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La guerre et ses humeurs


Étrange chose en vérité que la guerre, cette calamité qui pourtant n’a cessé de façonner, à gros bouillons de sang, l’histoire du genre humain. Étrange en effet, car son issue n’obéit pas toujours à la loi du plus fort. Par la grâce des calculs stratégiques, mais aussi d’une savante propagande, une criante déroute militaire peut ainsi se muer parfois en fracassant triomphe politique. Est alors renversée la traditionnelle règle du jeu, et se trouve piteusement démenti le verdict des armes : c’est le perdant qui gagne alors.

Un exemple classique en est l’immense prestige arabe et international que tira Nasser de l’expédition tripartite de 1956 contre l’Égypte, une fois qu’elle eut été court-circuitée par le président américain de l’époque, Dwight Eisenhower. Plus proche de nous, encore que fort sujette à débat, est la divine victoire que revendiqua en 2006 Hassan Nasrallah du seul fait qu’en dépit des pertes massives endurées par le Liban, sa milice avait survécu, plus aguerrie que jamais, aux coups d’Israël.

Ukraine et Gaza : ce que ces deux conflits majeurs ont en commun, c’est que leurs initiateurs les ont, au départ, voués à traîner en longueur. Confiant dans la proverbiale capacité d’endurance de la Russie (Napoléon et Hitler en ont appris quelque chose), brandissant régulièrement l’arme nucléaire, éliminant impitoyablement toute concurrence, Vladimir Poutine est déjà assuré de perdurer au pouvoir, à en croire les analystes de la CIA. Bien moins confortable est cependant la position de Benjamin Netanyahu. Objet de poursuites judiciaires, soucieux de garantir sa survie politique, le Premier ministre d’Israël se considère lui aussi à l’abri aussi longtemps qu’il fait donner la grosse artillerie. Mais son cabinet de guerre est menacé d’implosion, comme en témoigne la récente fugue solitaire à Washington de son ministre et rival Benny Gantz. Pire encore pour lui, c’est à un lâchage américain en règle qu’il a soudain affaire.

Car après avoir imposé à Bibi une intransgressible ligne rouge à Rafah, voici que Joe Biden lui reproche publiquement de faire plus de mal que de bien à Israël dans sa gestion de la guerre. Enfonçant le clou, c’est le leader de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Shumer, qui vient d’appeler carrément à de nouvelles élections israéliennes. Pour cet élu juif qui a accédé au plus haut rang dans les annales américaines, et qui n’a jamais mesuré son soutien à Israël, un tel scrutin serait le seul moyen d’épargner à ce dernier un statut de paria sur la scène internationale. Publié dans la foulée de ce coup d’éclat, un rapport de la CIA, encore elle, s’interroge sur la viabilité du gouvernement Netanyahu et prédit une recrudescence des manifestations exigeant sa démission et une consultation populaire, elle-même susceptible de produire une équipe plus modérée. Il n’en fallait pas plus, bien sûr, pour que le pouvoir en place crie à la tentative de renversement…

Quoi qu’il en soit, il se confirme aujourd’hui que les stratèges se sont trop hâtés de tirer des plans sur la comète ; sans égard pour les accidents de parcours, ils ont échafaudé les projets les plus divers, les plus délirants parfois, pour l’après-Gaza. Dès le mois dernier, le gouvernement de l’Autorité palestinienne démissionnait, se portant ainsi volontaire pour le lifting exigé par l’administration américaine : peine perdue, puisque c’est l’immédiat, le durant Gaza qui pose désormais problème, qui fait même urgence. Et pas seulement pour un Netanyahu apparemment tombé en disgrâce américaine. Pas seulement, non plus, pour un Hamas qui a déjà payé de plus de 30 000 morts son équipée du 7 octobre et qui réclame vainement un cessez-le-feu. À 10 000 kilomètres d’un brasier qu’il a activement alimenté par ses fournitures massives d’armements, Joe Biden lui-même n’échappe guère aux contrecoups domestiques de la crise. À quelques mois de l’élection présidentielle dont il escompte un second bail à la Maison-Blanche, le président doit en effet tenir compte de la contestation surgie au sein de son propre parti, mais aussi des menaces de boycottage formulées par les communautés arabo-américaines, notamment dans l’État-charnière du Michigan.

Ce tour d’horizon des protagonistes du drame de Gaza serait certes incomplet sans que soit abordé le cas de notre pays, otage d’une guerre rampante qu’il n’a jamais voulue, et encore moins déclarée. Mais à l’heure où le Hezbollah gère en solo l’explosif dossier, que pourrait-il y avoir à signaler dans ce désert habité de pâles fantômes qu’est devenu l’État libanais ?

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Étrange chose en vérité que la guerre, cette calamité qui pourtant n’a cessé de façonner, à gros bouillons de sang, l’histoire du genre humain. Étrange en effet, car son issue n’obéit pas toujours à la loi du plus fort. Par la grâce des calculs stratégiques, mais aussi d’une savante propagande, une criante déroute militaire peut ainsi se muer parfois en fracassant triomphe...