages, selon des officiels américains cités par le New York Times. Le chef de la CIA devrait ainsi rencontrer ce week-end au Caire le chef du Mossad, en plus du chef des renseignements égyptien et du Premier ministre qatari, dans le cadre de pourparlers qui peinent à progresser. D’après la chaîne américaine NBC, citant deux responsables américains, Joe Biden a menacé d’un changement important dans les relations si Israël n’acceptait par une suspension immédiate des hostilités.
Survenu trois jours après l’incident du World Central Kitchen qui a provoqué un tollé international et pour lequel Israël a présenté des excuses, l’appel entre les deux dirigeants a en outre suivi une réunion discrète mardi entre des représentants de la communauté musulmane et le président américain, et après que la première dame Jill Biden a exhorté en privé son mari à mettre un terme à la guerre à Gaza. Tandis que le très respecté chef américano-espagnol José Andrés, à la tête de l’ONG endeuillée et proche de Joe Biden, s’active à Washington pour augmenter la pression américaine sur Israël, les appels d’élus démocrates se multiplient pour conditionner l’aide militaire à cet allié qui devient de plus en plus embarrassant. Car l’État hébreu a non seulement ignoré la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant le 25 mars à un cessez-le-feu immédiat pour le ramadan – pour laquelle les États-Unis se sont abstenus –, mais il a aussi fait l’objet d’une nouvelle ordonnance de la Cour internationale de justice le 28 mars relative au risque que « la famine s’installe » à Gaza, alors que l’Afrique du Sud l’accuse de non-respect de la Convention sur le génocide. Même l’ancien président Donald Trump, candidat républicain à la présidentielle de novembre et favori des évangélistes, a réitéré qu’il fallait mettre fin au conflit au plus vite, Israël « perdant totalement la guerre de la communication ».
Sans victoire, pas de survie
Face à l’étiolement bipartisan du soutien américain, Benjamin Netanyahu n’a pas osé sortir la carte habituelle du mépris affiché des injonctions du puissant allié – s’accompagnant en parallèle de petits gestes d’apaisement. D’autant que si le Premier ministre a regagné quelques points de sondage depuis le début de la guerre en faisant du pied à l’extrême droite et aux ultranationalistes, son principal rival Benny Gantz, membre du cabinet de guerre israélien, a appelé cette semaine à des élections anticipées en septembre qui s’annoncent aujourd’hui largement perdantes pour le Likoud du chef de l’exécutif. Une demande dont s'est par ailleurs félicité le chef des démocrates au Sénat Chuck Schumer, fervent défenseur d’Israël, qui l’avait lui aussi exprimée il y a quelques semaines, ajoutant sur X que « plus de 70 % de la population israélienne est d’accord d’après un important sondage ». Le Premier ministre est conscient que sans victoires militaires à Gaza, il ne pourra pas assurer sa survie politique. Pour ce faire, il doit garantir un soutien américain continu, alors que les États-Unis ont continué après le 7 octobre à livrer des armes et renforcé la coopération militaire et de renseignements, malgré les risques et les accusations de violations du droit international humanitaire dans l’enclave palestinienne.
Si Joe Biden a fait signe de son mécontentement et de sa frustration à de nombreuses reprises, le président américain a encore récemment affirmé que « la défense d’Israël reste essentielle, qu’il n’y a donc pas de ligne rouge qui pourrait couper toutes les (livraisons d’)armes pour que le pays n’ait plus de Dôme de fer pour le protéger ». Ces derniers jours, l’État hébreu a augmenté son niveau d’alerte après les frappes de lundi sur le consulat iranien à Damas, tuant entre autres le commandant de la Force al-Qods des gardiens de la révolution pour le Levant Mohammad Reza Zahedi. Téhéran a menacé Israël de représailles, laissant planer le doute sur la nature de sa réponse, qui pourrait inclure une intensification des attaques de la part de ses affiliés régionaux, comme les houthis yéménites ou le Hezbollah. Dans ce contexte volatil, « Biden espère qu’il ne sera pas forcé à faire respecter ces lignes rouges », a expliqué au Financial Times Aaron David Miller, chercheur au Carnegie Endowment for International Peace, en référence à la conditionnalité de l’aide à Israël. « L'administration voudra être extrêmement prudente et ne pas prendre de risques en envoyant des signaux indiquant que nous sommes prêts non seulement à conditionner l'aide, mais aussi à la restreindre », a-t-il conclu.
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Le monde entier doit savoir que la région ne peut pas prétendre à une paix durable tant que les iraniens et leurs proxy sont présents avec leurs armes. Ils trouveront toujours un ennemi à combattre pour noyer le poisson de leur échec à gouverner leur pays sans la terreur et sans leurs lois archaïques qui commencent à gaver le peuple iranien qui payent les pots cassés de leurs manœuvres qui leur coûte des milliards, somme qui revient de droit au peuple et non aux mercenaires embauchés pour détruire et semer la mort partout où ils passent.
Sissi zayyat
19 h 29, le 14 avril 2024