La hausse du nombre de candidats à l’émigration depuis le début de la crise économique et financière en 2019 au Liban n’a plus rien de surprenant. Mais l’annonce par le cabinet de statistiques « Information International » (« al Douwaliya lil Maaloumat ») des chiffres de 2023 laissent sans voix : 175 500 Libanais ont quitté leur pays l’an dernier, soit 196 % de plus qu’en 2022, où ils étaient 59 269.
Selon le même cabinet, depuis 2012, le Liban aura vu partir 621 550 personnes, avec un pic en 2019, l’année où la sévère crise a commencé dans le pays, qui a comptabilisé 66 806 départs - soit 101 % de plus qu’en 2018 -, et un autre en 2021 avec 79 134 départs, soit 346 % de plus qu’en 2020, l’année de la pandémie de Covid-19 et ses restrictions sur les voyages internationaux.
Mais qu’est-ce qui explique cette hausse spectaculaire en 2023 ? Mohammad Chamseddine, chercheur au sein du cabinet, estime que les raisons restent purement économiques. Ainsi, « 2023 a été encore plus difficile que 2022, beaucoup d’entreprises ont fermé leurs portes et les gens se sont retrouvés au chômage », dit-il. Il estime également qu’il y a un facteur de découragement et de fatigue. « Beaucoup attendaient les moindres signes d’une reprise économique et ont été déçus par le prolongement de la crise, ce qui a pu les pousser à envisager finalement de quitter le pays », explique-t-il.
Sur le profil des émigrants, Mohammad Chamseddine explique que la proportion des jeunes de 25 à 35 ans reste élevée, de l’ordre de 70 %. Il note aussi que ces émigrants ont tendance à s’en aller seuls plutôt qu’en famille dans l’objectif d’envoyer de l’argent à leurs proches. Les destinations, elles, restent celles qui sont traditionnellement prisées par ceux qui veulent travailler à l’étranger : l’Europe, les États-Unis, les pays du Golfe, l’Afrique… En revanche, aucune indication sur les régions du Liban dont ils sont issus, où s’ils viennent davantage des villes que des milieux ruraux.
Et ceux qui rentrent…
Prié de commenter ces données, Youssef Courbage, ancien directeur de recherches en démographie à l’Institut national d’études démographiques de Paris et ancien professeur à l’Université libanaise, souligne que des chiffres comme ceux-là suscitent souvent en lui de la méfiance. « Ces chiffres sont inquiétants et correspondent à une certaine réalité qui découle de la crise », dit-il.
Mais, selon lui, il ne faut pas omettre le fait que des Libanais sont rentrés après avoir tenté l’aventure de l’émigration, soit suite à un échec, soit parce qu’ils ont sécurisé les rentrées qui leur permettent de retourner vivre chez eux. Sur cette question, Mohammad Chamseddine assure lui que les Libanais de retour ne sont pas comptabilisés dans les chiffres de son agence et que la balance reste dans tous les cas en faveur de ceux qui partent.
L’économie plutôt que la guerre
Dans les recherches d’« Information International », tout comme dans l’analyse de Youssef Courbage, la crise économique et le manque d’opportunités dans le pays sont les principaux moteurs de l’émigration. Le démographe ajoute même un facteur qu’il faut prendre en compte si l’on veut comprendre ces départs à la hausse : les jeunes d’une trentaine d’années aujourd’hui sont nés à un moment où il y avait un certain boom démographique au Liban et sont donc entrés en grand nombre sur le marché du travail, ce qui fournit un élément additionnel d’explication à cette hausse actuelle de l’émigration.
Mais qu’en est-il des troubles au Liban-Sud, qui ont éclaté le 8 octobre suite au déclenchement la veille de la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza ? Cette énième crise qui vient s’ajouter à tous les stress précédents a-t-elle joué un rôle ? Mohammad Chamseddine est formel : si l'impact de cette guerre est avéré, il ne se fera pas sentir tout de suite. « Il n’est pas aisé de préparer un départ du pays et une telle décision ne suit pas immédiatement le déclenchement des hostilités. »
Quant aux crises politiques à répétition, elles ne sont que des facteurs marginaux dans la décision d’émigrer, selon Youssef Courbage. « Je vois mal les Libanais quitter leur pays rien qu’en raison de la vacance présidentielle, par exemple. Les raisons de l’émigration restent socio-économiques par excellence. »
A chaque débâcle politique les Libanais émigrent et c’est comme cela depuis la fin du dix-neuvième siècle mais pourquoi ces débâcles surviennent ? Les systèmes confessionnels et des Zaïms en est le terreau.
14 h 02, le 04 février 2024