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Lifestyle - Histoires de thérapie

Le joueur (de Blackjack) 2/3

Le moment est sacré, intime, personnel. Un face-à-face entre le psychanalyste et son patient, qui se fait dans la colère, les larmes, les fous rires et les silences.

Dans cette rubrique bimensuelle, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière, avec des interlocuteurs qui resteront anonymes. Cet article est le second d'une série de trois sur les joueurs.

Le joueur (de Blackjack) 2/3

Le Blackjack, un jeu de hasard très apprécié. Photo d'illustration Bigstock

Contrairement au jeu de la roulette qui est un jeu de pur hasard, le Blackjack (ou 21) permet au joueur d’avoir une participation active et donc de maîtriser un peu plus ses chances de gagner. Le danger vient des sommes d’argent qu’il mobilise.

Quand Roland vient me voir, il est dans un état dépressif grave, lié aux sommes d’argent qu’il a perdues à ce jeu et aux conséquences que cela a engendré. Il est criblé de dettes, son ménage est en danger et sa femme veut divorcer. Il ne sait plus quoi faire.

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« Pourquoi vous engagez tout cet argent ? » « Quand ma chance tourne et que j’ai de belles cartes, j’y vais à fond, je mise tout. »

Roland prenait un immense plaisir à me raconter les règles du jeu, la disposition des joueurs, la place du croupier et l’arrangement des cartes. J’étais embarrassé. Comment l’écouter me parler avec autant de plaisir de ce jeu qui l’a ruiné et qui l’a amené chez moi ? En même temps, toute intervention de ma part risquait de lui paraître comme une interdiction face au débit de parole qui l’emportait.

Le Blackjack engage 7 à 8 joueurs assis devant une table en quart de lune. De l’autre côté, un croupier distribue les cartes à partir d’un boîtier contenant 6/8 jeux de cartes mélangés. Le croupier arrête le jeu peu de temps avant que les cartes ne soient épuisées. Puis de nouveau, après avoir mélangé les cartes, il fait couper l’un des joueurs, remet les cartes dans le boîtier, en élimine quelques-unes et la partie reprend.

Roland ne manquait aucun détail, prenait un temps fou à le faire, comme s’il voulait m’apprendre à jouer. Soit il cherchait à me communiquer son plaisir, pour me séduire et m’amener à aimer le jeu, comme lui. Soit il voulait me montrer ses connaissances sur le sujet et installer entre nous comme une compétition entre nos deux savoirs, le sien pouvant être aussi important que le mien.

Il cherchait ainsi à me transformer en croupier et à établir entre nous une sorte de duel où il ne pouvait qu’être le plus fort. Ainsi, il transformait nos séances en partie de Blackjack où la phrase qui revenait le plus souvent était : « Vous vous souvenez, je vous l’avais dit », comme si sa mémoire était plus grande, plus forte que la mienne. « On ne joue pas l’un contre l’autre, on joue ensemble. »

Surpris par ce que je lui ai dit, il s’arrête de parler. Après un silence plus ou moins long, il me dit : « On joue ensemble contre qui ? » Je lui réponds : « Contre la banque. »

Un rire franc éclata entre nous. Roland appréciait cet échange. C’était ma première intervention de type analytique, et, il faut le dire, j’étais content de moi-même. On ne parla plus de Blackjack pendant un long moment. Roland accepte finalement le jeu de la thérapie psychanalytique et commence à raconter son histoire, enfance, adolescence et vie adulte. Je fus surpris par l’étendue de sa mémoire. Il se rappelait presque tout, et en détail et même pour des souvenirs lointains.

Un jour, il arrive à sa séance ivre de joie. Il venait de voir un film sur le Blackjack, Las Vegas 21, sorti en 2008, ce film de Robert Luketic avec Kevin Spacey dans le rôle principal, celui du prof. Le film raconte l’histoire d’un prof de math, un génie des chiffres, qui choisit quelques-uns de ses élèves les plus brillants et leur propose d’aller à Las Vegas pour jouer au Blackjack. Sa méthode est basée sur le comptage des cartes qui sortent du sabot. Les bonnes cartes, de l’As au 7 en passant par le roi, la dame, le valet et les cartes qui vont du 10 au 7. Ces cartes sont comptées +1. Les mauvaises cartes, du 6 au 2, sont comptées -1.

Le comptage ultrarapide nécessite une grande mémoire et une grande intelligence. C’était le cas de Roland.

Le comptage ultrarapide +1/-1 permet au joueur d’avoir une idée des cartes qui reste dans le sabot. « Vous voyez docteur, je vais y aller et appliquer cette méthode du comptage. Si vous êtes d’accord, on suspend nos séances. » J’avoue que j’étais troublé, mais je ne pouvais m’opposer à l’arrêt des séances. On se dit au revoir, une certaine gêne m’habitait. Trois mois plus tard, il revint me voir pour m’annoncer qu’il a gagné des sommes énormes. Mais les casinos ont fini par modifier les règles. Avant que le sabot ne se vide, on y ajoutait les cartes jouées. Le comptage n’était plus possible. Il me regarde satisfait, « je ne joue plus au Blackjack, ni à d’autres jeux d’ailleurs ».

J’étais heureux pour lui. Mais qui du jeu gagnant du comptage ou de la thérapie l’a aidé le plus ? Je ne le sais pas.

Contrairement au jeu de la roulette qui est un jeu de pur hasard, le Blackjack (ou 21) permet au joueur d’avoir une participation active et donc de maîtriser un peu plus ses chances de gagner. Le danger vient des sommes d’argent qu’il mobilise.Quand Roland vient me voir, il est dans un état dépressif grave, lié aux sommes d’argent qu’il a perdues à ce jeu et aux conséquences que...

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