C’est l’un de ces romans pour la jeunesse dont on a l’habitude de voir la couverture sur les étals des libraires. Il n’est jamais bien loin. Un livre qui semble passer l’épreuve du temps. Les couvertures illustrées des différentes éditions varient dans le style, mais toutes s’attardent sur un élément : le regard d’un loup. Un regard troublant, car il n’a qu’un œil. L’Œil du Loup de Daniel Pennac est un classique.
La plume souple de l’auteur, jonglant à la frontière entre la langue orale et littéraire, est savoureuse tant dans ses romans adultes que dans ses incursions dans la littérature jeunesse. Rappelons-nous de son tour de piste aux commandes des personnages d’Ernest et Célestine, d’abord au scénario du film d’animation aux dialogues savoureux, sorti en 2012, puis le temps d’une version romancée de ce long métrage : joueur, astucieux et tendre, le texte donnait sans cesse envie d’être lu à voix haute. Si L’Œil du Loup est moins primesautier, il joue tout de même sur le même terrain.
L’Œil du Loup est cette histoire d’amitié inattendue qui fleurit dans un zoo parisien, entre un loup blanc du Grand Nord et un garçon venu d’Afrique. Une amitié qui, pour exister, doit passer par les récits, beaux et terribles, du passé de chacun.
Après une récente version grand format somptueusement illustrée par l’illustrateur et peintre François Roca, voilà que l’auteur de bande dessinée Mathieu Sapin se réapproprie aujourd’hui ce récit. Nous sommes désormais habitués à son trait haché et nerveux dans son exécution, mais pourtant rond et accueillant dans sa forme. Il l’a souvent mis au service de BD documentaires ou de reportages à la première personne, notamment dans les coulisses du pouvoir (Campagne présidentielle, Comédie française). Mais aussi dans des bandes dessinées pour le lectorat jeunesse, que ce soit dans les séries Sardine de l’Espace et Akissi, ou dans sa récente adaptation en BD de l’album de Tomi Ungerer Pas de baiser pour maman.
Adapté à des formats longs qui privilégient le flot de lecture, son trait est mis en avant d’une manière nouvelle dans L’Œil du Loup. Car les éditions Nathan ne s’y trompent pas, en proposant un album grand format, de belle facture, renvoyant aux éditions de beaux albums jeunesse illustrés. Le dessin de Mathieu Sapin, avec cet espace nouveau, dévoile une facette illustrative, sans se renier.
Les pages se situant dans le zoo sont pleines de poésie : Mathieu Sapin fait siennes les contraintes de ce huis-clos à ciel ouvert et propose une chorégraphie tantôt paisible tantôt intense, en tous cas très touchante entre le loup et l’enfant.
S’ensuivent une exploration du passé du loup dans le Grand Nord et un épisode africain dévoilant le passé de l’enfant et qui ont tout du conte : le rythme, la découpe des évènements et le jeu entre réalisme et onirisme.
L’album se termine sur des pages de coulisses, montrant une complicité qui dès lors ne nous étonne pas, entre Mathieu Sapin et Daniel Pennac.
L’Œil du loup de Mathieu Sapin (d’après Daniel Pennac), Nathan bande dessinée, 2023, 80 p.