Joseph Chami, qui vient de nous quitter, aura été le témoin de tous les grands événements de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe. Diplômé de la Faculté de droit et de sciences politiques en 1962, il fut secrétaire de rédaction du journal Le Jour, puis de L’Orient-Le Jour après la fusion des deux quotidiens en 1971, et rédacteur en chef de l’hebdomadaire Magazine. Cofondateur des Fiches du Monde Arabe (FMA), il fut le conseiller de presse étrangère à Baabda sous le mandat du président Amine Gemayel, puis il occupa le poste de directeur commercial de l’Agence France Presse pour le Moyen-Orient, avant de prendre la tête du service mondial arabe de l’Agence jusqu’en 1999.
Mû par sa curiosité et sa passion pour l’information, il a rédigé en français un impressionnant Mémorial du Liban qui retrace, documents à l’appui, les moments importants de l’histoire de notre pays. Dix volumes ont ainsi vu le jour, enrichis d’un Mémorial de la guerre en trois volumes, en français, anglais et arabe. Ils ont valu à leur auteur le prix Phénix en 2002 et le prix France-Liban en 2007. Le dernier volume de la collection, consacré au mandat du président Émile Lahoud, devrait paraître en 2024.
Ce travail colossal n’est pas seulement un travail d’archiviste : c’est un travail d’historien, de sociologue, de politologue et d’écrivain, puisque chaque tome offre un panorama complet de l’époque envisagée, agrémenté d’anecdotes savoureuses et de faits divers révélateurs que les manuels d’histoire occultent avec désinvolture. Admiratif de ce véritable monument, le président français Jacques Chirac a adressé à l’auteur, le 11 avril 2005, ces lignes sincères : « En parcourant cet impressionnant travail de mémoire, j’ai revécu nombre d’événements heureux ou douloureux où les souvenirs du Liban et de la France se mélangent inextricablement. On ne peut mieux illustrer les destins si profondément imbriqués de nos deux pays. C’est la conscience de ces liens historiques qui guide la politique de la France au Liban, sur laquelle vous portez une appréciation dont j’ai été très touché. Permettez-moi de vous féliciter pour ce mémorial appelé à demeurer longtemps un ouvrage de référence… »
De son côté, l’ambassadeur Camille Aboussouan a salué ce « magnifique ensemble de livres indispensables, aux précisions détaillées, révélant un politologue attentif donnant à l’événement toute sa valeur dans l’ampleur des données, et leur analyse nécessaire… »
En parcourant les archives personnelles de Joseph Chami, l’on s’aperçoit que sa curiosité et sa soif d’informations l’ont toujours accompagné : en juillet 1969, c’est lui qui consacre un numéro spécial à l’odyssée spatiale qui a conduit l’homme à marcher sur la Lune ; sur la période 75-76 qui coïncide avec le début de la guerre libanaise, c’est lui qui, le premier, publie un ouvrage bilingue français/anglais intitulé Jours de misère. Sa vie durant, ce grand journaliste cultivé, intègre et affable a ainsi admirablement illustré ces propos du philosophe Christian Delacampagne : « La curiosité est un sens aiguisé du réel mais qui ne s’immobilise jamais devant lui ; une promptitude à trouver étrange et singulier ce qui nous entoure ; un certain acharnement à nous défaire de nos familiarités et à regarder autrement les mêmes choses ; une ardeur à saisir ce qui se passe et ce qui passe… »
Une grande perte pour la presse et le Liban.