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Société - Focus

Face à la lassitude des donateurs, les ONG libanaises se tournent vers l’entrepreneuriat social

De plus en plus d’organisations caritatives se transforment en entreprises sociales et solidaires pour s’émanciper des donateurs étrangers.

Face à la lassitude des donateurs, les ONG libanaises se tournent vers l’entrepreneuriat social

Imane Assaf, responsable d'Ahla Fawda, dans le projet d'épicerie de l'ONG. Photo Laure Delacloche

Si l'ONG caritative Teta w Jeddo peut fournir une aide alimentaire et rendre visite à 150 personnes âgées défavorisées depuis l'explosion au port de Beyrouth, c’est grâce à la générosité des donateurs privés. Mais près de quatre ans après le 4 août 2020, ces fonds provenant souvent de l’étranger se raréfient : « Certains donateurs ont diminué leur aide, invoquant notamment la guerre en Arménie et en Ukraine », explique le père Guillaume Bruté de Rémur, président et membre du conseil de surveillance de Teta w Jeddo. En janvier 2024, l’ONG a reçu des fonds pour tenir jusqu'en juin. « Ces financements ont toujours un inconvénient : ils sont temporaires », précise M. de Rémur.

Face à ce tarissement, Teta w Jeddo a fait le pari de l’entrepreneuriat social et solidaire, à l’instar d'un nombre croissant d'ONG libanaises. Le but ? Fournir des services et des produits payants dont les profits permettent de financer des services sociaux gratuits. Si l’ONG a encore besoin d'environ 70 000 dollars pour son fonctionnement, son objectif à terme est de devenir financièrement indépendante des donateurs privés et, dans le meilleur des cas, totalement indépendante des fonds étrangers.

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Pour générer des revenus, Teta w Jeddo a lancé un service à but non lucratif d'aide à domicile pour les personnes âgées. « Les Libanais sont prêts à payer pour une assistance professionnelle à leurs parents et grands-parents, surtout lorsqu'ils vivent à l'étranger. Je veux créer cette profession au Liban, ennoblissant ainsi le travail domestique et offrant une alternative équitable à la kafala », explique-t-il en référence au système qui rend les travailleurs domestiques étrangers dépendants de leurs employeurs libanais, et donc vulnérables à de nombreux abus.

Les bénéfices générés permettraient de soutenir l'activité d'aide alimentaire de Teta w Jeddo et le service d'aide à domicile aux personnes âgées n'ayant pas les moyens de se l'offrir. Le président de l’ONG admet que « la clé pour lancer ce projet est de recevoir un financement de base », et précise être actuellement en attente de réponses à ce sujet.

« Beau chaos »

Cette première étape a été franchie avec succès par Ahla Fawda (« Beau chaos »), une ONG ayant reçu 70 000 dollars grâce à des subventions, au secteur privé et à des dons privés pour mettre en place un système de recyclage lui permettant de financer son activité caritative. « Depuis septembre 2022, nous demandons aux familles d'apporter une certaine quantité de produits recyclables en échange d'une boîte de nourriture, ce qui favorise une culture de la responsabilité environnementale », explique Imane Assaf, responsable de l'ONG située à Hamra. Grâce à ce système, Ahla Fawda « nourrit 30 familles par semaine », dit-elle, tout en organisant des activités culturelles et environnementales.

Depuis mai dernier, l’ONG développe ce principe dans son « éco-hub », situé sur un terrain qui lui a été légué au cœur de Hamra. Dans des conteneurs transformés en épicerie, en centre éducatif et en centre de tri des déchets, les déchets sont transformés en monnaie d'échange : en fonction de ce que les bénéficiaires apportent, « ils sont invités à choisir des articles dont ils ont besoin parmi une gamme de produits : nourriture, vêtements, livres, etc. »

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Les déchets sont triés par ReFuse, une autre entreprise sociale promouvant une approche zéro déchet. Cette organisation partenaire vend ensuite les produits recyclables à des entreprises privées et rémunère Ahla Fawda en conséquence. « En décembre 2023, nous avons collecté 2,5 tonnes de produits recyclables, ce qui couvre les coûts de six à sept colis alimentaires », explique Imane Assaf. Pour compléter la collecte de produits recyclés réalisée par les bénéficiaires, Ahla Fawda s'est tournée vers des bars, des entreprises et un hôpital du quartier, qui fournissent désormais leurs déchets recyclables à l'ONG. Cumulée aux ateliers et autres événements organisés par l’ONG, cette activité de recyclage contribue au budget d'Ahla Fawda, 250 000 dollars en 2023, permettant ainsi de soutenir ses opérations d'aide alimentaire.

Une solution durable ?

Si le processus est exigeant, « c'est une solution à long terme », estime Imane Assaf, affirmant refuser de « dépendre des donateurs », car « recevoir peut aussi être un piège pour la dignité ». Et de marteler : « Nous devons nous débrouiller seuls, être durables et autonomiser notre communauté ». Et de souligner la difficulté du processus d’appel d’offre pour accéder aux financements, soumis à « une forte concurrence entre ONG locales ».

Imane Assaf admet avoir lancé cette entreprise sociale et solidaire « sans savoir que cela s'appelait ainsi ». « Il n'existe pas de définition légale d'une entreprise sociale et solidaire au Liban », explique Alain Daou, doyen de la faculté de commerce du campus chypriote de l'Université américaine de Beyrouth. Ce qui différencie ces organisations des ONG classiques, c'est que leur « mission sociale ou environnementale doit être au cœur du modèle de l'entreprise, qui doit être aussi autosuffisante que possible ». M. Daou souligne que « la plupart des entreprises sociales échouent parce qu'elles ne bénéficient pas d'un investissement à long terme ». Reste que le chercheur estime à pas moins de 200 entreprises sociales et solidaires ayant passé le cap des trois ans d'existence au Liban.

Le coût de l’instabilité

« Je pense que nous avons trouvé notre solution et j'encourage toutes les ONG du Liban à faire de même ! », dit, pleine d’enthousiasme, Maya Ibrahimchah, fondatrice de l'ONG Beit el-Baraka, depuis le confortable canapé du restaurant Beit Kanz.

Quand Maya Ibrahimchah fonde Beit el-Baraka en 2019 pour distribuer de l’aide alimentaire aux personnes âgées, l’ONG compte principalement sur les dons de la diaspora libanaise aux États-Unis. En 2023, les expatriés couvraient encore 80 % du budget annuel, qui s'élève à 5 millions de dollars. « La diaspora a beaucoup contribué, mais elle doit aussi subvenir aux besoins de sa famille au Liban : elle n'est plus en mesure de donner autant », reconnaît-elle.

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En 2021, elle crée Kanz, une entreprise sociale et solidaire, pour devenir plus autonome. Aux traditionnels mouné et autres produits artisanaux proposés par l’entreprise s’ajoute depuis octobre 2022 un restaurant, Beit Kanz, situé à Gemmayzé. Fin 2022, Kanz a transféré 100 % de ses bénéfices à Beit el-Baraka, soit 50 000 dollars. « Nous prévoyons qu'il faudra trois ans pour que les bénéfices de Kanz couvrent les frais de fonctionnement de notre ONG, qui s'élèvent, pour 2023, à 500 000 dollars », projette Maya Ibrahimchah.

Son enthousiasme est teinté d’appréhension face à l’instabilité sécuritaire au Liban, qui constitue une menace pour son modèle de financement. « Jusqu'à octobre, nous prévoyons d’envoyer 300 000 dollars de réserve financière à Beit el-Baraka pour l’année 2023. Mais quand la guerre a commencé à Gaza, le restaurant et les deux boutiques de Kanz ont été complètement vidés et le sont resté jusqu’à mi-novembre, entraînant une importante perte de revenus », dit-elle, précisant avoir dû puiser dans cette réserve pour couvrir les salaires, l'électricité et le carburant ou encore la TVA. « Il ne nous reste aujourd'hui plus que 122 000 dollars de réserve ».

Malgré les défis, l’entrepreneure sociale demeure optimiste : « Quand nous avons ouvert le restaurant en 2022, tout le monde m’a dit que le moment était mal choisi. Et pourtant, ça marche ! »

Si l'ONG caritative Teta w Jeddo peut fournir une aide alimentaire et rendre visite à 150 personnes âgées défavorisées depuis l'explosion au port de Beyrouth, c’est grâce à la générosité des donateurs privés. Mais près de quatre ans après le 4 août 2020, ces fonds provenant souvent de l’étranger se raréfient : « Certains donateurs ont diminué leur aide, invoquant...

commentaires (1)

Bravo madame, je vous adresse mon profond respect pour votre bienveillance, témérité, volonté et courage. Si un jour vous cherchez une aide , même bénévole, je serai candidate.

Vero M

09 h 36, le 19 février 2024

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Commentaires (1)

  • Bravo madame, je vous adresse mon profond respect pour votre bienveillance, témérité, volonté et courage. Si un jour vous cherchez une aide , même bénévole, je serai candidate.

    Vero M

    09 h 36, le 19 février 2024

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