Alors que les députés libanais sont appelés à se réunir pour voter le budget de l'État pour l'exercice 2024, quels sont les grands enjeux du projet présenté par l'exécutif et remanié par la commission parlementaire des Finances ?
L'enjeu principal :
*L’unification du taux de change :
Enterrer le taux officiel actuel (15.000 livres libanaises pour un dollar) pour laisser la place à un taux du marché qui sera fixé par la Banque du Liban (BDL) en fonction du niveau effectif de la livre libanaise sur le marché (89.500 LL) et tourner la page de la coexistence de plusieurs taux qui a démarré avec la crise, il y a plus de quatre ans. Cette unification correspond à une demande du Fonds monétaire international (FMI) que le Liban a approché dès 2020 pour obtenir une aide financière afin de redresser durablement son économie.
Actuellement relayé par des sites et des applications informelles qui puisent leurs informations chez les agents de change - une des conséquences de la crise -, le taux unique devrait bientôt avoir sa propre plateforme officielle, supervisée par Bloomberg.
Le projet de budget 2024 s’inscrit dans la continuité du projet de budget de 2022, adopté avec beaucoup de retard. Alors que la TVA ou les droits de douanes ont déjà été alignés courant 2023, le budget de 2024 prévoit de s’occuper de l’impôt sur le revenu et des divers taxes et frais applicables dans le pays.
Pour le premier, le projet prévoit de multiplier par 60 les tranches d’imposition pour les divers impôts sur le revenu (BIC/BNC, traitements, salaires et revenus fonciers) ou d’autres sur le capital (impôts sur les mutations à titre gratuit) par rapport à celles qui étaient calculées sur la base de 1.507,5 LL pour un dollar avant la crise.
Cette mesure permet de remettre de l’ordre sur la répartition des pourcentages d’imposition et d'éviter que ceux qui gagnent peu se voient trop taxer à cause du décalage entre le taux de change officiel et celui du marché, alors que la quasi-totalité du secteur privé a ajusté au moins partiellement les rémunérations depuis le début de la crise. Cela évite aussi que les contribuables se voient imposer à un niveau inférieur à celui auquel ils devraient se soumettre en sous-évaluant la valeur de leurs revenus imposables.
Pour les autres taxes et frais, le principe est de multiplier par 46 ceux qui étaient encore fixés sur la base d’un dollar à 1.507,5 LL. Ce multiplicateur a été choisi parce qu’il correspond à l’inflation enregistrée par la Banque du Liban depuis le début de la crise. Selon l’Administration centrale des statistiques, le multiplicateur est de près de 52 entre la valeur de l’indice des prix à la consommation entre fin 2019 et fin 2023.
D’autres droits ont été augmentés et sont même exigibles en dollars, ce qui est atypique pour un pays qui possède sa propre monnaie.
La conséquence directe attendue est que l'État pourra augmenter ses revenus, s'il parvient toutefois à optimiser la collecte des impôts et lutter contre l'évasion fiscale, ce qui est loin d'être gagné, compte tenu de l'état de délabrement de la fonction publique en 4 ans de crise, du clientélisme communautaire et de la suppression incomplète du secret bancaire.
Il n'est enfin pour l'instant pas possible de mesurer à quel point ces hausses vont affecter l'inflation actuelle qui est déjà gigantesque, vu qu'une grande partie des prix a déjà été ajustée au taux du marché dans le pays ou sont tout simplement exigés en dollars.
Les autres enjeux :
* La hausse des salaires des fonctionnaires : le projet a acté un ajustement des salaires du secteur public, qui équivaut désormais à 7 fois leur niveau sous l’ancienne parité officielle, conformément à des décrets adoptés par l'exécutif en 2023. Ces rémunérations resteront encore inférieures à ce qu'elles représentaient avant que la livre ne s'effondre avec la crise.
Le projet prévoit également d'utiliser l'essentiel des 20.000 milliards de LL (223,5 millions de dollars au taux actuel du marché) de réserves budgétaires, à savoir des sommes mises de côté pour couvrir les dépenses prévisibles sans interruption ainsi que de faire face à des dépenses imprévues, pour financer des « bonus de productivité », entre autres.
Avant la crise, l'État comptait environ 400.000 fonctionnaires dont les rémunérations absorbaient un bon tiers du budget. Dans le projet voté aujourd'hui, cette proportion tourne autour de 25 %, en comptant le bonus de productivité.
* Le rétablissement d'un certain fonctionnement normal des finances publiques en adoptant un budget - presque - dans les temps. C'est un autre prérequis du FMI. Cette étape ne sera pas suffisante dans la mesure où le pays doit aussi adopter une loi de contrôle des capitaux équitable, une autre pour restructurer le secteur bancaire en situation de faillite depuis 2019, une troisième pour régler la question des pertes financières du pays ou encore encore entamer le processus de restructuration de sa dette bloqué depuis le défaut sur les eurobonds en 2020.
* Éviter que le projet du gouvernement ne soit promulgué. Voir pourquoi ici.
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