Le sous-titre de l’ouvrage de Yasmine Nachabe Taan annonce d’emblée la pluralité des portes d’entrée dans l’œuvre de Marie al-Khazen : Gender, Photography, Mandate Lebanon (Étude de genre, photographie, Liban du mandat français). L’objectif scientifique et analytique de la démarche est extrêmement ambitieux, l’auteure propose une approche « problématisée » à la fois érudite et approfondie de la trajectoire d’une bourgeoise de Zghorta passionnée par la photographie. La mise en place du contexte socioculturel du début du XXe siècle au Liban est extrêmement précise et référencée, notamment au regard de l’histoire de la photographie et de sa présence marquée dans le pays. Yasmine Nachabe Taan s’interroge ensuite sur la production d’espaces alternatifs et la déstabilisation d’une image figée de la féminité dans le corpus de Marie al-Khazen. Puis la chercheuse analyse les corrélations entre les femmes, la politique et le genre du portrait. La dernière partie s’intéresse à l’esthétique des essais photographiques de cette femme atypique et inclassable, actuellement considérée comme la première femme photographe du Moyen-Orient. La lecture est agrémentée d’illustrations de différentes photographies de l’époque, celles de Marie al-Khazen, mais aussi de deux autres femmes qui ont marqué la photographie moyen-orientale de l’époque, Marie-Lydie Bonfils et Karimeh Abbud.
Le texte de Yasmine Nachabe Taan se lit comme une enquête, le style est vif, alerte, et on ressent l’élan de la chercheuse qui relate les investigations sur le terrain qui ont nourri ses recherches. Ainsi, elle évoque avec une certaine truculence ses visites à Zghorta, où la famille de Marie al-Khazen a migré au XIXe siècle, baptisant la colline où elle s’installe Tallet al-Khazen. Vraisemblablement, une sorte d’omerta semble nimber la seule mention du nom de cette aïeule excentrique. Si les lieux, les descendants, les objets restent énigmatiques à son sujet, ses photographies sont plus disertes, et c’est à ces clichés que Yasmine Nachabe Taan parvient à donner la parole, avec brio. À l’issue de ce voyage rafraîchissant dans la bourgeoisie fringante du mandat français, le mystère et la fougue de la jeune femme demeurent, et la mécanique narrative de ses compositions insolites et déroutantes est relancée.
Yasmine Nachabe Taan est directrice de l’Institut d’art dans le monde arabe (Institute of Art in the Arab World) à la Lebanese American University de Beyrouth (LAU). Elle enseigne l’histoire du design graphique et les études de genre, autour de la représentation de la femme dans les médias et dans l’art. Très intéressée par les débuts de la photographie au Moyen-Orient et la représentation des femmes de ce médium, elle se déclare également passionnée par le design des années 1950 et 1960, au Liban et dans les pays arabes. Elle a d’ailleurs écrit plusieurs livres à ce sujet, notamment sur un illustrateur égyptien, Hilmi el-Tuni, en 2014, et sur un designer syrien, Abdulkader Arnaout, en 2017. Parce qu’il lui semble que l’histoire a été injuste et négligente avec les femmes, en effaçant leur existence, elle a publié un ouvrage, il y a deux ans, sur le talent de designer de la sculptrice Saloua Raouda Choucair, « qui a conçu des pièces de mode, des bijoux, des appareils électriques et des fontaines d’eau qui la situent dans la lignée du Bauhaus, sans qu’elle en ait eu conscience », précise Yasmine Nachabe Taan avec entrain. L’universitaire termine actuellement un livre sur la designer Mouna Bassili Sehnaoui. « Elle a réalisé un travail remarquable que j’ai découvert dans ses archives, sur des brochures, des catalogues, des publicités, et a joué un rôle essentiel dans la construction de l’image touristique du Liban dans les années 60. »
La chercheuse a découvert Marie al-Khazen pendant ses études à l’Université McGill de Montréal. « J’ai été fascinée par ses photos, sur le site de la Fondation arabe pour l’image, j’ai ressenti une certaine modernité dans ce regard sur le Liban des années 20, et j’ai souhaité en faire le sujet de ma thèse de doctorat. Cette modernité se lisait sur les clichés dans sa façon de se vêtir, de se tenir, de conduire, de fumer, d’aller à la chasse… » explique l’auteure de Reading Marie al-Khazen’s Photographs, qui est une réécriture de sa thèse. « J’ai rencontré Mohsen Yammine, le collectionneur de ses photographies, et je me suis lancée dans la réalisation de l’arbre généalogique de la photographe pour interroger ses descendants, tout en gardant en tête le fait que les photos n’ont peut-être jamais été éditées. Mohsen Yammine raconte avoir retrouvé les négatifs dans le poulailler, au fond du jardin de la famille Khazen, à Zghorta. Aujourd’hui, ils sont préservés à la Fondation arabe pour l’image. Quelques-unes des photographies ont été agrandies, elles ont même été exposées à l’Institut du monde arabe », enchaîne la jeune femme, qui relate avec humour qu’une personne l’a contactée après avoir reconnu la sœur de sa grand-mère (Marie al-Khazen) sur les murs de l’IMA, à Paris. « Elle m’a raconté que Marie était détestée par la famille, ils n’acceptaient pas sa différence, elle se promenait avec un singe dans sa poche, elle parlait à voix haute de sexualité… Mon propos n’est pas d’élucider son type de sexualité, ce qui est sûr, c’est qu’elle était très émancipée, et ce que j’apprécie dans ses photographies, c’est la façon dont elle présente les femmes, habillées avec des habits d’homme. Pour moi, ça ne raconte pas sa sexualité, mais le fait qu’elle rêvait d’une position sociale où elle avait plus de pouvoir et de liberté », avance Yasmine Nachabe Taan, qui a été très émue de retrouver chez une descendante de la photographe, près de Faraya, des objets présents dans les clichés de l’artiste. « Cette dame âgée m’a dit qu’elle se souvenait que Marie était très autoritaire lorsqu’elle donnait des instructions aux figurants de ses photos. Selon elle, la photographe n’avait aucune légitimité et aucun intérêt car elle n’avait pas de mari et d’enfants. Elle se rappelait d’une femme qui faisait entrer tous ses chiens dans le salon, et la famille s’est débarrassée des négatifs dès qu’elle a pu », précise la spécialiste, qui insiste sur le fait que dans les années 1920, il était courant que les femmes de la haute bourgeoisie s’adonnent à la photographie. « Ce qui est frappant, c’est la qualité des photos. Si on prend celle de l’aéroport, on voit un avion en arrière-plan et un homme en habit traditionnel avec du romarin à la main. La construction de l’ensemble est très signifiante, avec le vieil homme, à gauche, qui regarde les avancées technologiques et le progrès. Ma photo préférée est celle où son neveu est assis sur une table, nu, tout y est symétrique et il est au cœur du cliché. Elle célèbre la masculinité, tout en étant l’instigatrice de l’ensemble », analyse l’auteure avec amusement.
Une « modernité qui n’est pas fondée sur des bases européennes »
Les clichés de Marie al-Khazen sur les sites touristiques libanais, notamment Baalbeck, ne relèvent pas du regard orientaliste européen : le point de vue est interne. « Son regard était novateur, je me demande si cette modernité ne venait pas de ses voyages pour visiter sa sœur à Alexandrie, qui était la capitale culturelle arabe de l’époque. J’essaie de cerner sa modernité, qui n’est pas fondée sur des bases européennes. Quand elle s’habille comme un homme, ce n’est pas dans la lignée de Coco Chanel, c’est une affirmation politique. Elle affirme une identité hybride en portant un costume européen et un tarbouche sur la tête. Cette femme évoluait entre les cultures libanaise, ottomane et française, on ne sait pas ce qu’elle lisait et dans quelle langue », s’interroge l’universitaire, qui est sensible à la joie de vivre qui émane de ces photos des années 1920, même si les zones d’ombre sont encore multiples autour de Marie al-Khazen. « J’ai fait beaucoup de recherches pour savoir si elle était en contact avec d’autres artistes, ou si elle a participé à des expositions, sans succès. Je ne suis pas sûre qu’elle était consciente de sa démarche artistique. Aujourd’hui, elle incarne pour moi un espace de respiration et un vent de liberté au moment de la naissance du Liban », conclut l’infatigable Yasmine Nachabe Taan, qui travaille actuellement sur Catherine Leroy (1944-2006), une femme photographe française qui a couvert la guerre civile et l’occupation israélienne de Beyrouth en 1982.
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NAISSANCE DU LIBAN = LORSQUE DIEU, FATIGUE PAR SIX JOURS DE LABEUR, - FACONNA DU NEANT L,UNIVERS ET LA TERRE, - DE SON OEUVRE INCOMPLETE IL VIT, AVEC AIGREUR, - QU,IL AVAIT OUBLIE L,EDEN TESTAMENTAIRE. = ET AU SEPTIEME JOUR, DEPLOYANT PLUS D,ARDEUR, - IL FORMA DU LIBAN LES CHAINES SECULAIRES ; - AUX FLEUVES ET FORETS A LA RARE SPLENDEUR ; - PARSEMES DE VERGERS, D,ALLEES ET DE PARTERRES ; = IL LEUR DONNA LE NOM DE : PARADIS SUR TERRE ! = PUIS, DANS LE CHOIX DE SON INFAILLIBILITE, - POUR SYMBOLE VIVANT DE LA LONGEVITE, - IL CREA LE CEDRE AU FRONT DEFIANT LES TEMPETES. = IL EN PEUPLE DES MONTS LES FABULEUSES CRETES, - QUE L,HIVER EMBELLIT D,UNE PARURE BLANCHE. - ET LE LIBAN NAQUIT LE DERNIER JOUR : DIMANCHE ! = DES LORS PAR LES MORTELS LE CEDRE EST VENERE, - COMME L,ARBRE DE DIEU, PAR DIEU MEME HONORE. JOHANNESBOURG, LE 10 JUILLET 1992
LA LIBRE EXPRESSION
09 h 29, le 23 novembre 2022