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Lifestyle - Artisanat

La broderie palestinienne, une « résistance » pacifique en temps de guerre

La broderie dite « tatriz » est depuis longtemps une forme d’expression importante dans les moments difficiles, chaque motif géométrique représentant une région de la Palestine ou une partie de sa vie traditionnelle.

La broderie palestinienne, une « résistance » pacifique en temps de guerre

Une femme brodant un motif de pastèque, symbole de la résistance palestinienne, sur un keffieh, au centre Inaash. Photo João Sousa

Dans le bureau d’une ONG du camp de réfugiés palestiniens de Chatila, au sud de Beyrouth, deux femmes âgées sont installées l’une à côté de l’autre, brandissant des pièces de broderie « tatriz » qu’elles ont passé des heures à coudre à la main. L’une d’elles dépose les dernières touches de la journée, tandis que l’autre se prépare à rentrer chez elle après ses deux heures de travail quotidien.

Le « tatriz » est un artisanat palestinien traditionnel transmis de génération en génération, généralement de femme à femme. Historiquement, il a constitué une forme d’expression importante pendant les périodes difficiles, chaque motif géométrique représentant une région spécifique de la Palestine ou une partie de ses traditions.

Souvent portées lors des mariages, les « thobes tatriz » – robes traditionnelles – peuvent représenter le village dont est issue une femme, reflétant ainsi le lien qui l’unit à son foyer en Palestine. Les thobes restent très appréciés des réfugiés palestiniens et des membres de la diaspora palestinienne.


L’essayage d'un « thobe » brodé à la main au centre Inaash. Photo João Sousa


Symbole de la résistance palestinienne

Après qu’Israël a expulsé des dizaines de milliers de Palestiniens hors de leurs maisons lors de la Nakba en 1948 et de la Naksa en 1967, le port de ces « thobes » est devenu un moyen de préserver la culture. Les broderies sont également devenues une forme de résistance et de patriotisme palestiniens.

Sobhiyé Krayem, 70 ans, vit dans le camp de réfugiés palestiniens de Aïn el-Héloué, près de Saïda. Elle a enseigné cette manière de broder dans de nombreux lieux au cours de sa vie. Pour elle, la résistance palestinienne contre Israël ne se fait pas seulement avec les armes, mais aussi avec l’art. Elle porte toujours des vêtements travaillés ainsi lorsqu’elle expose ses œuvres.

« Cette technique reflète la résistance palestinienne... Nous nous battons pour montrer que ça nous appartient », dit-elle.


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Cet art acquiert aussi une nouvelle dimension dans le contexte de la guerre de Gaza, où plus de 31 800 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes depuis le 7 octobre, selon les chiffres publiés par le mouvement Hamas.

La brodeuse Fathiyé Charkiyé est née au Liban, mais sa famille est originaire de Amka, un village situé près de la ville d’Acre (Akka), sur la côte nord de la Palestine. En ce matin de février, elle vient de terminer son service à la Société de soutien social, une ONG du camp de Chatila, lorsque L’Orient Today la retrouve à l’œuvre, brodant sur un rectangle des points de couleur. Lorsqu’elle était petite, personne ne lui avait enseigné l’art du « tatriz ». Elle avait surtout l’habitude de s’asseoir à l’extérieur, près de sa maison dans le camp, et de tout simplement observer les femmes le faire.

« Avant, c’était différent… Il y avait suffisamment d’espace entre les maisons pour que les femmes puissent s’asseoir et travailler », se souvient-elle en parlant des ruelles étroites et serrées de Chatila aujourd’hui. À l’époque, il n’y avait pas d’aiguilles à coudre. « Nous utilisions les branches des parapluies et le transformions en aiguilles », explique-t-elle.

Charkiyé a cessé de faire ce genre de broderie pendant plusieurs décennies, mais elle l’a repris il y a six mois en rejoignant la Social Support Society en tant qu’artiste.


Un art de la broderie qui perpétue l’identité palestinienne. Photo João Sousa


Gagner sa vie

Oum Hani est née au Liban il y a plus de 70 ans. Assise à côté de Charkiyé à la Société de soutien social de Chatila, elle est entièrement concentrée sur la couture de sa pièce, tout en s’adressant à nous entre un point et l’autre. « Je fais du “tatriz” depuis 40 ans, c’est ma source de revenus, explique-t-elle. Mon mari est mort, je n’ai personne pour subvenir à mes besoins. Je gagne ma vie principalement ainsi. »

À noter que la loi libanaise du travail limite l’accès des réfugiés palestiniens à la plupart des professions qualifiées et des cols blancs, les emplois manuels et informels restant à pourvoir.


Un héritage préservé

Situé près de la rue Adonis à Ras Beyrouth, Inaash est une ONG et un atelier de broderie qui préserve l’héritage palestinien grâce à des travaux d’aiguille manuels. Les artisans sont presque tous des Palestiniennes vivant dans des camps de réfugiés au Liban. Dotée d’un atelier situé près du bureau, la salle d’exposition est ornée d’un mélange de vêtements traditionnels et modernes fabriqués ainsi. En coordination avec la plateforme artistique Dar Onboz, Inaash a également donné deux cours de broderie palestinienne ces dernières semaines.

Son directeur Ali Jaafar affirme qu’il aide les femmes des camps palestiniens au Liban à subvenir aux besoins de leur foyer. « Depuis 1969, année d’ouverture, nous avons aidé plus de 2 000 femmes dans les camps. Aujourd’hui, Inaash emploie environ 350 brodeuses, toutes des femmes, précise-t-il. C’est ainsi que les réfugiés palestiniens survivent, qu’ils soutiennent leur famille et qu’ils achètent de la nourriture. »


Pour ces brodeuses palestiniennes, le « tatriz » est également un moyen de gagner sa vie. Photo João Sousa


Selon M. Jaafar, l’intérêt pour cette technique palestinienne s’est accru depuis le début de la guerre à Gaza : « Les forces israéliennes ont brutalement bombardé le territoire, détruisant des vies palestiniennes, des maisons et de précieux objets de famille. »

« Inaash a constaté que beaucoup de gens sont intéressés par l’apprentissage de cet art... Nous prévoyons maintenant d’ouvrir d’autres classes. Nous avons eu plus de clients (après la guerre), les gens veulent en savoir plus et en acheter davantage », explique-t-il.

À quelques pas de là, dans l’atelier d’Inaash, deux Palestiniennes et une Libanaise sont assises ensemble dans un silence serein pour coudre. « Nous sommes prêtes à travailler jusqu’à la mort, mais le seul problème est que les contraintes physiques du travail nous font mal au dos. Cela fait 22 ans que je travaille ici et 34 ans dans la broderie », explique Iman, une Palestinienne plus âgée qui brode avec des fils colorés.

« Nous enseignerons cette technique à la nouvelle génération », confie Dalal. « Les Palestiniens ne se fatiguent jamais, ajoute Iman. Tant que nous respirons, nous travaillerons. »


Cet article est paru en anglais dans L’Orient Today le 19 mars

Dans le bureau d’une ONG du camp de réfugiés palestiniens de Chatila, au sud de Beyrouth, deux femmes âgées sont installées l’une à côté de l’autre, brandissant des pièces de broderie « tatriz » qu’elles ont passé des heures à coudre à la main. L’une d’elles dépose les dernières touches de la journée, tandis que l’autre se prépare à rentrer chez elle...

commentaires (3)

Ces mains fragiles, avec courage et amour, produisent de simple mais puissants chefs d'oeuvre..

Wlek Sanferlou

14 h 02, le 24 mars 2024

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Commentaires (3)

  • Ces mains fragiles, avec courage et amour, produisent de simple mais puissants chefs d'oeuvre..

    Wlek Sanferlou

    14 h 02, le 24 mars 2024

  • Du très beau travail.

    Brunet Odile

    09 h 24, le 24 mars 2024

  • Nous sommes tous affectés par les victimes civils à Gaza.. En revanche, nous ne sommes pas tous concernés par les soucis, la cause et toute la partie pour laquelle ils combattent. Tout le monde sait, que depuis 1975 , depuis qu’on a été dépouillés par les mafieux, depuis l’explosion du port ..Nous, Libanais, NOTRE cause c’est la seule que nous portons. Donc SVP. OLJ, faut arrêter de remplir des pages entières sur la culture palestinienne, sur les traditions palestiniennes ..pq ne parlez-vous pas autant de la Jordanie ? Du Maroc? De l’afrique du Sud? De la chine? Overdose chers OLJ…C trop

    LE FRANCOPHONE

    01 h 54, le 24 mars 2024

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