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Lifestyle - Vient de paraître

« Beyrouth de verre et de couleurs », ou la mémoire historique du vitrail par Houda Kassatly

Ethnologue et photographe, l’artiste fige pour l’éternité une tradition décorative qui magnifie la lumière.

« Beyrouth de verre et de couleurs », ou la mémoire historique du vitrail par Houda Kassatly

Le verre, un matériau qui magnifie les maisons traditionnelles libanaises. Photo Houda Kassatly

Elle n’a pas fini d’explorer la beauté insoupçonnée du pays. Cette fois, c’est le vitrail que l’ethnologue et photographe Houda Kassatly met à l’honneur dans son ouvrage intitulé Beyrouth de verre et de couleurs, paru aux éditions al-Ayn. Finalité d’un long travail de quatre ans, la valeur de ses clichés d’une subtilité artistique réside dans le message et la créativité du verre et des couleurs. Et surtout de la lumière qui inonde les intérieurs, et donne cet air mystique et intemporel à l’architecture libanaise de la fin du XIXe au début XXe siècles.

Bâtiments religieux, espaces publics ou demeures beyrouthines, des plus somptueuses aux plus modestes ou délabrées, les photographies présentées dans ce corpus sont le fruit d’une déambulation dans les rues, ruelles et impasses de la ville de Beyrouth à la recherche des maisons ornées de vitraux. L’ouvrage ne recense toutefois pas leur totalité. « Certaines maisons, qui recèlent probablement des spécimens enfouis et inédits, nous sont restées inaccessibles à moi et à l’historienne Liliane Kfoury qui m’accompagnait », confie Houda Kassatly à L’Orient-Le Jour. « L’accès à d’autres nous a été (même si rarement) refusé et nous en avons certainement oublié quelques-unes. Cette limitation est toutefois inhérente à tout projet de cette nature et, en tout état de cause, notre objectif n’était pas de prétendre à une collecte exhaustive mais de tenter de rassembler autant que faire se peut l’existant, afin de donner à voir le foisonnement et la richesse de l’usage des vitres colorées, sa complexité comme sa simplicité, ainsi que l’état de désintégration auquel il a été parfois réduit », ajoute l’auteure.

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L’ouvrage est introduit par un avant-propos du chimiste et poète surréaliste Michel Cassir qui décrit le verre coloré comme « décoration urbaine ou vitrail, offrant à la vue ampleur, saison de fête permanente et miroir de soi-même, du monde ». Il est suivi par un préambule d’Anca Vasiliu, directrice de recherche au CNRS et chargée de cours à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, qui s’est penchée sur « la lumière et les couleurs à l’intérieur des maisons de Beyrouth qui demain ne seront peut-être plus. Il fallait le montrer et le dire, parce que c’est splendide dans sa fragilité, dans la modestie des moyens et dans la sagesse discrète de son enseignement sur le bien, le bonheur et le beau ».

Dans son avant-propos, Houda Kassatly aborde l’historique du verre et l’émergence de sa tradition décorative. Né du sable et du feu, le verre est l’un des matériaux les plus anciens utilisés par l’homme. Comme le raconte Pline dans Naturalis Historica (an 77 de notre ère), il a été découvert par des marins phéniciens qui, un jour, voulurent établir un camp près du fleuve Belus en Palestine. Ne pouvant trouver de pierres pour installer leur foyer, ils utilisèrent des blocs de soude qu’ils transportaient dans leur navire. Avec la chaleur du feu, le sable et la soude se transformèrent en pâte de verre. Les premiers objets en verre furent découverts dans le Wadi Natroun en Égypte. Ils sont datés de 3 000 ans avant notre ère. Des sites de fabrication de verre ont également été identifiés dans la région de la Méditerranée orientale, en Syrie (Kalaat Semaan, Raqqa, Alep, Damas), ainsi qu’à Tyr au Liban.

Un ouvrage à découvrir. Photo DR

« Le verre plat avait une teinte blanc verdâtre en raison de la présence d’oxydes métalliques dans le sable qui le composait. Une fois devenu incolore, grâce à l’ajout de bioxyde de manganèse, il a commencé à être largement incorporé dans l’architecture religieuse, tant chrétienne qu’islamique, où il était employé dans des madrasas, des mosquées (comme l’exemple du dôme du Rocher à Jérusalem) et des mausolées (comme le mausolée des Califes au Caire) », raconte l’auteure. La matière va subir une longue évolution, et ce notamment à l’ajout de colorants chimiques et de sels métalliques qui ont diversifié ses teintes. Le matériau s’est transformé en un élément décoratif majeur et il est devenu une composante essentielle des édifices religieux, ainsi que dans les demeures seigneuriales des pays européens dès le XIIe siècle. Alors que l’Occident illumine ses cathédrales de couleurs transparentes, en Orient, les lampes de mosquée en verre émaillé rendent également gloire à la lumière divine. Car la réalisation de vitraux médiévaux nécessitait des financements importants : deux tiers du budget d’une cathédrale sont consacrés aux vitraux, un tiers à l’architecture, selon l’historien de l’art français Alain Erlande-Brandenburg, ancien conservateur général honoraire du patrimoine et directeur des Archives de France de 1994 à 1998.

Des ombres, des lumières et des intérieurs libanais à travers le regard de l’auteure. Photo Houda Kassatly

Composante majeure des traditions architecturales arabes

Mais les ateliers de verre vont essaimer un peu partout en Occident et en Orient et permettre de produire le matériau à un coût plus faible, encourageant son intégration dans divers espaces. « Il devient une composante majeure de certaines traditions architecturales arabes, comme celle de Dar el-Hajar, dit palais du Rocher, dans la vallée de Wadi Dhar près de Sanaa, capitale du Yémen. Ou celle de la ville de Bassora en Irak, avec les fenêtres multicolores de ses habitations, connues sous le nom de chanachils », indique Houda Kassatly. Le Liban n’a pas échappé à cet engouement général, notamment dans les églises des différentes congrégations missionnaires étrangères où l’on trouve parfois des vitraux fabriqués à partir de verre soufflé produits dans de grands ateliers européens. Par la suite, des artisans locaux formés à l’étranger introduisirent des œuvres de verrerie d’art dans certaines églises, mosquées et maisons. Ces vitraux structurés par un réseau de plomb présentent des dessins figuratifs, notamment des scènes bibliques, ainsi que des compositions abstraites et des motifs géométriques colorés.

Régénération d’une ville

Toutefois, d’autres constructeurs vont opter pour des verres coulés et de simples vitres industrielles, bien moins onéreuses. Principalement importés des usines Saint-Gobain en France, ils seront utilisés jusque dans les années 1940-1950 pour embellir les ouvertures des cages d’escalier des immeubles modernes. « Ces vitres colorées constituent un matériau moins noble que le verre soufflé, qui offre une luminosité exceptionnelle grâce à la richesse de sa palette. Cependant, elles ont acquis le statut d’élément décoratif majeur », souligne également Houda Kassatly.

Après la double explosion du port le 4 août 2020, tout portait à croire que l’ampleur des dégâts, la crise économique, l’impossibilité de se procurer des matériaux de même qualité que les originaux et la pénurie d’artisans qualifiés constitueraient autant d’obstacles radicaux à la restauration du vitrail traditionnel. « Et pourtant, observe l’auteure, l’incroyable élan de reconstruction qui s’est mis en place a contredit toute velléité de renoncement. Certains propriétaires ont même tenu à remplacer leurs verres transparents par des verres de couleur. Le risque de disparition ultime de cette pratique a été contrecarré par la détermination des Beyrouthins, qui ont fait de sa reconduction un point d’honneur. »

*« Beyrouth de verre et de couleurs », paru aux éditions al-Ayn (261 pages, grand format), est vendu à la librairie Antoine, au Musée national de Beyrouth, à la librairie Snoubar, rue Monnot, et au centre arcenciel de Jisr el-Bacha.

Elle n’a pas fini d’explorer la beauté insoupçonnée du pays. Cette fois, c’est le vitrail que l’ethnologue et photographe Houda Kassatly met à l’honneur dans son ouvrage intitulé Beyrouth de verre et de couleurs, paru aux éditions al-Ayn. Finalité d’un long travail de quatre ans, la valeur de ses clichés d’une subtilité artistique réside dans le message et...

commentaires (2)

Superbe

Abdallah Barakat

13 h 56, le 16 janvier 2024

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Commentaires (2)

  • Superbe

    Abdallah Barakat

    13 h 56, le 16 janvier 2024

  • Tout donne lieu à une représentation. Mais qu’on me dise, ces vitraux s’ils sont vraiment en verre ou en cristal ou en plastique ou autre, sont réalisés par la geste artistique la plus pure de quel artiste de génie ? Tellement facile ! On cadre, et des portes, et des fenêtres, surtout à contrejour, par un jeu de de lumière et la boucle est bouclée. Les vitraux, à eux seuls des œuvres d’art s’en passent de reproduction par le biais de la photographie…

    Nabil

    00 h 55, le 16 janvier 2024

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