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Robert Badinter, contre « une justice qui tue »

Robert Badinter, contre « une justice qui tue »

D.R.


Les discours et les hommages solennels sont encore « chauds ». Robert Badinter, nommé garde des sceaux, pour la gauche française en 1981, devint une icône des droits de l’homme. Il est difficile d’évoquer cette grande figure sans humilité et sans savoir que cela ne sera jamais à la hauteur de ce personnage immense dans la conscience politique et humaniste.

Né le 30 mars 1928 à Paris, Robert Badinter a rapidement embrassé une carrière d’avocat. Son engagement contre la peine de mort trouve ses racines dans son expérience personnelle, marquée par les horreurs de la Seconde guerre mondiale et le souvenir de l’occupation nazie. En 1972, Badinter fut le défenseur de Roger Bontems, un détenu condamné à mort et guillotiné, marquant le début d’une longue croisade pour l’abolition de la peine capitale. Sa plaidoirie poignante et son argumentation implacable ont lancé un débat national sans précédent en France.

En tant que garde des sceaux sous la présidence de François Mitterrand, Badinter joua un rôle déterminant dans l’abolition de la peine de mort en France en 1981, par ailleurs promesse électorale du même François Mitterrand. Ce fut une victoire historique. Son discours passionné à l’Assemblée nationale restera gravé comme un moment de vérité et de courage politique. Depuis lors, la France, l’Europe et le monde reconnaissent en lui « l’avocat pour toujours » de l’abolition de la peine de mort et, pour certains, dès 1982, l’actif initiateur de la dépénalisation de l’homosexualité.

Sans le talent de cet orateur, l’Europe n’aurait pas suivi la France sur cette cause, ni les Nations unies. En fait, ce n’est pas l’abolition qui fit de Badinter l’homme admiré  ; c’est l’homme qui a pu faire de l’abolition son combat historique. Il aurait pu porter d’autres causes avec autant de talent.

Pour qui a eu le privilège de le côtoyer de près, cet homme était un tempérament fougueux, un passionné, un tribun, un polémiste redoutable, fidèle à ses origines (de Bessarabie), à ses idées, comme à ses amis. Le personnage que j’ai côtoyé depuis 2009, fut avocat (avec Jean Denis Bredin), ministre de la justice et professeur de droit – sa thèse portait sur « les conflits de lois en matière de responsabilité civile dans le droit des États-Unis ». Sans être un grand connaisseur, il avait aussi un faible pour l’art, comme en témoigne une petite peinture de Marcoussis, logée dans un coin de sa bibliothèque, et une magnifique table de travail sculptée, œuvre de Diégo Giacometti.

Je n’ai pas oublié l’agrégatif, préparant avec ses camarades son concours, en 1965, alors que je veillais, comme assistant de Gaston Stéfani, à la salle de criminologie à la Faculté de droit, Place du Panthéon. Cette communauté de culture fut comme un sauf-conduit lorsque j’eus l’honneur, en 2009, de siéger, aux côtés de Badinter et d’autres illustres personnages, sous la houlette de Fédérico Mayor, comme commissaire de la Commission internationale pour l’abolition de la peine de mort (ICDP).

La première fois où j’ai été reçu chez lui, Robert Badinter m’a raconté que le Consulat libanais à Paris lui avait refusé un visa pour le Liban « parce qu’il est de confession juive » ! Cela m’avait choqué, car au Liban, même au plus fort de ses crises, il n’a jamais été question de discrimination de cet ordre. Il fallait réparer cet impair. Les pendules furent remises à l’heure : Badinter et son épouse furent reçus en visite au Liban  ; l’ordre des avocats a rendu justice à l’ancien garde des sceaux le 10 janvier 2013, en lui offrant une belle tribune sous l’impulsion du bâtonnier Nouhad Jabre.

Notre dernière entrevue date d’un déjeuner, chez lui, le 18 octobre 2019. Pendant plus d’une demi-heure, il me raconta comment il a réussi à rassembler les informations et les documents sur la reconstitution de la vie et les aventures rocambolesques de ses deux grands-parents maternels – notamment sa grand-mère qui devait se livrer, en Moldavie, à des activités de (relative) contrebande pour régler les dettes de jeu de son mari, avant de venir à Paris, en passant par Vienne. Cela fit l’objet d’une biographie de sa grand-mère, Idiss, que je conserve précieusement, avec sa dédicace.

Avec Mohammed Bedjaoui, ancien président (algérien) de la Cour internationale de Justice et Fédérico Mayor, nous avons maintes fois imaginé des subterfuges légaux pour que la doctrine islamique accepte soit de remplacer la peine de mort par la « diyah », soit de voter pour le moratoire proposé par l’Assemblée générale des Nations unies. Une conférence devait être organisée à Paris sur « l’islam et l’abolition ». Avec notre collègue Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération helvétique, Badinter a réussi à convaincre la Tunisie à voter pour le moratorium. Le Liban suivra quelques années plus tard.

L’idée majeure chez Badinter fut de promouvoir l’abolition de la peine de mort rendue par la justice officielle. Il ne voulait pas d’une « justice qui tue », ce qui a pour corollaire un système carcéral et pénitentiaire qui puisse offrir la rédemption et la réinsertion du criminel en société. En cela, il rejoignait aussi bien Victor Hugo – abolitionniste pionnier – qu’Emmanuel Mounier et son expression clé, « l’éminente dignité de la personne humaine », mais aussi, bien qu’elle fût par endroits en retard, l’Église dans ses diversités théologiques. Je ne sais pas pourquoi – son âge ? – Badinter, pourtant très actif au sein de la Commission, n’a pas pu faire partie de notre visite au pape François, en 2019. Le saint père, pendant près de cinquante-cinq minutes, a conforté notre combat pour l’abolition et plus encore, en plaidant devant nous contre les peines perpétuelles incompressibles, synonymes de « mort civile ».

Par-delà le débat sur la peine capitale dont l’abrogation universelle équivaudra à l’abolition de l’esclavage au XIXe siècle, il faut saluer les combats pour les grandes causes. Il ne reste en définitive de la mémoire d’un homme que sa capacité à promouvoir ce qui transcende sa fragile condition quotidienne, afin de tenter de retrouver l’universel dans toute sa dignité.

Avocat, professeur émérite à l’USJ, ancien ministre de la Justice, vice-président de la Commission Internationale contre la Peine de Mort

Les discours et les hommages solennels sont encore « chauds ». Robert Badinter, nommé garde des sceaux, pour la gauche française en 1981, devint une icône des droits de l’homme. Il est difficile d’évoquer cette grande figure sans humilité et sans savoir que cela ne sera jamais à la hauteur de ce personnage immense dans la conscience politique et humaniste. Né le 30 mars 1928 à...

commentaires (1)

La prison est l'université du crime, disent les experts. Il faut aller plus loin que l'abolition de la peine capitale. Le système pénitentiaire est une torture physique et mentale. Que de prisonniers préfèrent la mort.

Raed Habib

11 h 32, le 30 mars 2024

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Commentaires (1)

  • La prison est l'université du crime, disent les experts. Il faut aller plus loin que l'abolition de la peine capitale. Le système pénitentiaire est une torture physique et mentale. Que de prisonniers préfèrent la mort.

    Raed Habib

    11 h 32, le 30 mars 2024

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