Critiques littéraires Récit

Alexandra David-Néel : la rage de l’aventure

Cent ans après son entrée à Lhassa, capitale du Tibet interdit aux étrangers, un texte inédit de l’intrépide voyageuse vient remémorer son exploit.

Alexandra David-Néel : la rage de l’aventure

D.R.

Comme les chats, dit-on en Asie, Alexandra David-Néel (1868-1969) a connu plusieurs vies. D’abord en France où elle fut chanteuse lyrique, ou directrice de casino. Puis dans l’Himalaya, se prenant de passion pour le Tibet (Thibet, orthographiait-on parfois à l’époque), le bouddhisme, se faisant ermite de 1914 à 1916, et pénétrant enfin, après plusieurs tentatives échouées, à Lhassa, la capitale du Dalaï-Lama, le 28 février 1924, déguisée en mendiante crasseuse et affamée, avec le seul lama Yongden, son jeune compagnon d’aventures et futur fils adoptif. La dame a fièrement raconté ses aventures dans de nombreux articles puis livres, dont le célèbre Voyage d’une Parisienne à Lhassa, paru en 1927. Mais on ne connaissait pas ces Souvenirs d’une Parisienne au Thibet, qui en est un peu la matrice, publié à compte d’auteur, à Pékin, en 1925, tiré à seulement dix exemplaires. La belle collection « Terre Humaine », créée en 1954 chez Plon par l’ethnologue Jean Malaurie (lequel vient de disparaître au même âge qu’Alexandra David-Néel), l’offre aujourd’hui à la curiosité des lecteurs.

Car ce petit texte constitue bien une curiosité. C’est un ouvrage assez bref, trois fois plus mince que celui de 1927, où l’auteure ne cesse de se plaindre de n’avoir pas assez de place pour raconter en détails tout ce qu’elle voudrait, notamment des explications assez techniques, ou de simples anecdotes. C’est aussi un récit un peu décousu, et sans dates précises. Par exemple, jusqu’à sa réussite du 28 février 1924, on ne sait pas exactement combien de fois l’aventurière et son compagnon impavide ont échoué à la frontière du Tibet, refoulés par des douaniers soupçonneux. On l’a dit, le Grand Thibet de l’époque, divisé entre les Chinois et l’autorité du Dalaï-Lama, appuyé par les Anglais, était interdit aux étrangers, surtout à une femme ! Lhassa, la capitale, véritable forteresse surmontée par le palais du Potala, était une ville sainte, et le pays tout entier régi par ses monastères. Parfois, des villes de plusieurs milliers d’habitants où toute la vie était organisée autour de la religion, avec ses rites, ses superstitions, ses myriades de divinités et de démons, un impressionnant pandémonium autour du Bouddha.

À ce sujet, Alexandra David-Néel décrit bien les cérémonies, les croyances, la vie quotidienne du petit peuple qu’elle coudoie, en tant que misérable pèlerin, dans le froid et la faim. En revanche, sur la situation du pays, elle se permet des analyses que la suite de l’histoire (l’annexion du Tibet par les Chinois et le génocide humain et culturel qui s’en est suivi) lui a, on l’espère, fait regretter : « Les Thibétains ont beaucoup à perdre à se séparer de la Chine », écrit-elle notamment, parlant de pays « soi-disant indépendant ». On peut être une grande dame, et un sacré écrivain, et se tromper.

Ce bémol mis à part, le style est vif et enlevé, l’humour jamais très loin, et le document, un siècle après, conserve tout son intérêt. Cette Parisienne n’avait décidément pas froid aux yeux, et elle est la « mère » de tous les écrivains-voyageurs d’aujourd’hui.

Souvenirs d’une Parisienne au Thibet d’Alexandra David-Néel, Plon, 2024, 180 p.

Comme les chats, dit-on en Asie, Alexandra David-Néel (1868-1969) a connu plusieurs vies. D’abord en France où elle fut chanteuse lyrique, ou directrice de casino. Puis dans l’Himalaya, se prenant de passion pour le Tibet (Thibet, orthographiait-on parfois à l’époque), le bouddhisme, se faisant ermite de 1914 à 1916, et pénétrant enfin, après plusieurs tentatives échouées, à...

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