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Culture - Initiative

A Tabaris, la maison Saleh retrouve son âme musicale

Transformée en résidence d’artistes, Beit el-Tabaris, la demeure familiale de Zeina Saleh Kayali, recevra les plus grands musiciens venus d’Europe pour accompagner et former des élèves des quatre coins du Liban en leur offrant des masterclass taillées sur mesure.

A Tabaris, la maison Saleh retrouve son âme musicale

Une résidence d’artistes vient de naître à la rue du Liban. Photo Michel Sayegh

La démarche artistique de Zeina Saleh Kayali est partie d’un souhait longtemps formulé mais jamais réalisé, celui de son père Samir Saleh, grand avocat installé à Londres depuis les années 80 et qui n’avait de cesse de rentrer au pays pour retrouver Beit el-Tabaris. Une maison familiale où la jeune femme est née et a grandi, une maison qui fut d’abord violemment secouée par quinze ans de guerre civile, avant d’être éventrée et démolie par la double explosion du 4 août. C’est après la perte de son père, décédé en 2021 du Covid-19 sans avoir pu retrouver Beit el-Tabaris que sa fille décide, pour apaiser sa douleur, de transformer la demeure. « Mon père a toujours rêvé d’y retourner et répétait durant des années “Je veux rentrer finir mes jours à Beit el-Tabaris”. C’est à ce moment-là, confie Zeina Saleh Kayali, que j’ai décidé de faire le chemin inverse à celui que font tous les Libanais depuis bientôt deux ans, celui de vendre la demeure de mon père à Londres et de ramener les meubles, tous les meubles et surtout le piano de mon père à Beit el-Tabaris. » « Tu as perdu la tête, lui disent alors ses amis, tout le monde cherche à faire fuir ses économies hors du pays et toi, tu fais le contraire, c’est une folie. » « C’est une folie, leur répond-elle, que je dois à mon père. »

À Beit el-Tabaris, de la musique avant toute chose. Photo Michel Sayegh

Des maestros pour porter les futurs prodiges libanais

Zeina Saleh Kayali a grandi dans une maison où l’art était le principal langage, la musique et la lecture son mode de communication. Une maison qui a connu une tradition musicale, où des mini-concerts étaient organisés par la pianiste Wadad Mouzannar et où Gabriel Yared venait répéter et s’entraîner. Grand mélomane et lecteur acharné, Samir Saleh était aussi pianiste, et transmettra son amour de la musique et de la littérature à ses enfants. Quinze années d’apprentissage au piano pour Zeina et des heures de lecture dans un canapé en velours rouge où elle avoue toujours aimer s’installer pour lire au son de la musique. Avec une passion marquée pour le chant et pour l’écriture, qui a poussé Zeina Saleh Kayali à écrire plus d’une dizaine d’ouvrages sur la musique, et à devenir membre de plusieurs ensembles vocaux en France où elle chante régulièrement. Elle fonde aussi au Collège Notre-Dame de Jamhour un centre d’archives musicales. « La musique aide à se créer une identité », aime-t-elle à répéter. Sa mère à son tour publiera un recueil sur l’histoire du Liban. « Nous sommes, dit-elle avec une nostalgie désarmante, une famille qui aimait s’écouter écrire. »

La bibliothèque bien achalandée de Beit el-Tabaris. Photo Michel Sayegh

À Beit el-Tabaris, la bibliothèque à laquelle on accède par une double-porte comme par un passage secret atteste de l’importance que la famille Saleh accordait à la lecture. Les murs, hauts de plus de 4 mètres, habillés d’étagères en bois qui ploient sous le poids des grandes plumes de la littérature et des maîtres en droit, interloquent tant la beauté de ce lieu est apaisante. « Mon père, confie la cofondatrice du Centre du patrimoine musical libanais, répétait : “On se sent important dans cette bibliothèque”. « Transformer la maison familiale en résidence d’artistes pour y inviter les plus grands musiciens à venir offrir leur savoir et leur expérience était pour moi un moyen de remonter le moral des élèves libanais complètement désespérés par une situation économique qui les paralysent. Incapables d’aller faire des formations à l’étranger, ce projet constitue comme une bouffée d’oxygène pour leur insuffler un peu d’espoir et les pousser à ne jamais abandonner. » Ce projet a pu voir le jour en partenariat avec l’Institut français, l’aide de la société Buffet crampon qui fabrique des instruments à vents et quelques mécènes privés. Du 23 au 28 mai, c’est Abdel Rahman el-Bacha, grand pianiste français d’origine libanaise qui inaugurera la saison, accompagné de Suzanne Vermeyen au violoncelle. En septembre, ce sera au tour d’un ténor italien d’assurer une masterclass de chant lyrique en partenariat avec la Notre Dame University (NDU). Du 3 au 9 novembre, Patrick Messina (1re clarinette solo de l’orchestre national de France) et Sylvia Carredu (1re flûte solo de l’orchestre de France) prendront le relais. « Nous espérons, ajoute Zeina Saleh Kayali, que l’année 2023 sera consacrée à des masterclass de violon, de composition, de direction de chœur et de direction d’orchestre. » La maison, qui comporte quatre chambres à coucher pour accueillir les maestros, dispose également d’une salle pour les masterclass qui seront gratuites, et d’une autre pour la détente et la bibliothèque, sans oublier la cuisine où Zeina Saleh Kayali a osé le rose pour une touche ludique. L’architecte Joseph Maroun, qui a rénové la demeure, a su conserver son âme tout en lui redonnant un coup de neuf. Les musiciens seront logés, avec un traiteur libanais leur assurant les repas.

À Beit el-Tabaris, de la musique avant toute chose. Photo Michel Sayegh

Nos maisons sont le reflet de notre âme

Les relations que nous entretenons avec nos demeures nous font parfois mener une drôle de vie. Chacun de nous a été, un jour ou l’autre, possédé par une maison ou dépossédé d’elle. Nous projetons sur elle nos plus inconscients désirs et l’âme de la maison est toujours un reflet de la nôtre. Souvent liés à un souvenir, à un être aimé, elle cristallise nos émotions et nos sentiments. On entretient avec elle une relation intense, voire passionnelle. On l’aime, on frémit à l’idée de la perdre, on cherche frénétiquement à la retrouver... Témoins d’un fragment de notre histoire, elle constitue aussi une part de nous-mêmes dont nous avons du mal à nous séparer. Cette âme-là, Zeina Saleh Kayali l’a ranimée pour que le cœur de la maison Saleh recommence à battre au rythme du piano de son père. « Mon père, d’un naturel cynique mais très tendre, aurait sûrement été fier de ce projet mais n’aurait pas pu s’empêcher de me dire : “Lachou kel hal labaké” (Pourquoi tu t’encombres de ce projet ? ) », conclut cette passionnée de musique. Alors que l’entretien s’achève, s’élève le son d’une étude de Chopin (Butterfly) jouée par Alissa Baaklini, une ingénieure agronome et élève au Conservatoire de 25 ans, venue s’entraîner en amont de la masterclass, donnant ainsi le la d’une initiative qui s’annonce très prometteuse.

Carte de visite

Zeina Saleh Kayali s’attache depuis de nombreuses années à faire connaître le patrimoine musical libanais. Elle est cofondatrice du Centre du patrimoine musical libanais (CPML – Espace Robert Matta), et du festival Musicales du Liban qui se tient à Paris tous les ans. Elle a fondé et dirige la collection Figures musicales du Liban, dont le but est de faire connaître le patrimoine musical libanais des XXe et XXIe siècles, et collabore avec L’Orient-Le Jour en tant que chroniqueuse musicale.

La démarche artistique de Zeina Saleh Kayali est partie d’un souhait longtemps formulé mais jamais réalisé, celui de son père Samir Saleh, grand avocat installé à Londres depuis les années 80 et qui n’avait de cesse de rentrer au pays pour retrouver Beit el-Tabaris. Une maison familiale où la jeune femme est née et a grandi, une maison qui fut d’abord violemment secouée par...
commentaires (5)

Chère Zeina, Combattre le marasme par la beauté, la culture et la renaissance de ton beau patrimoine. C'est là le véritable combat qu'est celui de notre société. Tu as fait là un travail monumental qui nous rend tous si fiers et chasse à grands coups de balais le désespoir qui rôde autour de chacun de nous. Et tout cet audacieux projet, tu l'as fait discrètement, sans mot dire, sans vantardise mais avec cette foi profonde de vouloir sauver l' âme meurtri de notre pays. Quel bel exemple pour nous tous!! BRAVO mille fois et UN GRAND MERCI DU FOND DU COEUR. Gaby (New York)

Gabriel Sara

12 h 46, le 21 mai 2022

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Commentaires (5)

  • Chère Zeina, Combattre le marasme par la beauté, la culture et la renaissance de ton beau patrimoine. C'est là le véritable combat qu'est celui de notre société. Tu as fait là un travail monumental qui nous rend tous si fiers et chasse à grands coups de balais le désespoir qui rôde autour de chacun de nous. Et tout cet audacieux projet, tu l'as fait discrètement, sans mot dire, sans vantardise mais avec cette foi profonde de vouloir sauver l' âme meurtri de notre pays. Quel bel exemple pour nous tous!! BRAVO mille fois et UN GRAND MERCI DU FOND DU COEUR. Gaby (New York)

    Gabriel Sara

    12 h 46, le 21 mai 2022

  • Merveilleuse initiative, Bravo Zeina ! Nous croyons à la renaissance du Liban et c'est ce genre d'initiative qui l'aideront à renaître de ses cendres ! En avant, Yallah, comme aurait dit Soeur Emmanuelle

    Abdallah TAMBEY

    15 h 43, le 19 mai 2022

  • Félicitations. Une belle preuve de résistance culturelle et une belle maison qui retrouve son âme. C'est le Liban qui nous ressemble et pour lequel des générations se sont sacrifiées. La transmission du patrimoine est essentielle car elle nous inscrit dans la durée. Bravo Zeina pour cet acte de foi,de piété filiale et d'engagement artistique et patriotique.

    Bahjat RIZK

    11 h 29, le 19 mai 2022

  • Excellente initiative! Bravo!

    Georges MELKI

    09 h 22, le 19 mai 2022

  • Quelle maison magnifique Zeina et que de mémoires::::: J ai eu le grand plaisir de connaître wadad mouzannar qui était notre voisine à ras Beyrouth et qui nous jouait des beaux morceaux. Sur son Steinway après le déjeuner circa 1973 - 1974

    Robert Moumdjian

    06 h 43, le 19 mai 2022

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