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SuperJoe, vraiment ?


C’est visiblement un Joe Biden sur stéroïdes, un Biden nettement ragaillardi évitant faux pas, gaffes, lapsus et trous de mémoire, qui a prononcé jeudi, devant le Congrès, son discours sur l’état de l’Union. À la faveur de cet événement annuel, le président des États-Unis dresse habituellement le bilan de sa gestion, mais il fait part aussi de ses projets pour les mois à venir, notamment en matière de politique étrangère ; c’est dire que cette allocution est traditionnellement passée au crible dans le monde entier.

Pour le plus âgé des pensionnaires qu’ait jamais abrité la Maison-Blanche, et qui brigue néanmoins un second mandat, l’occasion était trop bonne de faire de ce discours une agressive harangue de campagne électorale. Il a ainsi entrepris de régler ses comptes avec son prédécesseur et adversaire Donald Trump, sans jamais daigner le citer nommément. Reprochant à ce dernier sa coupable complaisance envers Vladimir Poutine, il a fait part de sa propre détermination à contrer le tsar russe dans la guerre d’Ukraine. C’est cependant dans l’affaire de Gaza que le président US a véritablement, et fort salutairement, innové.

Car on a vu Biden s’épancher, comme jamais auparavant, sur les indicibles souffrances endurées depuis cinq mois par les deux millions d’habitants de ce territoire (merci de compatir, même s’il en était grand temps !). Le chef de l’exécutif américain a par ailleurs exigé pour la première fois un cessez-le-feu immédiat s’étalant sur six semaines au moins pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire à cette infortunée population ; entre-temps, l’armée américaine a reçu l’ordre d’aménager une installation portuaire d’urgence à Gaza. Last but not least, Biden a souligné à l’adresse d’Israël que cette assistance ne saurait en aucun cas servir de monnaie d’échange : autrement dit, d’odieux chantage à la famine.

Non moins significatives sont toutefois les motivations internes, domestiques, qui ont conduit à un tel durcissement. Il y a déjà un bon moment qu’un secteur notable du Parti démocrate rue dans les brancards, mécontent du soutien abusif qu’a apporté l’actuelle administration à la meurtrière expédition lancée par Benjamin Netanyahu. Il s’avère qu’à la veille même de son allocution, le président a été pratiquement assiégé de requêtes partisanes le pressant de démontrer, devant le Congrès, que le chef de la première superpuissance mondiale a effectivement voix au chapitre dans le débat sur Gaza. Qu’il pèse concrètement sur le cours des évènements. Qu’il a déjà amplement sacrifié au rituel voulant que des égards particuliers soient dus au tout-puissant lobby pro-israélien de Washington. Et que trop, c’est trop, au goût des électeurs. Sur ce point, il est réconfortant de noter que l’une de ces doléances les plus spectaculaires est une lettre signée d’une douzaine d’élus démocrates de confession juive.

Reste évidemment à espérer que la salutaire flamme ne sera pas que fugace feu de paille et que toutes ces bonnes résolutions n’arrivent pas un peu trop tard. Il faudra des semaines pour construire une simple jetée provisoire sur le rivage de Gaza, a ainsi prévenu le Pentagone. En outre, et pas plus que les spectaculaires parachutages de vivres initiés par les aviations américaine, européennes ou jordanienne, le cordon nourricier projeté entre l’île de Chypre et Gaza ne pourra remplacer à temps la naturelle et classique voie terrestre. Dans l’intervalle, nombre de civils qui ont survécu aux bombardements seront morts d’inanition, comme s’en atterrent les organisations spécialisées de l’ONU, qui tiennent en effet la famine pour imminente et quasiment inévitable. Premières victimes désignées : ces enfants dont l’insoutenable image de squelettiques petits corps gisant dans un semi-coma évoque ces horreurs que l’on croyait à jamais bannies de l’histoire.

Pour bienvenu qu’il soit, le coup de barre auquel a dû apparemment se résigner Joe Biden ne saurait, à son tour, se substituer à une réévaluation plus profonde de la situation. Plutôt qu’à un port de fortune à Gaza, c’est au chantier d’une Palestine déclinée en deux États qu’est tenue de s’attaquer l’Amérique en commençant par abattre le mur d’intransigeance sur lequel est juché Netanyahu. Plutôt que ces boîtes de corned-beef lâchées du haut des airs – céleste manne hypermédiatisée que se disputeront âprement les Gazaouis affamés –, c’est son outrageuse partialité que l’Oncle Sam serait bien inspiré de larguer.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

C’est visiblement un Joe Biden sur stéroïdes, un Biden nettement ragaillardi évitant faux pas, gaffes, lapsus et trous de mémoire, qui a prononcé jeudi, devant le Congrès, son discours sur l’état de l’Union. À la faveur de cet événement annuel, le président des États-Unis dresse habituellement le bilan de sa gestion, mais il fait part aussi de ses projets pour les mois à venir,...