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Lifestyle - Journée des droits des femmes

« The Only Woman » et 11 photographes libanaises sous les feux de la rampe

Des portraits, des histoires, des parcours, conjugués au féminin, ont animé une table ronde initiée par Alice Mogabgab qui met en avant une gent féminine battante au milieu d’assemblées d’hommes.

« The Only Woman » et 11 photographes libanaises sous les feux de la rampe

Les artistes photographes de gauche à droite et de haut en bas : Houda Kassatly, Batoul Faour, Ghina Fleyfel, Aline Manoukian, Myriam Boulos, Tania Traboulsi, Christina Assi, Ieva Saudargaitė Douaihi, Danièle Chikhani, Chaza Charafeddine, Ghada Waked, Joumana Jamhoury. Photo DR

Organisé par Alice Mogabgab, présidente du BAFF, et dirigé par Ghada Waked, fondatrice de la Biennale de l’image de Beyrouth-BIB et d’Albedo Creative Platform, un programme en deux volets a eu lieu à l’amphithéâtre Laïla Turqui de la bibliothèque Orientale de l’Université Saint-Joseph, lundi 4 mars au soir.

Dans le premier volet, la documentariste américaine Immy Humes a présenté, en conférence zoom, son livre intitulé The Only Woman, accompagnée d’une sélection de clichés de femmes remarquables qui ont creusé leur chemin dans le monde des hommes. Le second volet a donné la parole à 11 femmes photographes passionnées par la narration visuelle. L’autrice de The Only Woman, paru en 2022 chez Phaidon, est productrice de télévision américaine et réalisatrice de documentaires traitant de thèmes sociaux et politiques. Ses films ont été projetés au Film Forum de New York et au MoMA (Museum of Modern Art), ainsi qu’aux festivals internationaux du film documentaire à Amsterdam, Leningrad, Mannheim, Los Angeles, en Floride et dans l’Arkansas. Ils ont été également diffusés à l’échelle nationale sur Independent Lens de PBS et sur de nombreuses autres chaînes américaines. Un de ses documentaires, intitulé « A Little Vicious », a été nominé pour un oscar en 1991.

Katharine Graham, seule femme élue au conseil d'administration de l’Associated Press, sur une photo prise en 1974. Photo DR

À la recherche de Walda 

« C’est en découvrant une photographie de la cinéaste Shirley Clarke (1919- 1997), figure majeure du cinéma d’avant-garde américain, entourée de 22 acteurs, techniciens et bailleurs de fonds, que l’idée du livre est née », raconte Humes. Il lui fallait trouver d’autres exemples de photographies de groupe dans lesquelles n’apparaît qu’une femme, seule au milieu d’hommes. Se plongeant dans les archives issues d’une vingtaine de pays, elle va collecter cent clichés d’assemblées d’hommes au milieu desquels apparaît une femme. « J’avais l’impression de jouer à “Où est Waldo” ? Ou plutôt “Où est Walda ?” (Série de livres-jeux pour retrouver certains personnages cachés dans une foule, NDLR). Pour moi, il s’agissait de repérer ces pionnières anonymes ou célèbres solitaires, et puis surtout percer leur mystère : que faisaient-elles là ? » Sur l’écran, elle partagera avec l’auditoire une sélection de photographies rares couvrant une période de plus de 100 ans. Parmi celles-ci, figurent des athlètes, des artistes, des militantes, des astronautes, des leaders des droits civiques ; ou encore des scientifiques, des musiciens de jazz, des peintres et même une pilote de course. Une galerie fascinante de femmes parmi lesquelles celle de Katharine Graham (prise en 1974), seule femme élue au conseil d’administration de l’Associated Press, entrée dans l’histoire journalistique dès 1971 en donnant le feu vert à son journal pour publier les « Pentagon Papers », provoquant ainsi la démission de Richard Nixon et de nombreuses réformes gouvernementales. Un autre cliché, daté du 6 juin 1944, montre la correspondante de guerre américaine Martha Gellhorn, seule femme parmi 150 000 personnes présentes sur les plages de Normandie, ou encore une photographie de l’impératrice douairière de Chine, Cixi, prise au Palais d’été de Pékin, en 1903. « C’était peut-être la femme la plus puissante au monde. »

Un bel ouvrage paru en 2022.

L’œil des Libanaises

En écho à The Only Woman dans lequel aucune figure libanaise n’est mentionnée, Alice Mogabgab a partagé avec l’auteure américaine et l’audience une sélection de photographies de personnalités qui se sont démarquées dans les paysages politique, social et pédagogique du Liban. Elle cite, entre autres, Nazira Joumblat qui, dans une société masculine, religieuse et conservatrice, a présidé aux majlès (assemblées) politiques de son pays, jouant un rôle dans l’histoire du Liban ; Anbra Salam Khalidi féministe et auteure qui a contribué de façon significative à l’émancipation des femmes arabes ; Edma Abou Chedid, considérée première femme médecin ; Rola Hoteit première capitaine de ligne libanaise ; Sylvie Ajémian, directrice durant des décennies du musée Sursock, et d’autres encore.

Onze femmes photographes ont ensuite participé à une table ronde modérée par Mme Ghada Waked : Christina Assi, 28 ans, photographe pour l’Agence France-Presse (AFP) victime d’une frappe israélienne (en visioconférence) ; Myriam Boulos ; Chaza Charafeddine ; Danièle Chikhani ; Batoul Faour ; Ghina Fleyfel ; Joumana Jamhoury ; Houda Kassatly ; Aline Manoukian ; Ieva Saudargaité Douaihi et Tanya Traboulsi.

Mme Waked devait souligner que la gent féminine s’est emparée du médium photographique dans des stratégies d’affirmation artistique et professionnelle, balayant tous les clichés poussiéreux et sexistes véhiculés – « aucun obstacle ne semble miner leur confiance et leurs capacités ». En effet, « il est inutile de prouver notre légitimité », dit Houda Kassatly, dont la formation d’ethnologue sociale a aiguisé son regard sur le patrimoine architectural, les traditions sociales et l’environnement, qu’elle a étudié, photographié et publié dans plusieurs ouvrages aux éditions al-Ayn. Dès 1978, dans un pays en pleine guerre civile, elle investit le terrain où « le seul obstacle était l’espionnite aiguë des miliciens face à une photographe qui n’était pas munie d’une carte de presse ». Cela dit, elle ajoute qu’« il n’est pas impossible que les femmes aient occupé dès son émergence l’espace de la photographie, comme Marie el-Khazen, dont les clichés datant des années 1920 sont considérés comme un témoignage précieux et unique de leur époque (Lire les photographies de Marie al-Khazen aux éditions Bloomsbury Visual Arts, 2020 ). Je pense aussi à toutes celles qui secondaient leurs maris photographes dans le développement de leurs pellicules. Elles avaient probablement une production personnelle ».

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Joumana Jamhouri, diplômée du NYIP de New York et passionnée de photographie industrielle, raconte que « dans 90 % des cas, lorsque j’arrive dans une usine pour la photographier, au bout de quelques minutes, le responsable des lieux me demande : “Mais où est donc le photographe ?” » « Je pense, précise-t-elle, qu’il y a une fibre artistique, qu’elle soit masculine ou féminine. » Son travail a été publié dans plusieurs magazines et présenté dans de nombreuses expositions individuelles et collectives à Munich, São Paolo et Paris, et au prestigieux MoMa de New York. 

Pour sa part, Christina Assi explique qu’« ayant grandi dans une région en conflit, au sein du chaos, la photographie est devenue mon refuge ». Comme femme photographe, elle a été confrontée à « des défis uniques. Je devais travailler deux fois plus dans un monde dominé par les hommes. Et suite à une attaque traumatisante à la frontière libano-israélienne, ma vie a changé et ma résilience a été mise à l’épreuve ». « Pourtant, ajoute-t-elle, je reste déterminée à utiliser la photographie pour défier les normes, et documenter la beauté et la brutalité du monde. Car le pouvoir de la narration visuelle est l’outil puissant pour transmettre la vérité. »

Ghina Fleyfel, vidéaste, photographe experte en portraits et graphiste spécialisée dans la création d’image de marque, a toujours cru « en la capacité profonde du cadre à transmettre les histoires indicibles et ineffables des individus. Grâce à la photographie, j’ai affiné le langage capable de capturer et d’immortaliser les émotions brutes, ainsi que l’art de symboliser l’essence de l’existence humaine ».

Faire parler l’image

Diplômée d’un master en photographie de l’Académie libanaise des beaux-arts, Myriam Boulos a rejoint Magnum en 2022. Son travail a été publié dans Vogue, Time et Vanity Fair. Pour elle, « le médium de la photographie est historiquement patriarcal et colonial, et j’essaie de le déconstruire à travers chaque photo que je prends. En être consciente a façonné mon approche et m’a poussée à travailler de manière collaborative, à briser la dynamique binaire derrière et devant la caméra ».

Tanya Traboulsi, dont les clichés ont été publiés dans Phases Magazine, L’Œil de la photographie, Monocle, The Wire et bien d’autres, a reçu le prix 2013 de la Fondation Boghossian catégorie photographie, signale que son approche « est plutôt intuitive, boostée par la créativité et la passion, plutôt que par le genre. Je me concentre sur la capture du moment, la narration d’histoires et l’expression d’émotions. L’important pour moi, c’est de faire parler l’image ».

D’autre part, la cofondatrice de Digital Fountain, une plateforme en ligne de photographie libanaise, Ieva Saudargaité Douaihi, riche d’une identité multiculturelle, un père libanais et une mère lituanienne, aborde la pratique artistique « avec de multiples identités qui sont autrement plus importantes que le simple fait d’être « une femme », souligne-t-elle. « Je suis façonnée par mon parcours familial, social et éducatif, et je possède une forte curiosité à comprendre et à connaître ceux qui m’entourent. » À la question de savoir quelles sont les valeurs ajoutées ou spécifiques du fait d’être une femme photographe, elle répond : « Personnellement, les valeurs ajoutées sont le résultat de mon éducation, des lieux que j’ai habités et des rencontres que j’ai faites. En tant que fille née dans une société postsoviétique, j’ai été habituée à attendre mon tour, à écouter, à être hypervigilante, à travailler dur et à être humble. Aujourd’hui, même si je lutte contre cet héritage, je suis reconnaissante. Mon ego me permet de collaborer et de partager. »

Danièle Chikhani, enfin, fait observer que « la photographie est une manière d’observer, une manière de vivre, et à ce qui s’y passe. Comprendre avec le cœur ce que l’on voit. Comme une méditation. Ce qui m’intéresse dans la photo, c’est la vie »,  affirme la photographe et architecte-urbaniste qui a sillonné, appareil en main, le Pérou, l’Ouzbékistan, la Mauritanie, l’Inde, l’Arabie saoudite, l’Iran, la Turquie, Oman et, dernièrement, les hauts plateaux du Tibet.

Organisé par Alice Mogabgab, présidente du BAFF, et dirigé par Ghada Waked, fondatrice de la Biennale de l’image de Beyrouth-BIB et d’Albedo Creative Platform, un programme en deux volets a eu lieu à l’amphithéâtre Laïla Turqui de la bibliothèque Orientale de l’Université Saint-Joseph, lundi 4 mars au soir. Dans le premier volet, la documentariste américaine Immy Humes a...

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