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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Le dilemme d’Assad depuis la guerre à Gaza

Coincé entre sa volonté de contrer l’assise iranienne dans le pays sans se mettre à dos son parrain, le régime syrien cherche à réaffirmer son pouvoir.

Le dilemme d’Assad depuis la guerre à Gaza

Le président iranien Ebrahim Raïssi reçu le 3 mai 2023 au palais présidentiel de Damas par son homologue syrien, Bachar al-Assad. Photo AFP

(Il y a 13 ans jour pour jour, des manifestations éclataient en Syrie contre le régime de Bachar el-Assad. Un mouvement de contestation réprimé dans le sang, qui a rapidement dégénéré en conflit dévastateur. Pour marquer l'anniversaire de ce 15 mars 2011 charnière, nous vous proposons de (re)lire cet article, écrit en date du 10 février 2024.)

Son silence n’a échappé à personne. Pourtant partie de « l’axe de la résistance », le pouvoir à Damas veille particulièrement à ne pas être embrigadé dans la guerre à Gaza et l’escalade de violence qui a suivi dans le pays depuis quatre mois. Mais au moment où des développements importants agitent les quatre coins de la Syrie, la retenue de Bachar el-Assad traduit entre les lignes plusieurs préoccupations. Car sur la scène interne, le président syrien semble vouloir profiter de la situation pour consolider son pouvoir et gagner du terrain.

Certes, la faiblesse intrinsèque du régime Assad l’empêche de faire preuve d’aventurisme sur le plan régional, dans un contexte marqué par une intensification des frappes israéliennes en Syrie. Et notamment à Damas, où plusieurs cadres du Corps des gardiens de la révolution (CGRI) ont été ciblés par des assassinats au cours des dernières semaines. « L’armée syrienne craint les représailles israéliennes, souligne Jihad Yazigi, directeur du site économique en ligne The Syria Report. Elle sait qu’elle ne peut rien faire, beaucoup gesticuler sans pouvoir faire quoi que ce soit peut donc être un problème ». Mais le pouvoir syrien semble également craindre que sa propre base et son régime ne soient aussi l’objet premier d’attaques. « Assad est heureux que les Israéliens ne le prennent pas pour cible et qu'ils affaiblissent les Iraniens, suggère Abdallah Ibrahim, chercheur associé au Center for Strategic and International Studies (CSIS) et à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève (IHEID). Il est donc le grand bénéficiaire des attaques israéliennes contre les Iraniens en Syrie ».

L'influence iranienne

Car au fil des ans, l’influence de son parrain iranien n’a cessé de croître dans le pays, notamment à travers son réseau de milices. Tandis que près de 30 à 35 % du territoire syrien reste sous le contrôle de divers groupes armés échappant à la mainmise du pouvoir - à l’instar de Hay’at Tahrir al-Cham dans la majorité de la province d’Idleb -, de nombreux groupes armés non-officiels affiliés à l’Iran continuent d’opérer dans les territoires contrôlés par Damas, notamment aux frontières du pays. Certes, le pouvoir syrien tire grandement parti du soutien de Téhéran, qui lui permet de consolider son assise. « Il est clair que Damas est incapable de tenir seul de larges pans du pays, Deir ez-Zor ou Alep par exemple, pointe Jihad Yazigi. Il a besoin des milices iraniennes pour cela ». Mais le régime Assad constate le poids acquis par l’Iran en termes d’éducation ou d’initiatives religieuses au sein des communautés syriennes et sent le besoin d’accroître sa souveraineté. Un enjeu devenu pressant depuis le 7 octobre face aux attaques lancées par les factions pro-iraniennes contre Israël depuis le territoire syrien.. « Ces milices étrangères reçoivent des directives de l’Iran, et non de Damas (...) ce qui constitue une menace permanente pour la sécurité de l’État et de ses habitants », observe Haid Haid, chercheur syrien affilié au Chatham House, dans al-Majalla.

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En dépit de ces frustrations, la Syrie semble désireuse d’éviter toute confrontation avec Téhéran qui a pris soin de la laisser en retrait des affrontements avec Israël depuis le 7 octobre. Lors de son second discours le 11 novembre, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a remercié le régime syrien malgré son absence. « La Syrie paie un lourd tribut », avait-il notamment déclaré. Et d’ajouter : « Nous ne pouvons pas lui demander davantage ». Signe de la volonté du pouvoir à Damas de conserver ses relations intactes avec son puissant soutien, Bachar el-Assad a récemment réitéré son appel au départ des troupes américaines du pays après la mort d’une vingtaine de combattants pro-iraniens au cours de frappes lancées le 2 février par les États-Unis en représailles à l’attaque contre une base américaine en Jordanie le 28 janvier qui a tué trois de ses soldats. Un retrait pour lequel Téhéran et Damas poussent conjointement. Il y a près d’un an, déjà, un projet révélé par des documents classifiés ayant fuité sur le réseau social Discord et divulgués par le Washington Post montrait que la Syrie et ses alliés préparaient une campagne coordonnée afin de fomenter une révolte antiaméricaine dans les régions du Nord et du Nord-Est syriens pour pousser les troupes US vers la sortie.

Personnes d’ultra-confiance

Coincé entre sa volonté de contrer l’assise iranienne dans le pays sans se mettre à dos son parrain, le régime Assad cherche avant tout à réaffirmer son pouvoir. Un souci préoccupant à l’heure où les manifestations antigouvernementales déclenchées l’été dernier à Soueida se poursuivent régulièrement. Sur fond de mécontentement des résidents de cette ville du sud-syrien, le pouvoir à Damas a fait une rare déclaration condamnant une frappe jordanienne ayant tué au moins neuf civils le 18 janvier dans le bastion druze. Une condamnation qui sert aussi les intérêts de Téhéran, alors que le raid jordanien semblait motivé par la lutte contre le trafic d’armes et de captagon vers le royaume hachémite, une drogue dont le Hezbollah et les milices pro-iraniennes seraient les principaux producteurs et exportateurs. Mais Damas sent également qu’il doit restaurer son autorité alors que l’EI tire grandement profit de l’instabilité dans le pays pour augmenter ses attaques. Le groupe jihadiste a notamment mené en début de semaine dernière aux alentours de Deir ez-Zor son assaut le plus important depuis des mois selon le média syrien indépendant Nahr Media, faisant plusieurs victimes parmi les soldats du régime.

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Signe des inquiétudes de Bachar el-Assad, ce dernier aurait récemment démis de ses fonctions Ali Mamlouk, ancien chef du Bureau de la sécurité nationale, selon les médias proches du pouvoir. À sa place aurait été nommé Kefah Melhem, un homme proche de Maher el-Assad, frère cadet du président à la tête de la redoutable 4ème division syrienne. « Cela peut montrer à la fois l'incapacité du régime d'élargir son réseau de personnes d'ultra-confiance et la volonté du palais présidentiel d'avoir un contrôle total sur toutes les sphères, militaire, politique… », pointe Joseph Daher, maître enseignant de recherche à l’Université de Lausanne et professeur affilié à l’Institut universitaire européen de Florence. De quoi y voir la tentative du chef de l’État syrien de reprendre le contrôle des réseaux de renseignement après les rumeurs de fuites ayant permis le ciblage de hauts gradés de « l’axe de la résistance », suggèrent les observateurs. Et de réaffirmer ainsi sa mainmise sur les secteurs dans lesquels il ne dépend ni de Téhéran ni de Moscou. « Assad est indépendant dans les domaines qui n'affectent pas les intérêts de l'Iran et de la Russie et pour développer sa situation économique et s'ouvrir à toute forme d'aide, explique Ayman Abdel Nour, rédacteur en chef du magazine en ligne All4Syria. C'est ainsi qu'il faut voir les choses et ne pas considérer qu'il ne peut rien faire sans l'approbation de l'Iran ou de la Russie, car ce n'est pas vrai ».

Méfiance

Guidé par la consolidation de ses intérêts, le régime Assad tient également à renforcer ses gains auprès des pays arabes ayant normalisé leurs relations avec son régime. Six ans après la réouverture de l’ambassade émiratie à Damas au niveau des chargés d'affaires, le régime syrien a reçu fin janvier les lettres de créance de l'ambassadeur d’Abou Dhabi, première nomination de ce genre depuis 2011. Quelques jours plus tard, le chargé d’affaires de l’ambassade saoudienne serait arrivé dans la capitale syrienne dans le cadre d'une représentation diplomatique inédite depuis plus d’une décennie, selon le média proche du régime, al-Watan. Si la République islamique a de son côté aussi acté des normalisations avec les deux pays du Golfe, les EAU et l’Arabie saoudite comptaient notamment sur ce rapprochement avec la Syrie pour contrer l’influence régionale de Téhéran. « Cette réconciliation a largement échoué dans le sens où elle avance très lentement, poursuit Jihad Yazigi en référence au fait que la normalisation n’ait pas dépassé le plan diplomatique à travers une augmentation des échanges politiques ou économiques. La Syrie cherche donc à se donner une marge de manœuvre par rapport aux Iraniens et montrer aux pays du Golfe qu’elle est prudente vis-à-vis du Hamas. »

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À l’image de Riyad et d’Abou Dhabi qui voient d’un mauvais œil la popularité du mouvement islamiste d’inspiration frériste, le pouvoir syrien se méfie en réalité également de ce dernier. Si le régime Assad et le Hamas se sont officiellement réconciliés en 2022 après que ce dernier a été chassé du pays dix ans plus tôt, Damas n’a pas oublié le soutien de la branche politique du mouvement islamiste aux groupes de l’opposition armée peu après la révolution de 2011. « Malgré la relance des relations entre les deux camps - surtout due à leurs liens respectifs avec l’Iran et le Hezbollah - elles restent très froides », note Joseph Daher. Bien que Damas espère profiter de l’instabilité régionale pour y renforcer sa position et affirmer son pouvoir, après avoir notamment accru ses frappes sur les bastions rebelles du nord du pays, le renforcement des liens entre la Russie et l’Iran depuis la guerre en Ukraine rend difficile de jouer un parrain contre l’autre pour avancer ses intérêts.

(Il y a 13 ans jour pour jour, des manifestations éclataient en Syrie contre le régime de Bachar el-Assad. Un mouvement de contestation réprimé dans le sang, qui a rapidement dégénéré en conflit dévastateur. Pour marquer l'anniversaire de ce 15 mars 2011 charnière, nous vous proposons de (re)lire cet article, écrit en date du 10 février 2024.)Son silence n’a échappé à...

commentaires (4)

Et hop notre Metternich a parle

Zampano

16 h 13, le 11 février 2024

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Commentaires (4)

  • Et hop notre Metternich a parle

    Zampano

    16 h 13, le 11 février 2024

  • Il ne faut pas exagérer ces petits détails : bachar est , avec Vladimir Poutine, l'un des plus grands stratéges de la géopolitique moderne , tout est pesé , tout est calculé méticuleusement , rien n'est laissé au hasard . C'est que ces deux leaders savent très bien sonder les intentions des autres , distinguer les amis sincères des ennemis, savoir sur qui compter , et surtout , se méfier des occidentaux odieusement biaisés et faux , employant ignominieusement le double standard , toujours sans broncher en faveur de l'ennemi sioniste qui dérange la planète impunément !

    Chucri Abboud

    13 h 19, le 11 février 2024

  • "… Son silence n’a échappé à personne …" - on peut dire à sa décharge qu’il est plus difficile d’affronter Tsahal que de balancer des barils d’explosifs boostés au nitrate de potassium sur sa population civile désarmée…

    Gros Gnon

    06 h 03, le 11 février 2024

  • Coup de poker à la anoiar elsadate: Chasser Iran et russes, s ouvrir sur usa et ksa, sa femme pourrait l aider

    Zampano

    02 h 59, le 11 février 2024

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