L’on pouvait s’attendre à un index levé, à un ton victorieux et à des menaces assourdissantes de récidive. Mais aucun mot n’est sorti de la bouche de Hassan Nasrallah sur l’opération menée mercredi contre une base militaire à Safed, au nord d’Israël. Comme si cette attaque n’avait pas eu lieu. Le massacre qui s’en est suivi à Nabatiyé est pourtant, lui, bien réel. La famille de sept personnes, décimée dans sa maison, ainsi que les trois autres civils tués à Souané ont bien payé de leur vie le prix des frappes sanglantes de représailles menées par l’armée israélienne.
Pourquoi alors le chef du Hezbollah, qui a toutefois promis dans son discours mercredi de venger la mort de ces victimes, et qui a aussi revendiqué haut et fort la frappe, la veille, contre la localité israélienne frontalière de Kiryat Shmona, a-t-il passé Safed sous silence ? Et pourquoi son parti, qui communique sur chacune de ses opérations, n’a jusqu’ici rien publié ?
Pourtant, il y a de quoi « s'enorgueillir ». Safed est située à une quinzaine de kilomètres de la frontière libanaise, une distance plus en profondeur que les sites visés jusqu’ici par le Hezbollah. La salve de missiles a atteint une base militaire – le bataillon 91 de l'armée israélienne plus précisément, a indiqué le général libanais à la retraite Élias Hanna à notre journal – aussi importante que celle de Meron visée officiellement à plusieurs reprises par le parti de Dieu. L’attaque a tué une soldate d’après l’armée de l’État hébreu et blessé huit autres personnes. Et, plus important encore si ça se confirme, le Dôme de fer n’a pas intercepté les missiles tirés vers cette ville. Généralement, depuis le 8 octobre, les mouvements pro-iraniens actifs sur le front sud se disputent les revendications pour beaucoup moins que cela…
Trois hypothèses
Personne ne peut prétendre avoir une réponse à la question de savoir pourquoi cette opération est entourée de tout ce mystère. En attendant l’enquête menée par les services de renseignement de l’armée libanaise, trois hypothèses peuvent toutefois être envisagées.
La première : le Hezbollah est bien celui qui se cache derrière cette attaque – les missiles de précision utilisés portent en tout cas sa signature – mais ne l’a pas revendiquée. Dans quel but ? Déstabiliser son ennemi et le garder sous la menace, mais aussi ne pas mettre la lumière sur le fait qu'il possède ce type de missiles. Une tactique que Hassan Nasrallah avait appelée, dans son premier discours après le début du Déluge d’al-Aqsa, le « flou constructif ». Le parti pourrait dans son contexte annoncer sa revendication dans les jours qui viennent, à travers un communiqué ou peut-être aussi après sa riposte contre le massacre de Nabatiyé.
Deuxième hypothèse : le Hezbollah garde sciemment la frappe contre Safed dans le cadre des spéculations pour des raisons liées à la gravité de l’opération qui dépasse, et de loin, toutes les règles d’engagement. Le but étant d'étaler ses muscles tout en « limitant » la riposte israélienne et éviter que cette attaque, qualifiée par les médias hébreux de « la plus dangereuse depuis le 8 octobre », ne soit interprétée comme une déclaration de guerre. Ce serait ouvrir les portes de l’enfer sur le Liban, dont le gouvernement a d’ailleurs été accusé par le ministre Benny Gantz d’être responsable de ce qui s’est passé. Ce serait, dans ce cas, embarquer aussi l’Iran dans une aventure qui va à l’encontre de ses calculs.
Ce qui nous mène à la troisième hypothèse : le Hezbollah n’est pas l’auteur de l’attaque, mais une autre partie amie, à l’instar du Hamas qui a fait, grâce à Hassan Nasrallah, du Liban-Sud sa deuxième plus importante base militaire après Gaza. Les tirs peuvent aussi avoir été menés depuis la Syrie, mais le résultat reste le même : l'axe pro-iranien compromet le Liban et les Libanais à des calculs qui ne servent rien d'autre que ses ambitions.
Une chose est sûre, quelle que soit la vérité : contrairement à 2006, Hassan Nasrallah ne pourra pas cette fois-ci (à Dieu ne plaise) dire : « Si j'avais su… »
commentaires (10)
L'hypothèse certaine est qu'on est dirigés vers le plus profond des abysses par des énergumènes à l'ego si développé que le sort du liban et des libanais et celui des mouches leur est complètement égal.
Wlek Sanferlou
14 h 13, le 20 février 2024