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Culture - Édition

Beyrouth écoute… des musiciennes libanaises oubliées

Les parcours multiples et trop longtemps restés dans l’ombre des musiciennes libanaises sont au cœur de « Figures musicales au féminin » (éditions Geuthner, 2024), neuvième opus de la collection « Figures musicales du Liban », fondée par Zeina Saleh.

Beyrouth écoute… des musiciennes libanaises oubliées

De gauche à droite et de haut en bas : les musiciennes Diana Takieddine, Zvart Sarkissian, Samia Flament et Wadad Mouzannar. Photos DR

Laure Abs, Hiba al-Kawas, Layal Chaker, Cynthia Zaven… Figures musicales au féminin commence par une évocation précise de différentes compositrices libanaises. L’autrice Zeina Saleh Kayali a ensuite choisi de mettre en lumière quatre pianistes aujourd’hui peu connues : Samia Flament, Wadad Mouzannar, Zvart Sarkissian et Diana Takieddine. « La première partie constitue un travail de répertoire détaillé, et il est toujours en cours. Ainsi, alors que l’ouvrage était sous presse, j’ai été contactée par deux compositrices libanaises de New York qui sont engagées dans des projets d’écriture musicale, Noémie Chemaly et Mary Kouyoumdjian», ajoute gaiement la musicologue, qui reconnaît avoir été particulièrement touchée par le parcours de Noha Saad (dite sœur Marana) lors de ses recherches. « Sa personnalité est fascinante, elle semble être un peu d’ailleurs. Compositrice et chef d’orchestre, elle a fondé l’institut Philokalia au Liban, une école de musique dont les propositions sont multiples. Nous l’avons récemment invitée, Georges Daccache et moi, au Festival musical du Liban que nous avons fondé à Paris. Le concert de son ensemble vocal a été un moment d’une grande intensité, à la fois spirituelle et artistique », se souvient Zeina Saleh Kayali.

Certaines archives, notamment celles du compositeur Georges Baz, ont été précieuses pour écrire Figures musicales au féminin. « Il était à la fois compositeur et professeur de musique. Il a également tenu deux chroniques, l’une dans La Revue du Liban, La Vie musicale, et l’autre dans L’Orient, Beyrouth écoute, pendant près de 50 ans, qui rendent compte au quotidien de la vie musicale au Liban », enchaîne-t-elle.

La couverture de l'ouvrage de « Figures musicales au féminin » (éditions Geuthner, 2024). DR

Le sous-texte des Figures musicales au féminin témoigne d’une question transversale autour de la légitimité sociale du geste musical féminin dans les sociétés traditionnelles. Comment parvenir à créer, dans une société où on autorisait au mieux les femmes à interpréter une sonate devant les invités, pour les faire patienter avant l’arrivée du mari… Le problème n’est pas limité au monde oriental. « On a retrouvé des lettres du père de Felix Mendelssohn qui enjoignait à sa fille Fanny de ne plus composer et de s’occuper de son ménage. Anna Mozart ou Clara Schuman font écho à ces situations. Roula Baaklini insiste sur la difficulté d’être une femme compositrice au Liban, même si on note une évolution. Nous avons aujourd’hui des compositrices très connues, comme Bouchra Turk, qui est une sommité à Londres, et dont les œuvres ont été interprétées par Sir Simon Rattle et son orchestre», souligne celle qui précise avec humour ne pas être une « militante enragée » pour autant. « Quatre enfants, plus de piano ! » s’exclame la pianiste Samia Flament (née Haddad) dans un témoignage édifiant qui encourage les femmes à ne jamais abandonner leur passion. Sur les quatre pianistes citées, la musicienne est la seule à ne pas être célibataire.

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Figures musicales au féminin, un texte synthétique, enlevé, et agréable à lire, est truffé d’anecdotes qui permettent d’incarner les musiciennes et leur époque. Ainsi, les parents de Wadad Mouzannar ont choisi des prénoms arabes pour leurs enfants nés avant le mandat, et français pour ceux qui sont nés après. Chez Samia Flament, les professeurs de piano se succèdent, avec Monsieur Bloch (emprisonné par la suite par les Anglais dans un camp de concentration en Ouganda, et qui a survécu), Madame Spiegelman (qui faisait la sieste pendant les gammes de son élève) et Madame Kouguell, dont la famille s’est réfugiée à Beyrouth après la révolution bolchevique de Russie.

La légitimité sociale du geste musical féminin

Chargée de mission à la Délégation permanente du Liban auprès de l’Unesco, Zeina Saleh Kayali a grandi dans un environnement familial tourné vers la musique. « On écoutait de la musique classique, ma mère chantait dans des ensembles vocaux et mon père était un très bon pianiste. Aujourd’hui, je chante toujours dans un ensemble vocal parisien, dirigé par Olivier Plaisant, La Petite Suite, et nous venons de donner un concert autour d’Orphée et Eurydice », explique d’une voix enjouée l’autrice de Figures musicales du Liban. « Je suis arrivée en France en 1987, et c’est dans le cadre de ma vie musicale française que j’ai découvert nos compositeurs libanais, comme Naji Hakim, Zad Moultaka, Bechara el-Khoury… J’ai souhaité approfondir mes deux passions, la musique et le Liban. Lors de la sortie de mon premier livre, Compositeurs libanais des XXe et XXIe siècles (Séguier, 2011), j’en ai répertorié 132 », ajoute la musicologue, dont l’ouvrage se présente comme un dictionnaire. Pour chaque musicien, une fiche biographique et le catalogue de ses œuvres. Ce travail est d’autant plus intéressant qu’il est pionnier en la matière. « Il n’y avait aucune source écrite sur la musique libanaise, j’ai travaillé sur le terrain, en recherchant les compositeurs, ou en contactant leurs familles quand ils étaient décédés », poursuit Zeina Saleh Kayali. En même temps, elle a cofondé le Centre du patrimoine musical libanais, au collège Notre-Dame de Jamhour, pour rassembler les archives de ces compositeurs, leurs manuscrits, leurs partitions, des enregistrements, des programmes de concerts… Un deuxième ouvrage a suivi, La vie musicale au Liban, de la fin du XIXe à nos jours (Geuthner, 2015).

Puis l’autrice crée une collection chez Geuthner, Figures musicales du Liban, et consacre un ouvrage à Abdel Rahman el-Bacha, un autre Wadia Sabra, Gabriel Yared, Toufic el-Bacha… « Je voulais aller plus loin dans l’analyse du langage musical de chacun, au-delà de la biographie et du catalogue. À la fin de chaque ouvrage, il y a une clé USB pour découvrir les spécificités des artistes, car la musique libanaise est variée, comme l’âme libanaise, avec des pièces très contemporaines, d’autres plus classiques, ou encore influencées par un style oriental, ou occidental », précise la chercheuse, qui s'est ensuite intéressée à la scène musicale libanaise et féminine.

Des femmes et des festivals

La démarche patrimoniale de l’ouvrage présente en outre un intérêt majeur « aussi bien pour ceux du Liban que de la diaspora, elle crée une forme d’unité, qui atteste de la force de l’identité libanaise », dit-elle. « La compositrice colombienne, Julia Sfeir, est une quatrième génération, or les titres de ses œuvres sont assez éloquents : Sunset on Baalbeck, Prayer for Gibran… Le fil conducteur des compositrices libanaises est que le Liban est toujours présent dans leur travail, que ce soit par la forme, ou par l’inspiration, certaines s’inspirent même d’œuvres poétiques libanaises », constate Zeina Saleh Kayali, qui se réjouit de souligner que les compositeurs libanais sont de plus en plus appréciés dans leur pays. « Dans les programmations de concerts, on trouve de plus en plus de compositeurs libanais. En France, l’ouvrage de Naji Hakim en analyse musicale est une référence pour les étudiants de musicologie. En Finlande, il y a même un festival d’orgue Naji Hakim ! » précise l’autrice, qui a consacré la dernière partie de son livre à une femme très engagée sur le terrain musical au Liban, Myrna Boustany. « J’ai toujours admiré sa force et sa franchise. Elle a fondé le Festival al-Bustan il y a 30 ans, et envers et contre tout elle offre chaque année un festival musical d’un mois de très haute qualité. En plus, elle a réussi à éduquer le public ! Elle est allée jusqu’au bout de sa passion : elle aurait pu se contenter d’assister aux plus grands concerts européens, mais elle a choisi de partager ces moments avec ses compatriotes », commente la musicologue, qui propose chaque année une conférence lors du Festival al-Bustan. Le thème de l’année passée était sur la guerre et la paix en musique. Cette année, Zeina Saleh Kayali a présenté Figures musicales au féminin.

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Les projets musicaux ne manquent pas pour la suite. Le prochain livre de la collection concernera Zaki Nassif, et la nouvelle édition du Festival de musique libanaise à Paris est en cours de préparation. « On prévoit toujours trois concerts en automne et deux au printemps. Le 16 mai, le pianiste George Daccache et la flûtiste Anna Souheila proposeront un très beau programme franco-libanais. Le 23 juin aura lieu un concert du compositeur Wassim Soubra, qui sera au piano, pour une cantate profane sur le vent, qu’il est en train d’écrire », annonce Zeina Saleh Kayali avec enthousiasme.

Laure Abs, Hiba al-Kawas, Layal Chaker, Cynthia Zaven… Figures musicales au féminin commence par une évocation précise de différentes compositrices libanaises. L’autrice Zeina Saleh Kayali a ensuite choisi de mettre en lumière quatre pianistes aujourd’hui peu connues : Samia Flament, Wadad Mouzannar, Zvart Sarkissian et Diana Takieddine. « La première partie constitue un travail...

commentaires (1)

Il s'agit d'un très bel ouvrage par Zeina Kayali, qui a fait une excellent recherche sur les 4 pianistes libanaises. J'ai une petite correction: Il s'agit de Samia (Haddad) Flamant, et non pas Flament.

Ranwa Haddad

06 h 39, le 08 mars 2024

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Commentaires (1)

  • Il s'agit d'un très bel ouvrage par Zeina Kayali, qui a fait une excellent recherche sur les 4 pianistes libanaises. J'ai une petite correction: Il s'agit de Samia (Haddad) Flamant, et non pas Flament.

    Ranwa Haddad

    06 h 39, le 08 mars 2024

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