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Lire Sollers et vivre sa vie

Lire Sollers et vivre sa vie

© Frédéric Stucin

Philippe Sollers est mort le 5 mai 2023 à Paris, à 86 ans. Messe catholique, île de Ré, stricte intimité. Personne n’aura mieux que lui parlé du Paradis. Expliqué comment nous sommes immergés dans le langage, parlé par les autres, traumatisés par ce bavardage, happés par les ténèbres. Il propose de regagner la lumière, retrouver le chemin du sujet, s’extirper de la langueur, déjouer le ressentiment général. Avec témoins à l’appui : Nietzsche, Hölderlin, et tous les autres. Montrer comment tout est mis en branle pour nous appesantir le corps, nous cisailler net, nous couper court. Comment grâce à un léger mouvement du poignet sur la page qui demande « maîtrise », « art », « habileté » « ruse », on retrouve l’esprit : raison et cœur mélangés. 

Qui est cet homme qu’on vient d’enterrer ? Un grand écrivain ? Certainement. Un éveilleur ? Sans aucun doute. Quels sont ses conseils de lectures à un jeune écrivain ? Joyce, Proust, Rimbaud, Baudelaire, Bataille, Céline. On commence par ceux-là. Puis on augmente la dose. Qu’a-t-il dit, espéré, permis ? La littérature s’empare de tout, surtout des corps. Tout y passe : philosophie, jeu d’enfants, exégèse biblique, hébraïque, taoïste. Toutes les langues : l’espagnol, l’hébreu, le chinois, l’anglais. Les spécialistes fulminent. Le clergé tempête. L’université, l’hôpital, la police crient au scandale. Il n’en a que faire. Ses livres sont là pour témoigner. Qui est celui-là même qui ose s’intéresser à tout ? « Littérature, Philosophie, Art, Science, Politique » (comme mentionné en italique sous le titre de la revue L’Infini qu’il dirigeait depuis 1983). « Toute écriture, qu’elle le veuille ou non, est politique. » Quelle formule extraordinaire a t-il trouvée ? Les petits points de Céline, l’intelligence des dernières avant-gardes, la leçon du XVIIIe siècle. Tout l’art est là : « la sortie du temps, la vie comme féerie ».

Pour comprendre le Sollers d’aujourd’hui, il faut avoir lu le Sollers plus ancien. Celui d’avant les années 80, connaître ses romans expérimentaux qui tiennent autant du Nouveau Roman que du structuralisme. Sans quoi on le trouve léger, trublion, faux-prêtre, bouffon. Il aura été au centre de la vie intellectuelle des années 70. Il a été de tous les combats et de toutes les avant-gardes : colloque de Cerisy sur Artaud et Bataille (1978), fondateur de la revue Tel Quel (1960-1982), acteur influent et décisif de la French Theory. Il a fréquenté et publié Barthes, Bataille, Derrida, Lacan, Foucault et Francis Ponge. Il a longtemps écrit des livres jugés « illisibles » : Nombre (1968), Logique (1968), Loi (1972), H (1973), tous publiés aux éditions du Seuil dont il était une des figures de proue. C’est Nombre que Derrida commente de manière détaillée dans son livre la Dissémination (1972). Ensuite, vient le Graal : Paradis, ce texte sans ponctuation aucune, publié en 1981. Paradis est sa matrice universelle, d’où découlera le Sollers nouveau, celui qui est lu et intelligible. Big-bang en perpétuel expansion. C’est l’œil du cyclone. De là naît le triptyque : Femmes (1983) basculements de style, succès éclatant ; Portrait du joueur (1985) ; Le Cœur absolu (1987). La clé de sol. Les trois romans qui font pivoter l’œuvre sur elle-même. Les femmes, l’égotisme, l’amitié. Ou bien : le Grand Autre, l’Écrivain, la Communauté. Voilà le cœur du réacteur « dont le centre est partout et la circonférence nulle part ».

J’ai lu Femmes bien sûr, mais aussi Le Lys d’or, La Fête à Venise, Le Secret, Studio, Passion fixe, tout le temps le cœur battant, l’esprit libre, la joie au cœur. Je sais instinctivement l’effet qu’il me fait. Il suffit de l’ouvrir au hasard, l’effet est immédiat. Inoculation nerveuse directe. Je suis élevé, retourné, mis en joie, larmes aux yeux, serrement de gorge. Comme si quelqu’un vous disait : « Tu as oublié ta vie, la vie retrouvée, la vie neuve, la seule qui vaut la peine d’être vécue, la tienne, aucune autre. » Comme au premier jour, comme à la première lecture, à la première écriture. Imaginez quelqu’un qui, à chaque instant, vous prend par la main, vous dégage. Si vous vous accrochez trop c’est bien connu, la barque flanche, le noyé sombre. Alors il vous lâche. Allez voir ailleurs si j’y suis. J’ai lu beaucoup d’autres livres « in situ », dès qu’ils sortaient en librairie pour me renseigner sur le temps. Toujours aussi lumineux. Précis. Justes. Il y avait aussi la revue et la collection L’Infini qu’il dirigeait. Je savais que ça pouvait continuer ad vitam, se multiplier sans fin. J’ai eu le temps de lire ses biographies sur Mozart, sur Casanova et sur Vivant Denon. J’ai aimé aussi son regard sur la peinture : Cézanne, Picasso, Bacon. Heureusement, de lui, je n’ai pas tout lu. Il me reste cette joie-là : découvrir le vieillard souverain, prolifique de ses dernières années. Centre. Désir. Mouvement. Légende. Graal. Le lire. Le lire encore.


Philippe Sollers est mort le 5 mai 2023 à Paris, à 86 ans. Messe catholique, île de Ré, stricte intimité. Personne n’aura mieux que lui parlé du Paradis. Expliqué comment nous sommes immergés dans le langage, parlé par les autres, traumatisés par ce bavardage, happés par les ténèbres. Il propose de regagner la lumière, retrouver le chemin du sujet, s’extirper de la langueur,...

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Du charabia pseudo intellectuel pour embobiner les naifs.

Jacques Saleh, PhD

17 h 18, le 30 mars 2024

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  • Du charabia pseudo intellectuel pour embobiner les naifs.

    Jacques Saleh, PhD

    17 h 18, le 30 mars 2024

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