Ils sont revenus, ils sont tous là, ou presque, les designers qui avaient exposé, entre 2010 et 2014, leurs créations au BAC Design. Les Nada Debs, Karen Chekerdjian, Karim Chayaa, Nathalie Khayat, Rania Sarakbi, Milia Maroun, etc. qui avaient bénéficié, en solo ou en collectif, de cette plateforme que leur offrait le Beirut Art Center (BAC) à une époque où l’intérêt pour le design était en pleine ascension.
En contrepartie de la mise en lumière de leur travail, cet espace artistique à but non lucratif, dirigé alors par ses cofondatrices Sandra Dagher et Lamia Joreige, prélevait une partie des bénéfices de vente des pièces exposées pour le financement de ses diverses autres activités axées essentiellement autour de l’art contemporain.
En 2014, les événements de design s’étant intensifiés dans d’autres lieux à Beyrouth, la nouvelle directrice du BAC, Marie Murraciole, avait pris la décision de stopper le BAC Design pour se consacrer uniquement à l’art. Puis vinrent les années difficiles de crises financière et économique, de soulèvement, de pandémie, d’explosion au port… Des années durant lesquelles les lieux culturels, outre le fait qu’ils ont été gravement impactés, passaient au second plan des préoccupations des pourvoyeurs de fonds, mécènes et autres sponsors.
La crise s’éternisant et se ramifiant avec tout ce qui se passe dans le pays et dans la région, il est aujourd’hui de plus en plus difficile de faire appel aux donateurs privés ou institutionnels pour l’art et la culture au Liban.
Pour que le Beirut Art Center, qui est l’un des piliers de la scène artistique contemporaine libanaise, continue de fonctionner, il fallait donc trouver des sources de revenus complémentaires à celles issues jusque-là du réseau des « patrons of art » et de la vente aux enchères d’œuvres des artistes maison qui a lieu chaque deux ans.
C’est dans cet objectif d’aide au financement de son programme public d’expositions, conférences, performances et projections de films que le comité directeur du BAC a décidé de réactiver « de manière ponctuelle » sa plateforme consacrée aux designers libanais. Avec un premier événement nimbé d’une certaine nostalgie des années d’avant la crise. Celles qui furent témoins d’un foisonnement créatif libanais intense et dont on retrouve trace dans les œuvres de la trentaine de designers libanais, réunies jusqu’au 27 janvier entre les murs blancs de l’une des grandes salles de l’ancien espace industriel qui héberge le BAC à Jisr al-Wati*.
Des grandes signatures aux nouveaux venus
Curatée par l’architecte d’intérieur et membre du comité d’administration du Beirut Art Center Maria Ousseimi, cette exposition déploie une majorité de pièces mobilières, dont quelques-unes de collection, et d’objets décoratifs (dont des bijoux) portant la signature de designers largement reconnus.
Des pièces souvent puissantes, à l’instar des deux sculpturales créations d’architecte qui ouvrent le parcours de cette exposition dans une sorte d’affrontement silencieux. À savoir le banc entièrement « construit » en bandes intercalées de chêne et de fer noir, qui porte avec une sorte d’évidence la signature de Bernard Khoury (200 x 38,8 x 85 cm), et l’impressionnante coupe plate pivotante sur manche longitudinal en marbre vert du Guatemala (16 x 16 x 300 cm/90cm), conçue par Riad Kamel et mystérieusement baptisée Kiss Me Again. Base for a Dedication. 4th Year of Pilgrimage.
Parmi les autres pièces à la présence intense : un bureau entièrement en marbre Ceppo (évoquant le camouflage militaire) et le vase Monolith, réalisé en pièce unique dans le même matériau par Karen Chekerdjian. Ainsi que, dans un registre plus funky, les tables basses de Mary-Lynn et Carlo Massoud en mousse de polystyrène et béton coloré de la série Elephant Project.
Ou encore les tabourets et/ou tables d’appoints de Thomas Trad, Stéphanie Moussallem, Rasha Nawam, qui ont tous d’une façon ou d’une autre révolutionné le genre.
Idem pour Marc Baroud, dont la table basse en marbre vert à la découpe en vagues (issue de la ligne Segments d’inspiration moderniste) fait salon avec les très organiques fauteuil et ottomane en daim végétal vert de Roula Salamoun.
Un peu plus loin, les lampes de table ou de chevet rivalisent d’audace. Outre celle instantanément identifiable de Nada Debs, on repère celle de Najla el-Zein, en « pierre nouée » qui dégage une étrange Séduction (ainsi que l’a nommée sa créatrice). Et celle en laiton malicieusement évocatrice d’une cornette de religieuse, signée Souheil Hanna et baptisée d’ailleurs Monk Lamp (« Lampe nonne »). Sans oublier la plus étrangement futuriste, celle du duo de Spockdesign Karim Chayaa et Kamal Aoun. Entièrement composée de lamelles mobiles d’acier inoxydable poli, sa silhouette incurvée est inspirée, paraît-il, d’un animal exotique : le tatou.
Parmi les objets décoratifs, tout un champ d’œuvres en céramique s’ouvre aux yeux des visiteurs. Depuis les sympathiques champignons signés Minnie Tasso et autres Carciofo (« Artichauts ») en céramique de Poupa Kesrouani, jusqu’aux monumentaux vases de Nathalie Khayat, qui semblent trôner au-dessus de la mêlée. En passant par Nada Matta qui joue la carte de l’inspiration vintage revisitée dans ses créations en céramique, alliée à d’autres matériaux, à l’instar de sa table basse en grès et à piétement de laiton...
Vous l’aurez deviné, il y a dans cette exposition une diversité de pièces et d’univers créatifs qu’il est impossible de signaler intégralement. Rendez-vous sur place pour admirer, découvrir quelques jeunes talents aussi dans cette assemblée de designers majoritairement établis, et participer peut-être par un achat à maintenir en fonctionnement cette institution artistique à but non lucratif, on le rappelle.
*« BAC Design 2024 » au BAC, Jisr el-Wati. Du mardi au vendredi de 12h à 19h. Samedi : de 12h à 17h.
Merci pour votre article. « Les vases de Nathalie Khayat qui trônent au dessus de la mêlée « n ont pas été photographiés !!
08 h 45, le 13 janvier 2024