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Grandir - Lorient-Le Siecle

L’administration libanaise et l’âge de la carte perforée

Pas un âge d’or, mais un âge qui essaie encore. Nous sommes en 1963. La crise de l’été 1958 est déjà loin ; la guerre une vue de l’esprit. Fouad Chehab, président, mène de front les réformes et projets de développement censés ancrer le Liban de l’indépendance dans la modernité. « L’Orient » se fait le porte-voix de cette politique visionnaire. L’article qui suit, rédigé par l’ancien rédacteur en chef, Jean Chami, s’étend sur la création d’une Direction centrale de la statistique au sein du ministère du Plan. Entre compte rendu scientifique et espoir de progrès, il incarne l’esprit de l’époque.

L’administration libanaise et l’âge de la carte perforée

Illustration Jaimee Haddad.

À l’occasion de son centenaire, « L’Orient-Le Jour » fait revivre les grands textes de « L'Orient », du « Jour » et de « L'Orient-Le Jour » qui ont marqué le siècle. Ici, l’enquête de Jean Chami publiée dans « L’Orient » le 25 mars 1963.

Pour la jeune Direction centrale de la statistique, une ambition : organiser la comptabilité nationale au Liban. L’atelier de mécanographie de Bir Hassan (l’un des plus modernes du Moyen-Orient) « traitera » et conservera les renseignements chiffrés sur toutes les activités nationales, officielles et privées, y compris le commerce extérieur. La DCS publiera un bulletin mensuel qui paraîtra 15 jours après la réception de la dernière documentation fournie par les ministères.

Une des principales directions créées au sein du ministère du Plan, par la loi du 12 juin 1962 réorganisant ce département, est la Direction centrale de la statistique (DCS).

Dans l’œuvre de modernisation de l’administration libanaise, engagée par le président Fouad Chehab, la DCS est appelée à jouer un rôle pilote.

La statistique n’était, bien entendu, pas entièrement inexistante dans les services de l’État avant la réforme de 1962, comme nous l’a déclaré M. Kamel Bohsali, qui préside aux destinées de la DCS.

En effet, aussitôt après l’indépendance, des services spéciaux avaient été créés dans certains départements ministériels avec pour mission de collecter des statistiques concernant leurs activités.

Un précurseur, Melcon Hazarabédian

Le plus important de ces services était celui remarquablement organisé au ministère de l’Économie nationale par M. Melcon Hazarabédian. Dans la limite de ses attributions, par ailleurs réduites, ce dernier a tenté de centraliser les renseignements chiffrés rassemblés dans les divers secteurs de la vie libanaise : économique, démographique, touristique, climatologique, etc. Plusieurs années durant, le bulletin publié par le service de la statistique générale au ministère de l’Économie nationale a été la principale, sinon l’unique, source de renseignements statistiques sérieux, à la portée du public.

Avec l’essor économique et social enregistré au Liban, à partir de 1950, la nécessité d’un organisme statistique central, doté de larges attributions, s’est fait de plus en plus sentir. Un projet de décret-loi (n° 2 du 30 novembre 1954 portant création du ministère du Plan) fut alors élaboré : il prévoyait un service de la statistique centrale. Mais ce texte ne fut jamais promulgué. Il a fallu attendre la réforme administrative de 1959 pour voir le projet se concrétiser. C’est ainsi que le décret-loi n° 135, promulgué le 12 juin 1959, a institué une Direction centrale de la statistique, avec pour mission de :

1) rassembler, centraliser, uniformiser et interpréter les renseignements chiffrés concernant toutes les activités nationales ;

2) créer un service de mécanographie à cartes perforées dont bénéficieraient toutes les autres administrations de l’État.

Divers textes devaient suivre, entre 1959 et 1962, le décret-loi 135 pour l’amender et le compléter. C’est la loi du 12 juin 1962, réorganisant le ministère du Plan, qui a donné sa constitution définitive à la DCS dans le cadre de ce ministère.

La nouvelle direction inaugure ses activités

La nouvelle direction devait inaugurer officiellement ses activités le vendredi 29 juin 1962, en son siège de Bir Hassan (bâtiment de l’ancien aéroport).

L’organisation actuelle de la DCS s’inspire d’un rapport établi par l’expert français, M. Antoine Sansen-Carette, licencié ès sciences, administrateur diplômé de l’École nationale de la statistique, statisticien diplômé de l’Institut de statistique de l’Université de Paris.

Entre 1960 et 1962, la nouvelle direction, quoique non encore entièrement équipée, n’est pas demeurée inactive. C’est ainsi que le local de Bir Hassan a été spécialement aménagé pour abriter le matériel mécanographique si délicat, et qu’une partie de celui-ci a été louée et installée ; d’autre part, les concours requis pour la désignation du personnel technique et administratif de la DCS ont été mis au point et lancés ; dans le même temps, les techniques de toutes les branches de la direction étaient soumises à des cycles d’entraînement, et des contacts préliminaires étaient établis avec plusieurs départements ministériels.

Il y a lieu de signaler ici que la statistique moderne exige des techniques qui étaient pratiquement inconnues au Liban. Il y a à peine cinq ans, les spécialistes libanais formés à cette science nouvelle pouvaient se compter sur les doigts d’une seule main ; certains d’entre eux avaient, d’ailleurs, trouvé des situations enviables à l’étranger.

Les trois services de base de la DCS

Mais que représente au juste, dans sa constitution actuelle, la Direction centrale de la statistique ?

La DCS est l’une des deux directions rattachées à la direction générale du ministère du Plan tenue par M. Moustapha Naouli, lui-même versé en matière d’économie et de statistique. L’autre direction est celle des études et de planification, dont le rôle est assuré provisoirement par la mission Irfed. C’est M. Kamal Bohsali (doctorat en droit d’État de l’Université de Paris, 1951), qui est le directeur de la statistique centrale.

La direction comprend trois services :

1) Le service des études, de la coordination et des publications : ce service est lui-même formé de trois bureaux :

– le bureau de la comptabilité nationale ;

– le bureau des études proprement dites (mise au point de la technique statistique dans les administrations publiques, analyse des statistiques rassemblées) ;

– le bureau des publications (bulletins mensuels, bibliothèque, archives, etc.).

En ce qui concerne les bulletins périodiques, qui intéressent directement le public, disons tout de suite que trois seront mis en circulation prochainement. L’un est déjà sous impression ; il contiendra des statistiques couvrant les années 1960 et 1961 : le dernier bulletin préparé par le service de M. Hazarabédian, datant de 1959, il n’y aura donc pas d’hiatus entre les publications précédentes et les publications nouvelles qui se compléteront. Le second couvrira l’année 1962.

Ces deux premiers bulletins conserveront la forme ancienne déjà connue.

Le troisième bulletin en préparation sera d’une conception tout à fait nouvelle. Il paraîtra mensuellement (en français et en arabe) et comportera deux parties distinctes : les statistiques générales, à l’exception de celles relatives au commerce extérieur ; les statistiques du commerce extérieur.

L’objectif de la DCS est de mettre en circulation son bulletin dans la quinzaine suivant la réception des derniers documents de la douane.

D’autre part, les statistiques seront exploitées par mécanographie : ainsi, à titre d’exemple, les produits seront classés par groupes d’utilisation, leur origine et leur destination seront préclassées…

Comme nous l’a déclaré M. Bohsali, un jour viendra où sa direction ne sera plus uniquement la Direction centrale de la statistique, mais encore la direction de la comptabilité nationale : c’est dire l’importance du rôle que la DCS est appelée à jouer, un jour prochain, dans la planification du développement libanais. Le chef du service des études est M. Robert Kasparian, licencié en droit, licencié ès sciences mathématiques, statisticien diplômé de l’Institut de statistique de l’Université de Paris, diplômé de sciences économique. M. Kasparian est assisté de Mme Souad Tabbara Mohsen (trois certificats de mathématiques supérieures, diplômée de l’École nationale de la statistique et de l’Administration économique de Paris) et de M. Pierre Massaad (détenteur des mêmes diplômes que Mme Mohsen).

Le service des études a déjà accompli plusieurs tâches d’un intérêt évident, dont en particulier : la mise au point des tableaux et nomenclatures-types qui permettront la coordination des différentes statistiques et l’analyse cohérente de l’ensemble des structures économiques du pays, l’analyse du commerce extérieur à la lumière de cette étude d’ensemble, l’élaboration des études préliminaires relatives aux statistiques industrielles et agricoles dans le cadre de la comptabilité nationale.

2) Le service des enquêtes et des statistiques générales. Comme son nom l’indique, il est formé de deux bureaux :

– le bureau des enquêtes, qui envoie ses propres statistiques dans les divers ministères pour recueillir les renseignements chiffrés voulus. Ces statistiques porteront sur des activités aussi variées que la production agricole et industrielle, le commerce intérieur et les prix, la construction et les logements, le tourisme, la météorologie, les salaires, la monnaie, le crédit ;

– le bureau des statistiques générales, qui centralise les statistiques rassemblées, les uniformise, les interprète.

Le chef du service des enquêtes n’a pas encore été désigné ; mais les deux chefs de bureau, MM. Mounir Kouatly et Adel Chouéri, licenciés en statistiques, qui ont en outre effectué un stage de spécialisation en France, sont déjà en fonction.

3) Le service de mécanographie :

Il comporte deux bureaux :

– le bureau des études, qui procède aux études présentables à la mécanisation, et en particulier la mise au point des codes pour les cartes perforées.

– le bureau de l’exploitation : il est à la disposition de toutes les administrations de l’État pour leur fournir les renseignements statistiques dont elles pourraient avoir besoin, à partir des cartes perforées.

Le chef du service n’a pas encore été désigné ; les deux chefs de bureau sont MM. Hazem Nahas et Joseph Cordahi (licenciés en statistiques et stage à l’étranger).

Le service de mécanographie a déjà d’intéressantes réalisations à son actif : premières statistiques du commerce extérieur, fichier automobile, établissements industriels et commerciaux, entreprises agricoles, statistiques routières. Ce n’est, bien entendu, qu’un début : un jour viendra où tous les renseignements statistiques sur les activités officielles et privées au Liban seront centralisés et portés sur les cartes perforées du service de mécanographie.

L’atelier de mécanographie de la DCS comporte actuellement les machines Bull suivantes : une série 800 T.I qui comprend une lectrice-perforatrice, une calculatrice, une imprimante et une unité-programme pour coordonner l’ensemble, 8 perforatrices, 5 vérificatrices, 2 trieuses, 1 interclasseuse, 2 traductrices, 1 lectrice de bandes. La série de 300 T.I peut être développée : ainsi, elle sera probablement connectée dans l’avenir à une calculatrice électronique.

Toutes ces machines sont louées et non achetées : en effet, étant de conception récente, elles sont appelées à recevoir des améliorations constantes : ce qui est ultramoderne aujourd’hui risque d’être dépassé demain ; de plus, l’entretien de ces appareils délicats est assuré, dans les meilleures conditions, par les techniciens de la compagnie française qui les produit. Il y a lieu de préciser que les machines louées ont été adaptées aux caractères arabes (ce qui n’a pas été sans difficulté) ; à l’ancien aéroport de Bir Hassan, des locaux spéciaux, à l’abri des variations de température (faux planchers, faux plafonds), ont été aménagés pour les abriter.

59 fonctionnaires seulement, sur 98, déjà nommés

La loi réorganisant le ministère du Plan prévoit, pour la DCS 98 fonctionnaires administratifs et techniciens.

Au 1er janvier 1963, 59 seulement avaient déjà été nommés, comme le montre le tableau suivant :

Les postes de responsabilité encore vacants sont ceux du chef du service de mécanographie.

Un spécialiste étranger assiste le directeur de la DCS, à titre de conseiller technique : M. Sanson-Carette. Sont aussi régulièrement consultés : M. Melcon Hazarabédian et le Dr Icimovich, technicien yougoslave de la FAO, spécialisé dans les statistiques agricoles.  

La formation des cadres

Une administration aussi « technique » que la DCS exige un personnel hautement spécialisé. La DCS collabore dans ce domaine avec l’Institut de statistiques de Beyrouth, créé au Centre d’études supérieures en association avec l’Institut de statistiques de l’Université de Paris. Les études dispensées par cet institut sont d’un niveau universitaire : elles préparent d’ailleurs au diplôme supérieur de l’Université de Paris.

D’autre part, la mission de coopération technique française offre, à la DCS, 6 à 8 bourses d’études par an.

Les enquêteurs suivent des cours de formation de 10 semaines, en plus effectuent des stages pratiques dans diverses administrations de l’État.

Pour les mécanographes, la DCS compte organiser une section spéciale au sein de la direction de l’enseignement technique de Dékouané. Trois opérateurs qui ont suivi un stage de perfectionnement en France viennent de prendre possession de leurs fonctions.

Quant aux perforeuses, elles suivent des sessions de formation données par les techniciens de la société des machines Bull. Il y a actuellement, au Liban, 30 perforeuses formées ; 15 d’entre elles sont engagées à la DCS ; les 15 autres vont être affectées à diverses administrations officielles.

Un programme ambitieux pour 1963

Bien que tous ses cadres n’aient pas encore été mis en place, la DCS a préparé pour 1963 (« année d’établissement des bases sérieuses pour tout travail statistique ») un programme de travail ambitieux : il prévoit l’établissement de statistiques agricoles, industrielles, hôtelières et touristiques, des enquêtes sur la construction, le logement, l’énergie et les eaux, le commerce extérieur, le commerce intérieur, les prix, la consommation, la monnaie, les banques, les transports, les opérations immobilières, les PTT, les services, la santé publique, l’éducation nationale, la démographie, la climatologie, la paie des fonctionnaires, la comptabilité nationale.

Il ne nous est pas possible, dans le cadre de cette enquête, d’entrer dans les détails de ce vaste programme ; mais on peut affirmer, sans risque de se tromper, que si celui-ci était réalisé, dans les délais prévus, l’administration libanaise se verrait fermement engagée dans la voie du travail scientifique, qui est le préalable de toute planification, aussi discrète qu’elle soit. 


À l’occasion de son centenaire, « L’Orient-Le Jour » fait revivre les grands textes de « L'Orient », du « Jour » et de « L'Orient-Le Jour » qui ont marqué le siècle. Ici, l’enquête de Jean Chami publiée dans « L’Orient » le 25 mars 1963.Pour la jeune Direction centrale de la statistique, une ambition : organiser la comptabilité nationale au Liban. L’atelier de...

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