Le 4 août 2020, le port de Beyrouth était ravagé par deux terribles explosions qui ont transformé le quai n° 9 en un cratère béant, soufflé une bonne partie de la capitale et tué plus de 200 personnes. Dans les mois qui ont suivi la catastrophe, de nombreux projets de réhabilitation, parfois pharaoniques, ont été mis sur la table par plusieurs acteurs locaux et étrangers pour tenter de réhabiliter, voire repenser la zone portuaire. Tous sont restés lettre morte et les autorités n’ont toujours pas déblayé les débris qui encombrent une importante partie de la zone.
« Il y a un an et demi, le ministre sortant des Travaux publics et des Transports, Ali Hamiyé, nous a informés qu’il n’était pas satisfait des différentes propositions et a demandé si la France pouvait élaborer un schéma plus pragmatique, plus concret, qui soit en plus compatible avec les moyens financiers dont dispose le Liban », expose François Sporrer, chef du service économique régional à l’ambassade de France.
S’exprimant lors d’une rencontre à Beyrouth avec des journalistes, à laquelle L’Orient-Le Jour a été convié, M. Sporrer indique que la France a mandaté trois sociétés pour fournir une nouvelle proposition prévoyant de réhabiliter la zone portuaire pour une enveloppe entre 50 et 100 millions de dollars, réalisable en trois à quatre ans et pouvant être directement financée par le port. Ce budget est inférieur à l’essentiel de ceux des autres projets qui ont été proposés, dont certains se chiffraient en milliards de dollars.
Les détails de ce plan, déjà accepté par l’autorité du port de Beyrouth et approuvé par M. Hamiyé, seront dévoilés le 13 mars à l’occasion d’un événement organisé au port, auquel doit participer le ministre, l’ambassadeur de France au Liban, Hervé Magro, et le président de l’Autorité du port, Omar Itani. François Sporrer en a fourni les principaux contours.
Zone sanctuarisée
Financé par le gouvernement français, le nouveau plan directeur de réhabilitation du port a été réalisé par les cabinets d’ingénierie français Artelia (qui intervient notamment dans le secteur des infrastructures maritimes) et Egis (spécialiste de l'exploitation routière et aéroportuaire). Électricité de France (EDF) a également été sollicitée. Les choix définitifs ont été aiguillés par l’expertise de l’Autorité portuaire dirigée par M. Itani.
Le 13 mars, la France remettra au Liban le plan directeur détaillé préparé par les consultants, les modèles de documents nécessaires pour permettre aux autorités libanaises de lancer rapidement les appels d’offres nécessaires pour confier les travaux et, enfin, le rapport d’évaluation de sécurité réalisé par un expert français qui a constaté que le port n’était plus aux normes internationales et qui recommande certaines mesures correctives, qui ne sont pas forcément coûteuses.
Les travaux portent sur l’ensemble de la zone portuaire, excepté le terminal conteneur opéré par le géant français du transport et de la logistique CMA CGM, suite à une concession remportée en mars 2022. Selon M. Sporrer, la société fondée et dirigée par la famille Saadé a déjà investi de son propre chef « près de 30 millions de dollars » sur cette portion de l’infrastructure qui est opérationnelle, « ce qui n’était pas prévu ».
L’aire occupée par l’armée, située vers le centre-ville, ainsi que le périmètre de l’explosion sont également exclus du plan directeur. « En dehors de la réparation du quai, le plan ne touche pas la zone de l’impact et des silos qui est sanctuarisée. C’est aux Libanais de décider quoi en faire, s’il faut laisser un souvenir ou dresser un monument », indique François Sporrer. Au jugé, les travaux vont toutefois concerner la moitié des 1,2 million de mètres carrés qui constituent la zone portuaire.
Trois volets
Les travaux proposés s’articulent en trois volets.
Un premier volet qui concerne les travaux de réhabilitation et de réparation « absolument nécessaires », dont ceux à effectuer sur le quai n° 9. Sans pouvoir fournir de chiffres, le chef du service économique régional indique que ce dernier chantier sera le plus complexe et le plus coûteux à exécuter.
Un deuxième qui va revoir le plan d’aménagement (ou de zonage) du port et les axes de circulation internes de manière à fluidifier son fonctionnement. L’idée ici est de contribuer à améliorer les délais de traitement des marchandises qui sont trop élevés au Liban, explique-t-il encore.
Un troisième volet, celui assuré par EDF, va principalement consister à déployer autant que possible de capacités photovoltaïques sur les toits des bâtiments pour assurer l’essentiel des « 14 à 15 mégawatts » que nécessite l’infrastructure pour fonctionner. Une des options prévoit d’installer des panneaux solaires sur le brise-lames (la construction construite à l’entrée du port pour le protéger contre les vagues du large). Selon François Sporrer, EDF considère que cette option est viable et « très rentable » même si les panneaux devront être remplacés « tous les quatre ans », compte tenu du fait de leur exposition aux courants marins.
Le plan devrait prévoir la construction d’un nouvel espace accueillant des silos à grains (les anciens ayant été détruits), un terminal passager, l’aménagement des bassins existants ou encore la réorganisation des différentes portes d’accès de la zone portuaire. Autant de détails qui seront dévoilés le 13 mars. La certitude, c’est que ce plan ne se focalise que sur la zone portuaire, sans aborder la question des accès à cette zone, qui est située au cœur de Beyrouth et où la circulation est déjà saturée.
Conditions pour démarrer les travaux
La mise en œuvre de ce plan directeur ne pourra démarrer que si « trois conditions préalables qui sont du ressort des autorités libanaises » sont remplies, expose M. Sporrer en conclusion.
« Il faut d’abord déblayer la zone », commence-t-il, indiquant que l’Autorité du port a lancé il y a une dizaine de jours un premier appel d’offres pour se débarrasser des déchets métalliques, ce qui constitue « un bon début ».
« Le deuxième élément, c’est le financement. La fourchette fournie pour financer les travaux n’est pas si importante que ça, et l’Autorité du port a l’avantage de gagner de l’argent et de pouvoir retenir elle-même une partie de ses revenus. Elle en verse aujourd’hui 80 % au gouvernement et en retient 20 % issus des différents frais et taxes qu’elle prélève », détaille-t-il. Il poursuit : « Une solution serait pour l’État d’autoriser temporairement l’autorité à retenir un pourcentage un peu plus important de ses revenus afin de financer les travaux. »
Le Liban traverse depuis 2019 une profonde crise qui a mis à plat son économie, ses finances et ses banques pour emprunter sur les marchés, étant en défaut de paiement sur sa dette en dollars depuis mars 2020. M. Sporrer insiste sur le fait que le Liban n’a guère d’autre choix que de financer lui-même les travaux, vu que les bailleurs de fonds internationaux – dont la France – n’avanceront pas un sou tant que le pays n’aura pas signé d’accord avec le Fonds monétaire international et que la Banque mondiale ne prévoit pas de financer ce chantier.
Enfin, le Liban doit reformer son cadre réglementaire qui régit l'organisation portuaire dans le pays. Un projet de nouvelle loi portuaire est dans les tiroirs du Parlement libanais, et vise à transformer le port de Beyrouth en société commerciale ayant statut d’autorité portuaire. Cette réforme pourra, à terme, convaincre d’autres sociétés que CMA CGM de devenir des opérateurs du port.
La France a jusqu’à présent investi 7 millions d'euros pour diverses opérations de remise en état du port – opération de déblayage, don d’un scanneur à conteneur, gestion des grains perdus dans la destruction des silos ou encore financement du plan directeur qui sera présenté le 13 mars. François Sporrer affirme que la France a insisté que la Banque mondiale débloque un don de 2 millions de dollars dans le cadre du mécanisme Lebanon Financing Facility (LFF) pour remplacer le système informatique des douanes, qui est à bout de souffle. Les douanes collectent actuellement 60 % du total des recettes fiscales de l'État libanais.
100M sans bakhshish = 1Milliard avec. Devine qui paiera...
19 h 08, le 05 mars 2024