
Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, s'entretenant avec l'ambassadridce des États-Unis à Beyrouth, Lisa Johnson, à Meerab, le 6 février 2024. Photo tirée du site web des FL
« Si le Hezbollah abandonne la démarche axée sur une volonté d’imposer (son candidat), le Liban pourrait alors être doté d’un président de la République en l’espace de 48 heures. » Lors d’une interview accordée lundi à la chaîne locale LBCI, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a résumé par là le point de vue de l’opposition au sujet de la présidentielle : tant que le tandem chiite est attaché à son candidat, Sleiman Frangié, le camp adverse continuera de se montrer intraitable dans son appui à Jihad Azour, ancien ministre des Finances. L’heure n’est donc pas encore aux concessions, mais plutôt aux surenchères politiques… en attendant que sonne la fin de la récréation. Car rien n’est à attendre à ce niveau avant la réunion des représentants du quintette impliqué dans le dossier libanais (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte, Qatar) prévue au cours de ce mois, suivie, en principe, du retour à Beyrouth de l’émissaire spécial de l’Élysée pour le Liban, Jean-Yves Le Drian.
Tout a commencé lorsque le président de la Chambre, Nabih Berry, a décidé de dévoiler les grandes lignes de sa réunion, mardi dernier, avec les ambassadeurs des pays du quintette, à Aïn el-Tiné. Dans des déclarations au quotidien saoudien Asharq al-Awsat, il a fait savoir qu’il s’est entendu avec les diplomates sur l’élection d’un président « made in Lebanon ». Il a dans le même temps tenu à faire valoir que les ambassadeurs « ne se sont pas opposés » à son appel à un dialogue entre les blocs parlementaires afin de parvenir à un consensus autour de l’échéance et n'ont de veto sur aucun des candidats (dont Sleiman Frangié donc, si l'on veut interpréter le message implicite du chef du législatif). Ce sont surtout les propos accordés dimanche à la chaîne locale al-Jadeed qui ont dévoilé la volonté du chef du législatif – et derrière lui du Hezbollah – de hausser le ton. « Il n’y aura pas de séances électorales avec des tours de vote successifs sans concertations ou dialogue. Et s’ils (les protagonistes de l’opposition) trouvent un autre moyen (d’arriver à une entente), je suis prêt à l’avaliser », a lancé M. Berry. « S’ils estiment que je suis en train de bluffer, qu’ils prennent part au dialogue et me mettent au pied du mur », a-t-il ajouté, non sans une certaine ironie.
« Si le quintette veut Frangié, qu'il le fasse élire »
La réponse du camp de l’opposition ne s’est pas fait attendre. Lundi soir, dans une déclaration à la chaîne MTV, c'est le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui s'en est chargé. « Si le groupe des Cinq veut (l’élection de) Sleiman Frangié, qu’il le fasse élire », a-t-il lancé, soulignant que la magistrature suprême est toujours vacante parce que le camp adverse s'accroche à la candidature du chef des Marada. Répondant à l’appel du président de la Chambre au dialogue, Samir Geagea a usé d’une antiphrase : « Comment peut-on dire que Nabih Berry est en train de bluffer ? » Sur un ton plus sérieux, le leader de Meerab a affirmé que son parti est « pour le dialogue à tout moment », estimant toutefois que cette démarche ne portera pas ses fruits parce que le Hezbollah est attaché à son candidat. « Ce ne sera qu’une perte de temps, a-t-il ajouté. D’autant qu'un dialogue sérieux se fait à huis clos. » Lors d'une réunion avec l’ambassadrice des États-Unis à Beyrouth, Lisa Johnson, mardi, le chef des FL a réitéré sa position. Selon le site web de son parti, M. Geagea a expliqué à la diplomate que « l'unique solution passe par une convocation à des séances électorales sérieuses », appelant la communauté internationale à « aider les Libanais à mettre fin au blocage ». Il s'est dans le même temps montré ouvert à des concertations bilatérales ou trilatérales, comme ce fut le cas lorsqu'il y a eu une entente sur la prorogation du mandat du chef de l’armée, Joseph Aoun, en décembre. « L’ambassadrice Johnson ne s’est pas exprimée au sujet du dialogue. Mais elle a appelé à l’élection rapide du futur chef de l’État », confie à L’OLJ une source présente à la réunion. Et d’affirmer que la diplomate « n’a évoqué aucun nom de présidentiable ».
Aoun favori du quintette ?
M. Geagea a, dans ce cadre, soigneusement précisé à la MTV que « le commandant en chef de l’armée Joseph Aoun est le favori des pays impliqués dans le dossier libanais », sans pour autant se prononcer clairement sur la position de l’Arabie saoudite, dont les FL sont un grand allié local. « Il était important de faire comprendre à Nabih Berry qu’il est faux de faire croire à l’opinion publique que le quintette n’a pas d’inconvénient à l’élection de Sleiman Frangié », explique le porte-parole des FL, Charles Jabbour.
Les propos de Samir Geagea interviennent à l’heure où plusieurs composantes de l’opposition multiplient les clins d’œil en direction de Joseph Aoun, de plus en plus perçu comme une figure de troisième voie. Dernier en date, Élias Hankache, député Kataëb, qui avait fait l’éloge du général, le « candidat crédible qui bénéficie de la confiance de la majorité des Libanais ». De quoi donner l’impression que les anti-Hezbollah pourraient aller vers cette option… au risque d'être lâchés par le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil (avec lequel ils avaient convergé sur M. Azour), un acteur incontournable dans la bataille, mais dont le patron de la troupe est la bête noire. « Nous n’allons pas abandonner notre position de principe », tranche César Abi Khalil, député CPL, dans une référence au veto aouniste contre tout amendement de la Constitution pour paver la voie de Baabda devant le chef de l’armée. L’article 49 de la Loi fondamentale interdit aux fonctionnaires de première catégorie (dont le chef de l’institution militaire) de se lancer dans la course présidentielle pendant une période de deux ans après avoir quitté leurs postes.
De toutes les façons, on n’en est pas encore là. Et l’opposition continue jusqu’ici de soutenir la candidature de Jihad Azour. C’est Samy Gemayel qui a mis les points sur les « i » lundi soir : « Nous faisons confiance à Joseph Aoun, mais nous n’avons pas encore discuté des dossiers politiques avec lui. L’élection du chef de l'armée n’est pas toujours une bonne chose. Mais s’il s’avère que c’est la seule option pour mettre fin au vide présidentiel, et s'il a un programme convaincant, nous aviserons », a-t-il dit à la LBCI.
Un seul dialogue est possible et c'est celui concernant la remise des armes du parti Iranien a l’armée. Tout le reste se discute au sein du parlement lors de cessions parlementaires réglementaires tel que le prévoit la constitution. Il est temps que ces messieurs apprennent comment fonctionne une démocratie!
09 h 25, le 08 février 2024