Rechercher
Rechercher

Idées - Point de vue

La leçon de Lénine pour Israël et l’Ukraine

La leçon de Lénine pour Israël et l’Ukraine

Cette photo, prise à Donetsk le 18 janvier 2022, montre la statue de Lénine dans la capitale de l’État autoproclamé de la République populaire de Donetsk, dans l’est de l'Ukraine. Alexander Nemenov / AFP

Un siècle s’est écoulé depuis la mort de Vladimir Lénine et plus de trois décennies depuis l’effondrement de son projet bolchevique. Mais si une grande partie de son parcours politique s’avère très problématique d’un point de vue actuel, son pragmatisme impitoyable, comme on pourrait le définir, est toujours d’actualité.

Souvenons-nous de son appel bien connu à l’« analyse concrète de la situation concrète » : il faut éviter à la fois la fidélité dogmatique à la cause et l’opportunisme sans principe. Dans des conditions réelles qui changent rapidement, la seule façon de rester vraiment fidèle à un principe – de rester « orthodoxe » au sens positif du terme – est de changer sa propre position. Ainsi, en 1922, après avoir remporté la guerre civile contre toute attente, les bolcheviques ont adopté la « nouvelle politique économique », qui accorde une place beaucoup plus importante à la propriété privée et au marché.

Reculer « pour mieux avancer »

Pour expliquer cette décision, Lénine a utilisé l’analogie d’un alpiniste qui doit reculer « pour mieux avancer ». Après avoir énuméré les réalisations et les échecs du nouvel État soviétique, il conclut : les communistes qui ne se font pas d’illusions, qui ne cèdent pas au découragement et qui conservent leur force et leur souplesse « pour recommencer sans cesse » une tâche extrêmement difficile ne sont pas condamnés (et, selon toute probabilité, ne périront pas).

On entend ici des échos de Søren Kierkegaard, le théologien danois dont les marxistes ont beaucoup à apprendre. Pour Lénine, tout processus révolutionnaire n’est pas graduel, mais répétitif, un mouvement qui consiste à répéter le début encore et encore.

Comment mieux saisir la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui ? Après le « désastre obscur » de 1989, qui a mis un terme définitif à l’époque qui avait commencé avec la révolution d’octobre 1917, on ne peut plus attribuer de continuité à ce que « la gauche » a signifié au cours des deux derniers siècles. Même si des moments indélébiles comme l’apogée jacobine de la Révolution française et la Révolution d’octobre resteront dans nos mémoires, ces histoires sont révolues. Tout doit être repensé à partir d’un nouveau point de départ.

Lire aussi

Ce que les « wokes » et « l’alt-right » ont en commun

Une nouvelle approche est plus importante que jamais maintenant que le capitalisme mondial est devenu la seule véritable force révolutionnaire. Ce qui reste de la gauche est obsédé par la protection des anciennes réalisations de l’État-providence, un projet qui ignore largement à quel point le capitalisme a changé la texture de nos sociétés au cours des dernières décennies.

Il y a bien sûr des exceptions. L’ancien ministre des Finances grec Yanis Varoufakis est l’un des rares théoriciens et hommes politiques à avoir reconnu ce processus pour ce qu’il est : selon lui, le capitalisme est en train de se transformer en techno-féodalisme, ce qui explique pourquoi la rhétorique anticapitaliste traditionnelle ne fait plus recette. L’implication est que nous devrions abandonner la social-démocratie et son idée centrale d’un État-providence de gauche.

Dans une perspective tout à fait léniniste, Varoufakis considère que l’objet de notre analyse critique (le capitalisme) a changé et que nous devons changer avec lui. Sinon, nous ne ferons qu’aider le capitalisme à se revitaliser sous une nouvelle forme. La forme de pragmatisme de Lénine n’est en aucun cas réservée à la gauche.

Changement de paradigmes

Le mois dernier, Ami Ayalon, ancien chef du Shin Bet (le service de sécurité intérieure israélien), a appelé à un changement de paradigme : « Nous, Israéliens, ne serons en sécurité que lorsque les Palestiniens auront de l’espoir. Telle est l’équation. » Parce que Israël ne sera pas en sécurité tant que les Palestiniens n’auront pas leur propre État, les autorités israéliennes devraient libérer Marwan Barghouti, le leader emprisonné de la seconde Intifada, pour qu’il mène les négociations en vue de la création d’un État. « Regardez les sondages palestiniens, a encore dit Ayalon. Il est le seul leader capable de conduire les Palestiniens vers un État aux côtés d’Israël. Tout d’abord parce qu’il croit au concept de deux États, ensuite parce qu’il a gagné sa légitimité en s’asseyant dans nos prisons. En effet, nombreux sont ceux qui voient en Barghouti (emprisonné depuis plus de vingt ans) une sorte de Nelson Mandela palestinien. »

Lire aussi

Elon Musk, nouveau seigneur du techno-féodalisme

Prenons un exemple encore plus surprenant. Le mois dernier, le chef de l’armée ukrainienne Valeriy Zaluzhnyi, à la suite d’informations parues dans les médias selon lesquelles il pourrait bientôt être démis de ses fonctions, a publié un commentaire exposant ses priorités pour l’Ukraine et identifiant les plus importantes pour l’effort de guerre. « Le défi que doivent relever nos forces armées ne peut être sous-estimé, écrit-il. Il s’agit de créer un tout nouveau système d’État de réarmement technologique. Cela signifie qu’il faut redoubler d’efforts dans le domaine des “systèmes sans pilote” – tels que les drones – ainsi que d’autres types d’armes avancées, qui constituent le meilleur moyen pour l’Ukraine d’éviter d’être entraînée dans une guerre de position, où nous ne possédons pas l’avantage. » Le « général de fer », comme on l’appelle parfois, a ensuite reconnu que, ses principaux alliés étant aux prises avec leurs propres tensions politiques, l’Ukraine devait se préparer à une réduction de son soutien militaire. Je considère également ce bref commentaire de Zaluzhnyi comme une intervention léniniste (c’est-à-dire fondée sur des principes et pragmatique). Il est vrai que les gauchistes radicaux et Zaluzhnyi lui-même considéreront cette caractérisation comme absurde, et je ne suis pas un expert des luttes de pouvoir actuellement en cours en Ukraine, ni du rôle de Zaluzhnyi dans ces luttes. Tout ce que je dis, c’est qu’il a habilement combiné la fidélité à l’objectif (maintenir l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine en tant qu’État démocratique) avec une analyse concrète de la situation sur le champ de bataille.

En clair, nous avons dépassé la phase héroïque de la résistance populaire à l’envahisseur et des combats personnels sur les lignes de front. L’Ukraine doit se réorienter en adoptant de nouvelles technologies adaptées à une guerre prolongée et en devançant la réticence croissante des pays occidentaux à fournir une aide indéfinie. L’Ukraine devra également mettre de l’ordre dans ses affaires en agissant de manière plus décisive contre la corruption et les oligarques, et en définissant clairement ce pour quoi elle se bat.

Par-dessus tout, l’Ukraine a besoin d’une vision commune qui ne soit pas étroitement nationaliste ou définie par le soupçon que la gauche ukrainienne est prorusse. Pour résister aux effets de l’épuisement dû à la guerre, les Ukrainiens doivent se mettre dans la peau de l’alpiniste de Lénine.

Copyright : Project Syndicate, 2024.

Par Slavoj ŽIŽEK

Professeur de philosophie à l’European Graduate School, directeur international du Birkbeck Institute for the Humanities de l’Université de Londres. Dernier ouvrage : « Heaven in Disorder » (OR Books, 2021).

Un siècle s’est écoulé depuis la mort de Vladimir Lénine et plus de trois décennies depuis l’effondrement de son projet bolchevique. Mais si une grande partie de son parcours politique s’avère très problématique d’un point de vue actuel, son pragmatisme impitoyable, comme on pourrait le définir, est toujours d’actualité.Souvenons-nous de son appel bien connu à l’« analyse...

commentaires (1)

L'entité sioniste est majoritairement à droite. La gauche a un seul programme, tout sauf BIBI. Depuis le 7/10 l'entité sioniste est encore plus à droite, les personnes israéliennes citées dans l'article ont fait que le 7/10 est arrivée. Il y a un changement de conception, la Bande de Gaza est pour beaucoup en ruine, "elle ne sera plus jamais un califat islamique" et un territoire appartenant aux palestiniens complètement. C'est un message pour tous les pays voisins de l'entité sioniste qui s'amuseraient de l'attaquer.

Dorfler lazare

00 h 27, le 03 mars 2024

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • L'entité sioniste est majoritairement à droite. La gauche a un seul programme, tout sauf BIBI. Depuis le 7/10 l'entité sioniste est encore plus à droite, les personnes israéliennes citées dans l'article ont fait que le 7/10 est arrivée. Il y a un changement de conception, la Bande de Gaza est pour beaucoup en ruine, "elle ne sera plus jamais un califat islamique" et un territoire appartenant aux palestiniens complètement. C'est un message pour tous les pays voisins de l'entité sioniste qui s'amuseraient de l'attaquer.

    Dorfler lazare

    00 h 27, le 03 mars 2024

Retour en haut