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De Gaza à Kiev, une même boussole

Au moment où nous écrivons ces lignes, près de 30 000 personnes, dont plus de 5 000 enfants, ont été tuées par l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Un million et demi de Palestiniens ont été déplacés. Une maison sur deux a été détruite au sein de l’enclave. Les frappes ont visé sans discrimination des écoles, des hôpitaux, des sites archéologiques et religieux. Très vite, la riposte aux horreurs du 7 octobre a pris les allures d’un massacre. Plus de quatre mois plus tard, celui-ci se poursuit en toute impunité. Les condamnations sont de plus en plus fortes et s'accompagnent souvent d’appels à un cessez-le-feu. Mais elles ressemblent à des cris dans le vide, des postures, plus ou moins sincères, qui n’ont aucun impact sur le quotidien d’une population que le monde a décidé d’abandonner. Benjamin Netanyahu veut réduire Gaza en cendres, tuer jusqu’au dernier combattant du Hamas et pousser une bonne partie de la population à l’exil. Et il ne s’arrêtera pas tant que personne, à commencer par Joe Biden, ne l’y contraindra.

Au moment où nous écrivons ces lignes, l’Ukraine résiste depuis bientôt deux ans à une tentative d’invasion et d'annihilation menée par l’armée russe. Vladimir Poutine ne parviendra probablement pas à prendre Kiev ni à rayer l’Ukraine de la carte et de l’histoire, son objectif initial. Mais il peut tout de même se réjouir. Plus le conflit s'éternise, plus les Occidentaux s’en lassent et affichent leur doute. Plus ils envisagent de négocier avec lui, comme si ni ses paroles ni ses actes ne les avaient définitivement vaccinés contre cette tentation. Vladimir Poutine, qui sera réélu triomphalement cette année et qui vient d’éliminer son principal opposant, Alexeï Navalny, ne négociera qu’en position de vainqueur ou pour mieux préparer la guerre suivante. Lui non plus ne s’arrêtera pas tant que personne ne l’y contraindra.

Une large partie des pro-Palestiniens regarde la guerre en Ukraine avec indifférence. Elle estime que c’est un conflit « entre blancs », un bras de fer géopolitique entre les États-Unis et la Russie qui fait suite à l'élargissement de l’OTAN en Europe de l’Est et qui ne la concerne pas. De l’autre côté du miroir, une large partie des libéraux, qui perçoit la guerre en Ukraine comme un conflit existentiel, est silencieuse, ambiguë ou carrément pro-israélienne quand il s'agit de Gaza. Ce conflit n’est alors perçu que sous l’angle de la guerre contre le terrorisme et tout devient justifié au nom d’un exceptionnalisme israélien qui trouve ses racines dans le traumatisme de l’Holocauste. C’est comme si les combats pour la défense du droit international et la dignité des peuples pouvaient être exclusifs les uns des autres. Soit partout sauf en Palestine, soit nulle part sauf en Palestine.

Les guerres d’Ukraine et de Gaza ont pourtant beaucoup plus en commun qu’elles n’y paraissent. Certes, le Hamas et son parrain iranien ne sont pas comparables à l’armée ukrainienne et ses soutiens occidentaux. La victoire de l’autoproclamé « axe de la résistance » ne serait pas une bonne chose ni pour les Palestiniens, ni pour la région, ni pour l’ordre international. Mais l'écrasement des populations palestinienne et ukrainienne au nom d’une idéologie revancharde et extrémiste participe d’une même dynamique.

Tant à Kiev qu’à Gaza, nous assistons impuissants et silencieux à l’effondrement de l’ordre libéral. C’est le règne de la force au détriment du droit, celui de l’impunité et de l’injustice. C’est l’heure de gloire des dictateurs, des autocrates et des populistes. Et tout est lié, rien n’étant plus limpide que la loi de la jungle.

Si Vladimir Poutine peut se permettre de tuer Alexeï Navalny sans même chercher à s’en laver les mains, c’est qu’il sait qu’il n’aura pas à en subir la moindre conséquence. Tout comme Benjamin Netanyahu à Gaza. Tout comme le Hezbollah trois ans après l’assassinat de Lokman Slim. Alliés ou ennemis, tous ces dirigeants, et bien d’autres encore, partagent une même volonté d’enterrer l’ordre international né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale au profit de la loi du plus fort.

L’Occident porte une lourde responsabilité dans cette déchéance. Il a péché par arrogance et par reniement de soi. Les gardiens du temple ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis avant de regarder les autres la brûler. L’intervention américaine en Irak a été le premier clou dans le cercueil de l’ordre libéral contemporain. La première puissance mondiale a foulé aux pieds le droit international et a ouvert la voie, ou au moins encouragé les autres puissances à suivre son exemple. Le recul de Barack Obama en Syrie a été le second coup de poignard. Bachar el-Assad a ainsi prouvé qu’il était possible de massacrer sa propre population en toute impunité. Le message a été reçu cinq sur cinq aux quatre coins de la planète.

L’Occident a perdu la boussole. Tant les États-Unis que les Européens semblent rongés de l'intérieur, incapables de hiérarchiser les enjeux auxquels ils sont confrontés et de se donner les moyens de faire respecter l’ordre et la justice, les deux piliers du système international.

Le délitement de l’ordre libéral ne peut toutefois être résumé à un déclin de l’Occident. Il a des conséquences partout, y compris au Liban, où les obscurantistes gagnent du terrain au sein de toutes les communautés.

Malheureusement, l’horizon ne paraît pas plus lumineux. Le sursaut demeure utopique. À moins d’un miracle, l’avenir immédiat sera sombre. Et il le sera d’autant plus si Donald Trump reprend les rênes de la Maison-Blanche dans quelques mois. Tant Benjamin Netanyahu que Vladimir Poutine en rêvent. Car pour l’ordre libéral, cela ressemblerait à un coup de grâce.

Au moment où nous écrivons ces lignes, près de 30 000 personnes, dont plus de 5 000 enfants, ont été tuées par l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Un million et demi de Palestiniens ont été déplacés. Une maison sur deux a été détruite au sein de l’enclave. Les frappes ont visé sans discrimination des écoles, des hôpitaux, des sites archéologiques et religieux. Très...

commentaires (11)

auriez-vous oublie quelqu'un?

M.J. Kojack

22 h 45, le 20 février 2024

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Commentaires (11)

  • auriez-vous oublie quelqu'un?

    M.J. Kojack

    22 h 45, le 20 février 2024

  • La troisième guerre mondiale

    Eleni Caridopoulou

    17 h 52, le 19 février 2024

  • Au moment où j’écris ce commentaire, une dépêche est relayée par le journal : https://www.lorientlejour.com/article/1368603/israel-soppose-a-limposition-unilaterale-dun-etat-palestinien.html. Comme chacun sait, une solution en Palestine existe depuis 1937. La création de deux Etats est dans tous les commentaires, et si depuis avant la création d’Israël, et si bientôt un siècle, depuis 1937, cette création est théorique, c’est qu’il ne faut pas faire du neuf avec du vieux. UN seul Etat, de Rafah au Golan, où vivront des juifs et des Arabes, on me rappellera la libanisation du monde.

    Nabil

    12 h 58, le 19 février 2024

  • Au moment où J’écris ce commentaire, je ne sais plus quelle dépêche de presse va mentionner le nombre de réfugiés, le nombre de morts ou de blessé communément appelés victimes. Ça se passe où ? En Afrique ! à Goma au Congo. Tout dépend de sa lorgnette !pour voir ce qu’il se passe. J’aime les Africains et les Africaines sans aucun paternalisme. Leur terre est dépouillée, (matières premières, etc…) des guerres partout, et on se prépare à commémorer en mai prochain le génocide rwandais 1984-2024, génocide commis en direct devant les tv du monde entier. D’Afrique, Gaza, la Crimée, c’est où ?

    Nabil

    12 h 39, le 19 février 2024

  • Si l'on n'est pas encore convaincu que c'est l'OTAN qui menace la Russie , et non le contraire , on se met le doigt dans l'oeil, on est aveugle ! Et si l'on n'est pas convaincu que c'est Israel qui occupe la Palestine et non le contraire , on devient un criminel en puissance . Tout est dit ! Vive Poutine , a bas Natanyahou !

    Chucri Abboud

    12 h 38, le 19 février 2024

  • Absolument rien à voir la situation de l UKRAINE et de GAZA. L UKRAINE n avais jamais envahi ou tué des russes lorsque POUTINE lui a déclaré la guerre. NETANYAHOU contrairement à POUTINE , n a jamais tué ou empoisonné les leaders de l opposition israélienne ,ni n a fait arrêter ou tirer sur la foule des manifestants qui s opposent à sa réforme de la justice.

    HABIBI FRANCAIS

    10 h 57, le 19 février 2024

  • En tout cas pour l’Ukraine… Les voix qui demandent le cessez le feu, les voix qui demandent que le va t en guerre zelensky se calme, les voix européennes qui ne veulent plus financer des armes aux ukrainiens pour que ces derniers ACCEPTENT de se mettre autour d’une table et élaborent une paix en prenant en compte les craintes ( compréhensibles ) des russes de voir l’Ukraine rejoindre l’OTAN. Cette guerre n’a que trop duré et zelensky / poutine devraient se calmer. Zelensky doit dégager parce qu’il faudra une équipe de pacifistes à la tête de l’Ukraine. Poutine doit se calmer aussi.

    LE FRANCOPHONE

    10 h 38, le 19 février 2024

  • Je me permet de signaler qu'à mon nom, Claudio Mésoniat, il faudrait ajouter (journaliste suisse)

    claudio mésoniat

    03 h 13, le 19 février 2024

  • L’Iraq, mais aussi la Libye, c’est des fautes graves. Mais c’est quand même les Occidentaux qui sont en train de soutenir de milles façons les ukrainiens contre le dictateur de Moscou, en attendant que son peuple le chasse ; et ce sont eux qui essayent –avec (presque) tous les moyens- d’empêcher ce triste Gouvernement israélien de causer des dégâts majeurs, en attendant que la majorité de son peuple s’en libère. Entre temps vous, les libanais, vous pourriez donner un coup de main 1° en reconnaissant l’existence d’Israel et 2° en réalisant l’exploit de nommer un président de l’État.

    claudio mésoniat

    03 h 10, le 19 février 2024

  • L’Afrique, Monsieur le corédacteur en chef, l’Afrique. Goma ville du Congo encerclée par des forces… Qui dénonce le lourd silence sur cette guerre à huis clos… C’est loin le Congo, mais à partir d’où ? De l’épicentre européen ou américain où le pue se concentre. Les récits des journalistes de visu donnent froid dans le dos. On ne voit le monde qu’à travers sa lorgnette russe ou arabo-israélienne, mais si Dieu n’a pas créé le monde en un seul jour, la Communauté internationale aura assez de temps pour instaurer la paix. Nuance simpliste, le Congo est riche alors que Gaza est pauvre.............

    Nabil

    01 h 57, le 19 février 2024

  • Bravo et merci ! Superbe article.

    François Brousseau

    01 h 35, le 19 février 2024

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