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Lifestyle - Reportage

À Tripoli, le Zambo, une tradition du carême tonitruante et pleine de couleurs

Demandez à n'importe quel habitant d'où vient la tradition du Zambo, de même que son nom, et chacun vous racontera une histoire différente.

À Tripoli, le Zambo, une tradition du carême tonitruante et pleine de couleurs

Des visages grimés défilent dans les rues de Mina. Photo João Sousa

Chaque année, les habitants de Mina, en bord de mer juste à côté de Tripoli, se griment le visage et le corps de noir et d’or, enfilent des jupes en papier et des perruques de clown aux couleurs de l’arc-en-ciel et défilent dans les ruelles en pierre en battant sur des tambours. Personne ne connaît vraiment l’origine de cette tradition.

Pourtant, dimanche dernier, des centaines de femmes, d'hommes et d'enfants ont fait exactement la même chose, portant des masques et même des costumes de Vikings, brandissant un énorme drapeau de pirate à tête de mort. Un homme d'un certain âge s’est même faufilé dans la foule flanqué d’un costume en forme de banane. Une petite équipe de mejwez et de joueurs de tambour libanais les a rejoints, des tarbouches rouges sur la tête, sous le regard souriant des habitants qui observaient la scène depuis leurs balcons.

Un homme portant une perruque, le visage recouvert d'une peinture dorée, défile à l'occasion du Zambo. Photo João Sousa

Origines inconnues

Cette tradition annuelle, propre à Mina, est censée marquer la veille du carême orthodoxe et ressemble un peu au carnaval brésilien et au mardi gras de La Nouvelle-Orléans.

Mais si l'on demande aux habitants d'où vient cette tradition, « chacun a une histoire différente », explique Nour Sarrag, étudiante en sociologie à l'Université libanaise, qui effectue des recherches sur le Zambo et Tripoli qu'elle espère utiliser pour créer une carte interactive sur l'histoire et la culture de Tripoli.

Selon elle, le Zambo « aurait été importé par des expatriés grecs et brésiliens », il y a 50 et 100 ans, une époque qui varie selon les personnes interrogées. L'histoire est tellement floue qu'on ne peut pas vraiment dire « ils ont des origines grecques ». « Il en va de même pour le Brésil. »

Une habitante de Mina contemple, souriante, le défilé annuel. Photo João Sousa

Le nom du festival est également insaisissable. Le mot Zambo était utilisé à l'époque de l'Empire espagnol pour désigner les personnes d'ascendance mixte africaine et indigène. Selon le dictionnaire Oxford, ce terme espagnol pourrait être l'un des ancêtres de l'injure raciale anglaise « sambo ». Plus près de nous, une compagnie de chocolat jordanienne vend une friandise baptisée « Sambo » dont l'emballage est illustré par une représentation raciste d'un personnage noir.

Par ailleurs, il a pu être inspiré d'un film italien de série B de 1972, intitulé Zambo : King of the Jungle, qui raconte les pérégrinations d'un homme blanc dans un pays d'Afrique. Le Zambo de Mina proviendrait-il d'un élément de ce puzzle étymologique ?

« J'ai interrogé les prêtres, les organisateurs et les  habitants, et personne ne sait », dit Sarrag.

Béchara Missi, 78 ans, habitant à Mina depuis toujours, est propriétaire d'une dekkaneh (une épicerie de proximité) à l'angle de la rue où les fêtards et fans du Zambo se rassemblent pour démarrer leur procession le dimanche matin. Missi raconte qu'il avait l'habitude de se déguiser chaque année pour l’occasion, tout comme son père avant lui.

Béchara Messi, 78 ans, montre sa photo, déguisé à l'occasion du Zambo en 1993. Photo João Sousa

Sur un petit pan de mur derrière la caisse enregistreuse, il conserve des photos de lui en 1993, le visage peint et vêtu d’un costume pour le défilé. Derrière, une coupure de presse en langue arabe le montre au centre de la scène en l'an 2000, son épaisse moustache caractéristique au centre de son visage peint. Il affirme avoir des « tonnes » d'autres photos et même des vidéos de la fête des années passées, mais elles sont dispersées ici et là sur de vieilles cassettes VCR.

Se souvient-il de la première fois qu'il a rejoint le Zambo ? Pas vraiment, semble-t-il. « Nous étions jeunes », avoue Missi. Il précise aussi qu'aucune église ou organisation en particulier n'est responsable de la préparation de la marche. Juste « les jeunes de Mina ».

Béchara Hassan, l'un des jeunes du coin, est d'accord - après tout, Hassan est ce qui se rapproche le plus d'un organisateur de festival. Il affirme avoir recueilli 1 000 dollars de dons auprès des habitants pour payer les costumes et le maquillage, cette année.

La question de la peinture noire sur le visage et le corps des fêtards fait froncer les sourcils en dehors de Mina. Selon la chercheuse Sarrag, la peinture noire est censée représenter les « péchés » des fêtards, dont ils se débarrassent en sautant dans la mer, à la fin de la procession.

Les fétards plongent en mer à la fin de parade, pour se laver de leurs péchés. Photo João Sousa

Selon une autre légende locale, le Zambo serait dû au fait que les habitants de Mina imitaient les chants et les danses des soldats français d'origine sénégalaise qui étaient postés dans la ville pendant la période du mandat français (1920-1943).

Bien que certains descendants de leurs descendants vivent encore aujourd'hui à Mina, on ne sait pas s’ils participent au Zambo.

Hassan affirme que les fêtards se contentent de prendre les vêtements colorés et criards qu'ils ont sous la main, sans se soucier d'une esthétique particulière.

Cette année, le Zambo et le carême coïncident avec le mois de jeûne du ramadan. Musulmans et chrétiens ont ainsi défilé ensemble.

Les habitants de Mina, qui compte une importante population grecque-orthodoxe, mais aussi des musulmans et des chrétiens, affirment que toutes les confessions apprécient le festival, même s'il est ancré dans le carême chrétien.

« Ce qui est bien avec le Zambo, c'est qu'il rassemble les deux religions », confirme Camille Missi, un habitant présent dans la foule.

*Cet article est paru en anglais dans L'Orient Today le 18 mars.

Chaque année, les habitants de Mina, en bord de mer juste à côté de Tripoli, se griment le visage et le corps de noir et d’or, enfilent des jupes en papier et des perruques de clown aux couleurs de l’arc-en-ciel et défilent dans les ruelles en pierre en battant sur des tambours. Personne ne connaît vraiment l’origine de cette tradition.Pourtant, dimanche dernier, des centaines de...

commentaires (3)

Cette drôle de phrase suggérerait que les orthodoxes ne sont pas chrétiens: Les habitants de Mina, qui compte une importante population grecque-orthodoxe, mais aussi des musulmans et des chrétiens, affirment que toutes les confessions apprécient le festival, même s'il est ancré dans le carême chrétien. Peut-être ajouter « d’autres dénominations » après « et des chrétiens »?

Michael

16 h 30, le 24 mars 2024

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Commentaires (3)

  • Cette drôle de phrase suggérerait que les orthodoxes ne sont pas chrétiens: Les habitants de Mina, qui compte une importante population grecque-orthodoxe, mais aussi des musulmans et des chrétiens, affirment que toutes les confessions apprécient le festival, même s'il est ancré dans le carême chrétien. Peut-être ajouter « d’autres dénominations » après « et des chrétiens »?

    Michael

    16 h 30, le 24 mars 2024

  • NÉ À EL MINA, IL Y AVAIT DEUX GROUPES. LE 1er MAQUILLÉ EN CHARBON ET SES MEMBRES DANSAIENT SUR LA PLACE « sahat el terab » OÙ SE TROUVAIENT LES CINAMA SALWA ET RABHA. ET L’AUTRE GROUPE AVEC LE COIFFEUR ISTA EL NINI TOURNAIT DÉGUISÉ « LAAOUBÉ » SUR LES MAISONS ET LES GENS ESSAYAIENT DE DEVINER QUI EST QUI. BÉCHARA AVAIT LA COTE AVEC LES FILLES.

    Gebran Eid

    19 h 20, le 20 mars 2024

  • Je voudrais attirer l'attention de l'auteur de cet article ainsi que des lecteurs , moi qui bis au Brésil, que le mot Zambo , signifie, selon le dictionnaire académique de langue portugaise : "Personne qui descend d'un parent noir et d'un parent indigène (métis)". De là à conclure que ce terme auraiy été importé par un ~emigré revenant du Brésil , il n'y a qu'un pas , surtout si l'on considère que le carnaval et les déguisements font partie ici des moeurs immémoriales de la population brésilienne , et surtout chez les gens de couleur .

    Chucri Abboud

    16 h 42, le 20 mars 2024

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